Carnet Hebdo: Lorsque Porlwi fait semblant

Décembre. Une période festive annoncée en musique, lumière et couleurs dès les premiers jours. Opération Lacaz Out à niveau national ayant fait bouger 600,000 personnes à travers l’île pour se rincer l’œil d’un spectacle visuel projeté sur les bâtisses en pierre ; exception cette année, les bâtiments modernes ont trouvé grâce aux yeux des organisateurs et ont été invités à partager des habits de fête de leurs voisins de l’époque coloniale qui ont inspiré la fête au départ.

L’autre magie de la fête a été l’exploit de la grande sortie parmi le peuple : de la population des régions côtières, de la Pointe d’Esny à la Pointe aux Canonniers, et des hauts plateaux où il fait bon de vivre, ce qui est inhabituel. De dire l’engouement que l’on a pour l’histoire des ancêtres bâtisseurs… Pour l’occasion, avec l’accord des autorités, la capitale s’est fait dépouiller de son royal patronyme ou plutôt, a fait semblant, pour faire plus morisien, de s’appeler Lwi.

Le bon peuple a cette fâcheuse manie de faire deux pas en arrière devant des orchestres qui offrent généreusement une musique qui leur paraît un peu étrangère à leur goût. Il faut du temps pour cultiver des goûts différents. Et cela se voit à l’allure de la foule, lors des diverses manifestations musicales qui laissent indifférents des segments de la population, y compris ceux des régions côtières et des hauts plateaux. Quant au peuple attelé en permanence à diverses tâches pour assurer sa survie et joindre les deux bouts, il a peu de temps à consacrer à une ouverture aux différents horizons culturels. Ceux qui en ont manifestent peu d’engouement à ouvrir les fenêtres de leur esprit à d’autres influences.

De nombreux pays se dotent d’une deuxième ville importante dès lors que la capitale croule sous les fardeaux qu’on lui fait porter, créant ainsi une capitale administrative épaulant la capitale économique. Johannesburg-Pretoria, Washington-New-York, Mumbai-Delhi. Depuis quelque temps, Port-Louis est devenue fréquentable : les autorités ont réglé avec fermeté l’envahissement des principales artères et ont permis une circulation aisée des piétons.

Mais avec une population qui dépasse un million, et vu l’état de certains quartiers et l’absence d’arbres dans la capitale, la nécessité d’une ville administrative moderne conçue selon un plan répondant à d’autres besoins paraît de plus en plus évidente. Ceux qui sont enclins à traiter les autres de passéistes se cramponnent au passé au gré de leurs intérêts financiers et d’un orgueil mal placé.

Il faut éclairer nos antennes sur les sommes faramineuses qui ont été versées à l’architecte de Dubaï pour la City encerclée de deux croissants de lune, détail qui n’a pas échappé au regard de quiconque s’y intéressant de près. Il faut que le ministre nous explique sa définition de la bonne gouvernance : un ministère créé sur mesure pour la forme ? Est-ce que ce serait une blague et aurait-il les mains liées par un pacte tacite avec plus puissant que lui ?

Il est urgent de fournir des détails au peuple sur les dépenses prévues en ce qui concerne les infrastructures publiques. Ce secteur a toujours fait froncer les sourcils et suscité des doutes quant aux véritables bénéficiaires de ces sommes tirées des fonds publics. Toutes ces constructions et réaménagements se font dans l’opacité la plus totale. Il ne suffit pas de balancer une somme dans la presse pour le grand public.

* * *

Quant aux people VVIP au concert de AR Rahman, connaissant leur sensibilité à tout ce qui relève de l’art et qu’en général, assurant une présence minimum lors d’une quelconque inauguration d’une exposition pour la forme et les gadjaks, ils font plus figure de consommateurs de musique que de mélomanes. Que ce soit pour rigoler un bon coup avec Gad Elmaheh ou assister à un concert de haute facture, ils ne font pas trop la différence. Ce qui compte pour eux, c’est d’y être tout simplement.

Hormis Vacoas et Pailles, animation culturelle quasi inexistante dans diverses régions de l’île.

Nord de l’île, désert culturel. A part la Caze Out à Beau-Plan, la région souffre cruellement de manque de manifestations culturelles, artistiques ou musicales. Les centres commerciaux sont devenus des lieux de rendez-vous pour des mini expositions horticulturales et artistiques alors qu’on n’a pas forcément envie de nous rendre à un centre commercial pour visiter une exposition de peinture. Il faudrait de nouvelles structures, salles d’exposition, théâtre et espaces ouverts qui pourront accueillir les amateurs d’activités culturelles, sans compter un nombre croissant de touristes en visite et des étrangers qui s’y installent pour de longs séjours.

Enfermés dans leur bulle, peu de nos décideurs mesurent l’importance de la place de la culture dans l’épanouissement d’un peuple. C’est exaspérant. A leur langage et comportement individuel, cela ne devrait guère nous étonner. Ce n’est pas tant par manque de volonté que par l’incapacité de nourrir d’autres ambitions pour le peuple. Leur rôle de technocrate des besoins présents et pressants l’emporte sur toute autre vision à long terme. Un aveugle qui fait éloge de la lumière ? A part celle du Soleil qui éclaire le seuil de leur porte et de leur plate-bande bien arrosée…, il faudrait patienter encore.

* * *

Un chapeau enfoncé sur la tête, ce monsieur vêtu d’une veste – qui paraît un peu long pour sa petite taille – se faufile dans une démarche hâtive dans le grand hall de l’aéroport jusqu’au guichet. « Enregistrement Terminé », affiché sur l’écran des annonces.

– Du n’importe quoi, lâche-t-il à l’employée qui rassure que c’est encore ouvert. Une erreur, dit-elle.

– Ah ! Vous venez d’arriver aussi ! C’est bon, ça ira.

– Tant mieux !

Entre les cordons, véritable labyrinthe jusqu’au contrôle de douane, son regard vif observe tout.

Dans la salle d’attente, sa petite silhouette surgit et disparaît ça et là. Un type qui fait penser au détective Marlowe dans le roman policier de Raymond Chandler. Le voilà qui saute dans le bus, se fait une place dans un coin, une mallette serrée contre lui, et promène son regard sur les passagers de l’autobus.

Dans l’avion.

– Ah voilà, on est voisins !

– Effectivement.

D’origine mauricienne, il saute dans l’avion souvent le week-end. Notre Marlowe se lève même pour vérifier que les passagers d’à côté respectent les consignes sur ce vol d’Air Austral. Français d’origine franco-mauricienne, il est haut gradé de l’aviation civile. La sécurité, c’est son truc.

– Ca m’énerve, les gens qui pianotent sur leur téléphone portable dans l’avion. Et croyez-moi, je n’hésite pas à intervenir si quelqu’un refuse de suivre les consignes.

– Ah ! Port-Louis ! Le dernier plan d’urbanisme remonte à Labourdonnais. Il n’y a rien eu depuis.

– Oui, semble-t-il. Curepipe, c’était bien avant.

– Quand ?

– Au dix-huitième siècle.

– Bon, on n’était pas là.

Tout était bien avant manifestement. De la famille à Maurice ? Oui, d’où ses visites fréquentes.

C’est un bavard. L’art d’éviter les questions d’ordre personnel, on est assez rodée.

– Malcolm de Chazal, vous connaissez ?

– De nom, oui.

– De grands amis de mes parents. Il connaît toutes ses œuvres.

– Vous avez lu ses œuvres ?

– J’ai essayé de lire un de ses ouvrages qui m’a été offert par le fils Gallimard rencontré à Maurice. A dix-neuf ans, je n’y ai rien compris. Mais je compte bien m’y remettre.

Les Souchon, des amis aussi. Soit.

Leclézio, on est parenté. Il a lu toutes ses œuvres.

– Et vous ?

– Presque. La Quarantaine, je l’ai abandonné au bout de quelques chapitres ; une écriture tournoyante, et des personnages qui tournent en rond sur une île plate, je m’en suis lassée…

– Est-ce que les œuvres de Leclézio et Malcolm de Chazal sont étudiées dans les écoles mauriciennes ?

– Ça, je n’en sais rien.

– Maurice a de l’avenir. Mais il faut créer une synergie avec les îles de la région ; il y a un potentiel énorme à exploiter entre les îles. Et ces kilomètres de territoire océanique, vous vous rendez compte !

A bâtons rompus, l’Amérique de Trump.

– Des gens incultes qui connaissent à peine la capitale de pays d’Europe, et ne parlons pas du Moyen Orient ou de l’Asie. C’est bien parti…

J’évoque l’article de l’écrivain algérien, Kamel Daoud, « La Solution par les Clowns ».

– Vous savez, répond-il, clown, c’est un métier difficile de nos jours.

Effectivement, difficile de faire rire le peuple ces jours-ci. A Maurice, on a aussi des clowns qui ne nous font pas rire.

Nita Chicooree-Mercier

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