Chronique hebdo — Médecins malgré eux

Un public trop indulgent envers tout et n’importe quoi paie les pots cassés à la longue. Des contrariétés qui irritent, énervent et dérangent la quiétude de tout et chacun s’étalent sur une liste non-exhaustive si on s’y attarde quelque peu. Voyons un peu.

Rendez-vous à répétition pour des simples formalités administratives comme si on pataugeait dans un désœuvrement chronique et que ces rendez-vous inutiles égaieraient nos journées monotones. Le fonctionnement à l’ancienne, dirait-on, une vieille habitude tyrannique qui consiste à compliquer la vie du peuple. La tyrannie est bien inscrite dans l’histoire du pays et dans l’ADN de ceux qui exercent le moindre pouvoir sur les autres, et ils en guériront un jour, va !, soupire le bon peuple.

Un appareil électroménager rend l’âme sans crier gare, un technicien polyvalent prétend réparer mais qui détient aucune compétence, une amende qu’on vous demande de payer deux fois par erreur de la farce policière, une autoroute qui menace de s’écrouler, un produit avarié vendu au public dans un grand supermarché, un plat décevant à un prix exagéré dans un resto réputé bon. Pas bien grave, tant qu’il n’y a pas mort d’homme, et le bon peuple pardonnera. Vous avez des démêlés avec ceux qui exercent des métiers qui vous plument un max ? Des métiers de voleur, dirait l’autre, tels que constructeur et avocat, par exemple, Ô rage O désespoir, et avec le temps ce goût amer vous passe à travers la gorge. Il n’y a pas mort d’homme, voyons !

Mais lorsqu’on confie son corps, parfois récalcitrant, jusqu’à l’hôpital le plus proche à quelqu’un qui a fait le serment d’Hippocrate, on s’attend à recevoir les soins adéquats prodigués avec attention et sérieux, et si par malheur, un passage sur la table du chirurgien s’avère nécessaire, on aspire de retrouver l’intégralité de son corps et d’en sortir indemne. Retrouver la santé et vivre normalement, tout simplement. C’est en accompagnant les malades dans les couloirs d’un hôpital qu’on peut constater de visu la qualité du service et de l’état d’esprit de ceux qui exercent la profession jadis noble de médecin, devenu de plus en plus… élémentaire de nos jours comme tant d’autres métiers depuis que le capitalisme débridé axé sur les gains a tout perverti sur son passage.

On en revenait pas, l’autre jour, en voyant à la télévision indienne NDTV une jeune fille en larmes dans un débat sur les nouveaux règlements concernant l’admission dans les prestigieuses universités de médecine. Elle s’inquiétait de ne pas être admise, I want to be a doctor, répétait-elle comme si son monde s’écroulerait si jamais son rêve ne se réalise pas. Et à côté d’elle, la mère également émue dans ce projet d’avenir où elle est corps et âme avec sa fille. Un rêve à deux. En face, sur le plateau un ministre et un représentant d’université essaient de se montrer rassurants quant à la possibilité de la jeune fille d’accéder au cercle divin.

A l’hôpital SSRN dans le nord, un tout jeune médecin oriente la patiente vers une autre salle le ‘Médical’, dit-il.

– C’est quoi le Médical ? lui demande-t-on.

– Allez-y. Vous verrez.

La rétention de l’information est une caractéristique quasi commune chez les employés du service public et, par effet de contagion, a atteint le privé. Du service d’accueil au bureau des spécialistes, même constat. Ils rechignent de parler, d’expliquer, d’informer et perdre leur temps avec vous, un temps qu’ils passeraient volontiers à rêvasser et patauger dans une apathie affligeante, pour ceux postés au bas de l’échelle, en attendant l’heure de la sortie tout en ayant la garantie de l’emploi et le salaire à la fin du mois payé des deniers publics.

L’orientation vers la salle ‘Médical’ est une autre paire de manches. Tout droit, à gauche, à droite, deuxième porte, etc., n’est pas leur truc. A travers le pays, ils ont horreur d’être précis ; ce manque de précision qui, dans le discours ambiant toujours empreint d’indulgence…, passe pour un trait exotique des petits insulaires innocents pas encore atteints par l’efficacité mécanique de la modernité, compliment que quelques personnes en vacances dans l’île versent allègrement sur les habitants, trahit en vérité une paresse intellectuelle, une léthargie aussi affligeante. Il a fallu passer par trois personnes différentes pour atteindre ladite salle. Deux salles ‘Médical’ d’à peu près six mètres carré dotés d’un lit recouvert d’un drap froissé et d’une hygiène douteuse sont à la disposition du public, et pour un dimanche où le bon peuple choisit de tomber malade, ce n’est guère pratique.

Un jeune médecin attablé devant un bureau quelconque s’inquiète d’avoir égaré son iphone.

– Vous l’avez oublié là-bas, l’infirmière lui tend son téléphone.

– Eh, je dois bientôt partir, hein.

– Oui, oui, c’est le dernier cas. Vous pouvez partir après.

Il feuillette le dossier du ‘cas’ nerveusement, jette un coup d’oeil sur son iphone de temps à autre et répète les mêmes questions.

Sans avoir l’air d’écouter les réponses. Vous observez la scène. Nausée, vomissements, état fiévreux depuis un mois, les médicaments déjà prescrits, radio de l’estomac aucune anomalie. Et une nuit blanche la veille avec une diarrhée en plus.

– Mais vous étiez en train de manger dans le couloir ! lance-t-il à la patiente. Il lui manquait le ‘eh ou la,’ le summum de l’élégance qu’on entend en hauts lieux ces jours-ci.

– Parce que je suis vidée, et j’ai pris des fruits.

Eh bien, continuez avec les médicaments, trop stressée peut-être ?, tout va bien. Tirez la langue, et griffonne quelque chose sur le dossier. Et c’est là que ça se corse. Intervention personnelle ou provocation…

– Vous lui demandez de tirer la langue et vous ne regardez pas ?

Mille sabords, grand Dieu !

– J’ai regardé, se défend-t-il.

– Une fraction de seconde, alors.

– Oui, et ça me suffit.

Le super toubib tâte le ventre, la malade toujours assise, et le lit inoccupé. Cet exercice ne l’enchante guère. Et là, vous avez mal? Et là, et là ?

Voilà, c’est fait. Une petite gastro. Rien de spécial, tout va bien.

Eh bien, non. Nouvelle intervention qui l’agace sérieusement.

– Vous trouvez normal qu’elle a ces symptômes depuis un mois ?

– Je n’ai pas de compte à vous rendre, je m’adresse à la patiente. Vous savez depuis quelle heure je suis là ? Vous gardez vos commentaires pour vous et bla bla bla…

Et on ne se fait pas prier. L’ego surdimensionné du mâle, il faut lui administrer le remède adéquat.

– Vous êtes au service du public, et vous êtes tenu à répondre aux questions qu’on vous pose !

Fâché tout rouge, plutôt tout noir, il est pressé de partir. On vous épargne la suite de l’échange. Avant de clore, un dernier missile à le faire sortir de ses gonds.

– Vous savez pourquoi on pose des questions ? Parce qu’il y a trop de négligences graves, des manquements, des diagnostiques erronées, des opérations fatales et j’en passe.

* * *

Quelles sont les motivations qui poussent un trop grand nombre vers la filière médicale ? Tout simplement, la capacité d’entreprendre les études de médecine, une vocation pour la profession ? Ils sont en surnombre, néanmoins. L’ambition des parents, question de prestige (qui n’a plus lieu d’être) même si la profession conserve sa noblesse alors que la compétence de certains qui l’exercent laisse à désirer. La noblesse réside dans le caractère humanitaire de la profession. Point de noblesse sans cet élément essentiel. Comme l’enseignement, c’est une profession qui exige un don de soi. Lorsque la vocation fait défaut, pourquoi cet engouement, alors ? Il y a bien d’autres métiers. Les conditions de travail, le volume horaire dans le public, et peut-être le salaire insuffisant devraient décourager plus d’un. A vrai dire, on les plaint les médecins qui passent des heures dans cette petite salle étroite, sans attrait ni confort moderne. A leur place, ce serait la déprime.

On n’est plus au 19ème siècle où on risque un procès si on ose ternir l’image d’une profession qui forme partie de l’Ordre Etabli de province protégé par des principes moraux comme au temps de Flaubert qui a dressé un portrait peu flatteur de l’élève médiocre qui sera futur médecin en le décrivant comme un grand benêt qui a du mal à prononcer les syllabes de son nom devant le professeur en classe. – Votre nom ? – Cha…Bovary. Et qui en fait la risée de la ville en le rendant cocu quelques années plus tard.

Récemment, dans une pharmacie dans le nord de l’île, le pharmacien a proposé pour des yeux larmoyants des gouttes à base de cortisone parce qu’il a décidé tout seul que la cause est une conjonctivite aiguë. On a refusé, bien sûr. Il s’agit finalement que d’un nettoyage des yeux avec des gouttes normales. Les personnages de Flaubert, médecin et pharmacien, nous sont revenus à l’esprit. Véritable parangon flaubertien de la médiocrité, le pharmacien représente la sottise et la platitude du conformisme.

En dehors de la réussite sociale et financière, ni le médecin ni le pharmacien se démarquent dans une quelconque quête de progrès ou comme partisans de la recherche. La connaissance livresque qui s’appuie sur la théorie des humeurs suffisait à Diaforus, médecin qui fait tout foirer dans la satire de Molière ‘Le Malade Imaginaire’ au 17ème siècle. L’ignorance des médecins amplement décrite dans le discours ésotérique du Médecin Malgré Lui où le mari se voit contraindre d’adhérer au souhait de sa femme à ce qu’il soit médecin et reste prisonnier de la farce que lui joue sa femme. Et pour cause, cet acharnement sur les médecins par Jean Baptiste Poquelin qui a perdu sa mère à l’âge de dix ans, une mort dont il rend responsable les médecins par leur faute et ignorance.

Et nous en 2016 ? Depuis des décennies, les exemples s’accumulent sur les soins douteux entraînant les patients à la morgue. De trop nombreux exemples de négligence, de faux diagnostiques, remèdes inappropriés, anesthésie fatale, césarienne inutile, simple appendicite compliquée, cancers non dépistés, entre autres. Le premier soin après un accident vasculaire cérébral consiste à masser le patient pour qu’il retrouve la mobilité partielle de ses membres. Comment se fait-il qu’on puisse garder un tel patient alité pendant une semaine à l’hôpital Candos sans aucun massage et sans en recommander à la sortie de l’hôpital ?

Souffrant d’un pénible mal au ventre, un autre est admis à l’hôpital de Flacq, est mis sous perfusion pendant trois jours, et rend l’âme. Que s’est-il passé, de quoi est-il décédé, aucune information est donnée aux parents surtout quand ils sont pauvres. Cet état de choses est inadmissible. Il y a un grand déficit de communication entre médecins et patients, et lorsqu’ils daignent fournir des explications, c’est presque une faveur qu’ils vous font.

De temps à autre, la médecine fait des sauts en arrière dans le 19ème et 17ème siècles manifestement. A l’ère du big business en tout, le public n’est plus d’humeur à rigoler sur les sujets graves. Un cardiologue à l’hôpital public qui demande à son patient pensionnaire de se rendre à son cabinet privé et payer six cent roupies pour une ordonnance qu’il devrait donner gratuitement à l’hôpital, c’est quand même très grave. Et que dire du manque flagrant de compassion vis-à-vis des malades dans l’attitude du corps hospitalier.

Aucune profession n’est un bloc monolithique irréprochable. Lorsqu’il s’agit de vie et de mort, il faut plus que des simples réactions outrées dans les colonnes de la presse. Il est temps de reconnaître que l’indulgence proverbiale traduit surtout une passivité et une soumission à l’Ordre Etabli qui n’a que trop duré, quelle que soit la fréquence du désordre établi. Le ministère de la Santé devrait être sur le pied de guerre pour changer la mentalité de ses troupeaux et rassurer ceux qui n’ont pas les moyens pour se tourner vers le privé. Est-ce bien sa priorité ?

* Published in print edition on 20 May 2016

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