Langue/Patois, Posture et Imposture

By Nita Chicooree-Mercier

Les défenseurs de ce qui est encore un patois se démènent pour faire croire à toute une population que le créole est une langue à part entière et qu’il mérite d’être promu en tant que tel dans les

établissements scolaires et même au parlement. Comme anesthésiés, nombreux sont ceux qui préfèrent se taire face au discours de certains ténors du vivier intellectuel local et leurs acolytes qui se manifestent sur les ondes et dans la presse.

En vérité, différentes raisons animent la démarche des promoteurs du patois créole. Mais celle qui est la plus souvent mise en avant-scène est parée d’un argument scientifique qui tente de lui conférer un statut honorable. En insistant sur le créole comme outil d’enseignement dans le primaire, on défonce une porte ouverte car ce n’est pas une nouveauté. C’est une pratique courante qui dure depuis des décennies.

Par contre, on peut remettre en question la validité de cette pratique. Dans un passé pas si lointain, les enfants qui ont le bhojpouri comme langue maternelle ou qui parlent un créole approximatif dans les villages se voyaient imposer des explications en créole. C’est aussi pénalisant que pour les enfants qui éprouvent des difficultés à apprendre dans une autre langue que le créole.

Toutefois, sous prétexte que le créole est compris par le plus grand nombre, ceci n’en fait pas la langue maternelle des Mauriciens, comme le prétendent certaines voix. Nous ne pouvons pas nous permettre d’aborder de façon simpliste notre rapport avec un patois dérivé du français qui a pris naissance dans un contexte socioculturel esclavagiste il y a plus de trois siècles et qui a évolué dans différentes voies d’une manière complexe. Parler une langue n’en fait pas votre langue maternelle pour autant si cette langue n’est pas la langue de vos parents et de votre culture.

Une majorité de la population se trouve dans une situation grotesque où leur langue et toute la richesse qu’elle porte en elle se trouve reléguée à l’arrière-plan par la force des circonstances. Il convient de remédier d’urgence à cette anomalie et de mettre en place des stratégies pour l’utilisation, dans la communication quotidienne, à une échelle plus importante, du bhojpouri (partagé par Hindous et Musulmans), le hindi, le tamoul, l’ourdou, etc., ainsi que le hakka et le cantonnais. Les langues sont des trésors et ce serait suicidaire pour les habitants de ce pays de chasser de leur patrimoine culturel les langues dont ils sont dépositaires.

Ce qui est moins mis en avant dans la promotion du créole, c’est la revendication ethnique et culturelle de la population qui se définit comme créolophone. Or, pour de nombreux protagonistes du débat, c’est la raison principale pour introduire le créole en milieu scolaire. Une langue est une composante essentielle d’une culture et il est tout à fait légitime pour ceux qui le souhaitent de promouvoir le créole et de l’utiliser comme moyen d’expression dans les écrits, les chansons, le théâtre, etc. Mais on ne peut pas prétendre imposer la définition de ce qui est patois ou langue à toute la population même si le parrain de grafilarmoni porte son œuvre à l’Eglise d’abord avant de le présenter au peuple. Pour de nombreux Mauriciens, le créole reste un patois qu’ils utilisent tout en refusant de s’aventurer dans le politiquement correct qui prétend mettre toutes les langues sur le même piédestal. Il y a suffisamment de démagogues parmi les intellectuels et les politiciens pour le faire.

Inutile de rajouter que chez les défenseurs du créole qui se trouvent dans les îles à majorité créole, c’est plus une revendication identitaire que linguistique car ceux-là préfèrent, en général, s’exprimer en français. De dire qu’ils réussissent à faire gober à Maurice et même par les politiciens ce qui leur est refusé chez eux! La docilité et la naïveté du bon peuple à Maurice…

Et qui vous dit que dans le long terme, il n’y a pas des intentions inavouées de programmer la destruction des autres apports linguistiques du pays ?

Dans la mesure où une langue est associée à une ethnie et cette ethnie est minoritaire, on se permet de s’interroger sur la pertinence d’une réclamation future d’en faire une langue nationale officielle et d’en introduire l’usage au Parlement. Ça n’existe nulle part dans le monde. Pourquoi à Maurice?

On peut aussi remettre en question l’approche utilitaire qui est faite du créole dans la hiérarchisation des langues. En quoi l’approche utilitaire devrait-elle prédominer sur les autres manières de vivre une langue? Qui a l’autorité pour en décider?

Par paresse intellectuelle, la qualité des langues parlées se dégrade dans leur pays d’origine. Dans le contexte local, le relâchement dans l’effort intellectuel requis pour parler des langues bien structurées qui contribuent à la formation intellectuelle et spirituelle d’un grand nombre d’entre nous a permis au créole de se répandre.

L’autre mensonge consiste à comparer le créole aux langues régionales anglaises ou françaises, telles que le gaélique, ou le breton alors que celles-ci sont ancrées et nourries par une culture ancienne forte et riche en légendes. Dans le cas du créole, il y a eu oubli de la culture d’origine. Ce n’est pas comparable.

La plus grande imposture consiste à faire croire qu’une langue commune entre différentes ethnies a une valeur d’unité nationale. Si c’était vrai, les descendants d’esclaves aux Etats-Unis n’auraient pas attendu cent ans après l’abolition de l’esclavage pour obtenir des droits civiques. Et pourtant, ils avaient tout adopté de leurs anciens maîtres: langue, religion, tenue vestimentaire, etc. De même, le créole n’unit pas les différentes ethnies assimilées des sociétés à majorité créole dans les départements français. Les Mauriciens ne parlaient-ils pas tous le créole lors des émeutes de 1968 ou 1999?

Le temps est un facteur important dans l’évolution des langues. Est-ce urgent de faire d’un patois une langue prématurée?


* Published in print edition on 27 May 2011

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