“Jugnauth is barking up the wrong tree” 

Interview : Me Yousuf Mohamed

“C’était inélégant de la part de SAJ de faire des déclarations de nature purement « politicaille ». C’est ‘undignified’, ‘unethical’… » 


Pourquoi pas un Président élu au suffrage universel et qui détiendra certains pouvoirs ? La récente intervention du Président de la République à la Hindu House soulève un problème évoqué maintes fois dans les colonnes de notre journal. Quelle est la limite à ne pas franchir dans de telles circonstances par ceux qui sont élus au suffrage universel ou par un Président de la République ? Dans quelle mesure l’éthique a-t-elle été bafouée ? Faudrait-il légiférer pour redéfinir les règles de conduite ? Me Yousuf Mohamed, politicien et juriste, nous donne son avis.


Mauritius Times : Les hostilités ont été déclenchées entre les deux détenteurs des postes les plus importants du pays. D’abord, quelle lecture faites-vous de l’évolution des rapports entre ces deux hommes, et quelles en seront les conséquences d’après vous ?

Me Yousuf Mohamed : Tout cela a été déclenché, premièrement, par une ambition maladive d’Anerood Jugnauth, et deuxièmement par la nécessité de venir en aide au clan Jugnauth, surtout à son fils qui est dans le pétrin à cause de cette accusation provisoire qui a été logée contre lui par l’ICAC, mais aussi contre un autre parent des Jugnauth, Mme Hanoomanjee, sur laquelle pèse également une accusation provisoire sous la POCA.

Anerood Jugnauth n’a jamais digéré cela ; il s’est montré amer récemment et c’est donc lui qui a déclenché les hostilités. Après les assurances données à Navin Ramgoolam lors de leur rencontre et annoncées publiquement par ce dernier, tout le monde avait compris que Anerood Jugnauth n’était pas partie prenante du ‘remake’ de l’alliance MMM-MSM version 2000. C’est du moins ce que Jugnauth père aurait maintenu même si c’est Paul Bérenger et le fils de SAJ, Pravind, qui ont toujours soutenu que Anerood Jugnauth démissionnerait pour retourner dans l’arène politique. Or, après son discours à la Hindu House, discours qui de toute évidence avait été préparé pour lui – les images de la télévision nous démontrent clairement ses hésitations et balbutiements. C’était une lecture difficile pour lui, toutefois il faut faire ressortir qu’il a quand même approuvé le discours puisqu’il l’a lu. Il est clair que tout cela était bien calculé et délibéré surtout avec cet aparté où il fait allusion au risque de se diriger vers un « précipice »…

En d’autres mots, ce que Anerood Jugnauth voulait clairement dire, c’est que le Gouvernement et les institutions gouvernementales sont inefficients, les policiers sont en train de souffrir, la CWA exige beaucoup trop d’argent du public, les abonnés du CEB n’arrivent pas à payer leurs factures… tout un chapelet de critiques sans pour autant reconnaître la détérioration de la situation économique sur le plan mondial. Il n’a pas non plus parlé de la dépendance du pays sur le monde extérieur, que ce soit pour l’industrie du tourisme ou du textile, pour nos matières premières, pour le pétrole dont le prix ne cesse de grimper. Il n’a pas parlé du risque d’un déclenchement de la guerre ou d’un trouble du Moyen-Orient et ses répercussions sur le prix du pétrole. Il a aussi omis de dire à son auditoire que des milliards ont été investis par la CWA et le CEB pour moderniser leurs réseaux de distribution. Il n’a pas non plus parlé du programme de modernisation de notre réseau routier à travers le pays, et qui avec d’autres projets infrastructuraux, sont en train de transformer le pays en un vaste chantier… Tout cela, il ne le dit pas.

Pour avoir été Premier ministre dans le passé, il aurait dû savoir que tout cela coûte énormément d’argent, et je pense que le PM a eu totalement raison d’affirmer que Jugnauth ne sait plus ce qu’il est en train de dire. Je ne voudrais pas utiliser le mot sénile, je ne souhaite à quiconque de devenir sénile, surtout pas notre Président de la République. Mais je considère que c’était inélégant de sa part de faire des déclarations de nature purement « politicaille » et de rester en poste en tant que Président de la République. C’est ‘undignified’, ‘unethical’, il est en train de prendre avantage de cette situation.

Voilà une personne qui a voyagé et qui a été reçu comme Président de la République de Maurice, il a joui de cette présidence et des privilèges présidentiels, il aura sa pension de Président et une protection policière après son départ du Château du Réduit – tout comme les anciens Présidents tels que Cassam Uteem et les autres…

Si j’étais à sa place, j’aurais démissionné le jour même de sa déclaration. Pour moi, il s’est montré clairement indigne du poste de Président de la République, mais il est malheureux que l’on ne puisse l’évincer comme Président en raison des provisions de la section 30 de la Constitution.

* L’ancien Président Cassam Uteem soutient lui, sur les ondes d’une radio privée, qu’il ne voit rien d’« improper » dans la démarche du Président et qu’il était même de son devoir de soulever les questions qui affectent les Mauriciens. Qu’en pensez-vous ?

Je ne suis pas d’accord avec Cassam Uteem. Si ce dernier a effectivement fait cette déclaration, c’est encore une fois de la part de quelqu’un qui n’a jamais pu divorcer du MMM. D’ailleurs n’oubliez pas qu’il a fait campagne pour son fils lors des dernières élections générales, cela en tant que Président-démissionnaire alors qu’il jouissait d’une pension du gouvernement. Son fils est resté membre du MMM. Lui, il a fait campagne pour le MMM à travers son fils. Donc, il a tout intérêt de défendre Anerood Jugnauth.

* Puisque la presse et les politiques font état d’un éventuel retour d’Anerood Jugnauth dans la politique, dites-nous : est-ce ‘proper’ qu’un ancien Président de la République puisse redescendre dans l’arène politique ?

Il n’y a aucune loi qui l’interdit, comme je l’ai déjà dit. Mais, c’est de mon point de vue ‘unethical’, ‘infradig’ et ‘undignified’. Je dirai que cela va contre l’honneur même de l’individu. Qu’il soit Cassam Uteem, Karl Offman, ‘anybody for that matter’ – ils ne sont pas appelés à revenir sur la scène politique en tant que candidat ou chef de parti.

* Vous disiez auparavant que Sir Anerood avait l’air d’une personne amère. Au fait, il a évoqué, lors de son discours au Hindu House, le principe du respect de la parole donnée comme l’une des conditions nécessaires à la mise en place d’une société respectable. Il n’a pas cité de nom, mais il semblerait qu’il s’est fâché du fait que certains n’auraient pas le respect de la parole donnée. Qu’en pensez-vous ?

Mais il faut lui poser la question : est-ce qu’il respecte sa parole, lui ? Qu’est-ce qu’il n’a pas dit contre Bérenger quand il était politicien ? N’a-t-il pas dit que Bérenger était un dictateur et que si jamais il détenait le pouvoir, il allait détruire et ruiner l’île Maurice, que Bérenger allait remplacer la Constitution de Maurice par celle du MMM ?

Et rappelez-vous de ce que Bérenger a également dit de Jugnauth : « une honte nationale… un incompétent… celui qui avait toléré les Pelladoa, Nawoor, etc., qu’il était indigne d’être le Premier ministre du pays ».

De quelle parole donnée parle-t-il aujourd’hui ? Ils se contredisent tout le temps ces deux-là. Comme le dit si bien Navin Ramgoolam, la seule personne qui peut se contredire dans les vingt-quatre heures, c’est bien Paul Bérenger – ‘just to suit his own purpose’.

Je vous disais auparavant que c’était indigne de sa part de retourner en politique, mais faut-il aussi se poser la question sur ses motivations à redescendre dans l’arène politique. Il veut sans doute protéger le clan… il ne peut pas accepter que le MSM morde la poussière. Son fils est voué à subir le rejet de la population, et il veut tout essayer afin de tirer son fils de ce précipice dont il parle lui-même.

* Précipice politique, donc, qui n’a rien à voir avec l’affaire MedPoint ?

Je ne vais pas préjuger la décision du magistrat, mais tout ce que je peux vous dire en tant que légiste, c’est que la loi est formelle : tout trafic d’influence est condamnable. D’après ce que j’ai pu comprendre, la poursuite considère qu’elle a un ‘solid case’ contre Pravind Jugnauth et Mme Hanomanjee.

* Pensez-vous que SAJ est en train de procéder par étapes – cette première sortie étant le prélude d’une vaste opération de déboulonnage du régime ? On pourrait supposer que le Président n’aurait pas fait cette sortie contre le gouvernement s’il n’avait pas déjà décidé de partir – avant le 16 avril prochain pour la lecture du nouveau programme gouvernemental… ?

Je pense qu’il va rester un certain temps pour essayer de se servir de cette plate-forme présidentielle pour ‘miner’ l’actuel gouvernement. ‘But he is barking up the wrong tree…’ ; il ne pourra faire aucun tort au gouvernement. Un gouvernement solide est en place et toutes ces tentatives dont on parle en vue de débaucher certains dans les rangs de l’alliance gouvernementale vont échouer lamentablement. C’est peine perdu que d’essayer de ‘target’ des gens comme Anil Baichoo, Mukeshwar Choonee ou Reza Issack. D’ailleurs, ces derniers ont juré fidélité au PTr et à son leader. Je connais Reza Issack personnellement et je peux vous affirmer qu’il n’a pas le tempérament d’un traître.

* SAJ ne va pas non plus démissionner pour le bon plaisir de Paul Bérenger sans de solides garanties quant aux modalités d’une nouvelle alliance, n’est-ce pas ?

Nous sommes tous au courant de ce que recherche Anerood Jugnauth, mais quel est l’objectif de Paul Bérenger ?

Clairement, sa stratégie consiste à essayer de diviser la communauté hindoue, et il se sert d’Anerood Jugnauth dans ces desseins en vue de provoquer la défaite de Navin Ramgoolam aux élections générales. Ce qui est déplorable, c’est l’attitude d’Anerood Jugnauth qui se prête volontairement à ce jeu.

Pire, il affirme cette fois-ci que l’indépendance a été acquise grâce à Razack Mohamed, Sookdeo Bissoondoyal et lui-même. Ecoutez, libre à lui de se flatter… mais s’il a pris part à l’une des conférences constitutionnelles, ça ne veut nullement dire qu’il a été l’architecte de l’indépendance.

L’indépendance de Maurice est l’œuvre du Dr Seewoosagur Ramgoolam. Mon père Razack Mohamed lui a donné un coup de main dès lors qu’il a su que le Parti Mauricien n’allait pas le soutenir pour obtenir une garantie constitutionnelle pour un certain nombre de sièges – ce qui, par la suite, a été établi dans le cadre du Best Loser System.

N’oubliez pas qu’il a soutenu le Dr Ramgoolam à ses dépens puisqu’il a été vaincu par la suite à la Plaine Verte en 1967 en raison de la propagande véhiculée par les adversaires du Parti de l’Indépendance à l’effet que les Musulmans allaient être convertis de force par les Hindous au cas où l’Indépendance serait acquise.

Mon père était avec SSR lors de la conférence constitutionnelle et durant la campagne électorale, mais je ne vais nullement affirmer que c’est Razack Mohamed qui a obtenu l’indépendance. Sans aucun doute, il a apporté son aide et son soutien à la lutte dirigée par le Dr Seewoosagur Ramgoolam. Si c’est de cela que Jugnauth est en train de parler, dans ce cas, il a raison. Affirmer que ce n’est pas le Dr Seewoosagur Ramgoolam qui a lancé l’idée et milité en faveur de l’indépendance, c’est aller contre des faits historiques mais aussi à l’encontre de la mémoire collective du pays.

Par ailleurs, il faut se demander ceci : « Pourquoi Jugnauth se met aujourd’hui à associer son nom à Razack Mohamed et Sookdeo Bissoondoyal ? » C’est clair qu’il cherche à récuperer l’électorat musulman et hindou. Mais ça ne marchera pas car les fils de Razack Mohamed sont toujours là pour contrer cette basse manœuvre politique.

* Demain si le ‘remake’ 2000 est conclu, diriez-vous que les carottes sont cuites pour l’alliance au pouvoir ?

Pas du tout. A Anerood Jugnauth, Paul Bérenger et aussi au fils Pravind, je dirai, pour reprendre cette formule de Arvind Boolell, « Arrete rever, camarades ! » Navin Ramgoolam est fort. Les gens lui font confiance en tant que rassembleur de tous les Mauriciens. Les pays étrangers et les institutions internationales ont du respect pour le progrès économique accompli par le pays.

* Même s’il paraît fort improbable que le Président restera en poste au-delà du 16 avril prochain, que se passera-t-il s’il décide de ‘stay put’ ? Un Président hostile, du point de vue d’un Premier ministre, constitue-t-il une menace du fait de ses pouvoirs et prérogatives constitutionnels pour un gouvernement dont la majorité au Parlement pourrait être remise en question ?

D’abord, je pense qu’il restera aussi longtemps qu’il le jugera nécessaire pour ‘miner’ le gouvernement et, éventuellement, il partira et s’associera avec Paul Bérenger. Par ailleurs, il ne pourra jamais remettre en question la majorité, mais il va sans doute utiliser la position qu’il occupe présentement pour essayer de fragiliser le gouvernement et la force politique de Navin Ramgoolam.

En ce qui concerne les spéculations par rapport aux tentatives de débauchage dirigées en direction de certains membres de la majorité, je maintiens que cela ne donnera pas les résultats escomptés par l’opposition. Toutefois, un Premier ministre qui se trouve en minorité aura la possibilité, selon notre Constitution, de dissoudre le Parlement et tenir des élections générales. C’est le Premier ministre qui aura le dernier mot pour la tenue de nouvelles élections générales. Ce n’est pas, comme dans certains pays étrangers, où le Président détient le pouvoir de nommer tout autre membre du Parlement qui parvient à prouver qu’il contrôle une majorité au Parlement.

Par ailleurs, faute de pouvoir mettre l’actuel gouvernement en minorité, l’opposition, nous dit-on, semble privilégier une démission en bloc. Dans une telle éventualité, je conseillerai au Premier ministre de tenir des élections partielles.

* Navin Ramgoolam a évoqué la problématique qui consiste en l’élection d’un Président à la majorité simple mais qui requiert une majorité de deux tiers pour le démettre de ses fonctions, ce qui donne lieu à deux pôles de pouvoir dans notre pays. Faut-il corriger cette anomalie, selon vous ?

Cela pose sans doute un problème, mais il contient quand même une certaine garantie. Je ne pense pas qu’il faille chercher à amender la Constitution du pays en raison de la conduite d’Anerood Jugnauth présentement. On pourrait demain se retrouver avec un Premier ministre capricieux qui, sur un coup de tête, décide de relever le Président de la République de ses fonctions grâce à sa majorité simple au Parlement. Ce serait dangereux. A moins qu’on veuille changer le système et qu’on décide d’introduire l’élection du Président de la République au suffrage universel direct.

* Un Président de la République, élu au suffrage universel, et qui présiderait le Conseil des ministres ?

Personnellement, je suis en faveur d’un tel projet, c’est-à-dire un Président élu au suffrage universel et qui détiendra certains pouvoirs – comme c’est le cas en France.

* Le Premier ministre a dit son intention d’inclure des propositions concernant son projet de réforme électorale dans le nouveau discours programme qui sera lu le 16 avril prochain. A quoi vous attendez-vous ?

S’il vient effectivement avec un nouveau programme, pourquoi pas cette proposition en faveur d’un Président élu au suffrage universel et qui détiendra certains pouvoirs ?

* Ce serait improbable qu’il vienne de l’avant pour proposer l’abolition du Best Loser System ?

Ce ne serait pas dans l’intérêt du Parti Travailliste ou de son allié, le PMSD. D’abord parce qu’il ne pourra pas rallier une majorité de trois quarts au Parlement. Ensuite, je ne cache pas mes sentiments à ce propos : je suis pour le maintien du Best Loser System ; il a fait ses preuves, nous connaissons la stabilité et l’harmonie grâce à ce système. Beaucoup de personnes de toutes les communautés souhaitent, comme moi, son maintien. Donc je dis qu’il ne faut pas toucher à cela. Je n’arrive pas à comprendre ce qui a poussé Navin Ramgoolam à vouloir changer le système.

Par ailleurs, je dois dire que le ‘party list’, comme préconisé par Rama Sithanen, est bon – aussi longtemps que nous avons des gens raisonnables comme Premier ministre , par exemple Navin Ramgoolam – il ne se laisse pas influencer par quiconque. Je ne dirais pas la même chose en ce qui concerne Anerood Jugnauth ou Harish Boodhoo…


* Published in print edition on 22 March 2012

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