Liberté, transparence et démocratie

Nous savons d’ores et déjà que nous ferons face à une crise économique d’envergure, il ne faudrait pas rajouter à cela une crise de la démocratie.

By Dr Avinaash Munohur, Politologue


« Gardez la liberté ! Et gardez cette liberté qui va bien plus loin que l’impertinence. L’impertinence ce n’est pas la liberté ; la liberté, c’est de montrer ce que vous avez considéré qu’il fallait montrer. »

— François Hollande à un journaliste satirique


Le principe d’une surveillance et d’une vigilance n’est pas en lui-même un problème – mais cette surveillance ne doit jamais ouvrir la porte à des abus dangereux du pouvoir. Photo – www.investigaction.net/fr/


La suspension de Top FM pour une affaire remontant à plusieurs mois déjà et l’arrestation d’une citoyenne pour avoir posté un « Meme » humoristique sur sa page Facebook n’ont pas manqué de susciter l’émoi et l’inquiétude de beaucoup.

Il y a bien évidemment le droit que chaque citoyen se doit de respecter, mais les raisons légales évoquées dans ces affaires sont apparues aux yeux de beaucoup comme de vaines tentatives pour faire taire ce qui pouvait apparaître comme contradictoire au discours officiel du pouvoir en place.

Le lien entre la liberté d’expression, le droit à l’information et la démocratie n’a jamais relevé uniquement de la bienséance et de la bonne pensée. Il ne s’agit pas de quelque chose à être tolérée ou non par le pouvoir, mais d’un lien structurel qui renvoie à la définition même de ce qu’est la démocratie dans son organisation moderne.

Il est aisé de constater que le régime des élections ne cesse de s’étendre dans le monde, mais nous voyons bien que la démocratie ne s’en porte pas forcément mieux. Des pays dont la tradition démocratique ne devrait plus être à prouver sombrent dans des pratiques indignes – notamment au niveau des représailles faites contre des lanceurs d’alerte, du fait de vouloir museler les médias et du fait d’imposer une surveillance parfois punitive sur la libre circulation des opinions et de la parole sur les réseaux sociaux.

Le principe d’une surveillance et d’une vigilance n’est pas en lui-même un problème – surtout à l’ère de l’hyper-circulation de l’information et des Fake News qui imposent que des limites soient posées – mais cette surveillance ne doit jamais ouvrir la porte à des abus dangereux du pouvoir.

Ainsi certaines inquiétudes et certaines indignations sont justifiées, et appellent à une réflexion sérieuse sur les combats à mener pour que notre jeune démocratie puisse se renforcer contre cette tendance – sans toutefois sous-estimer que ces combats contre la répression trouvent parfois en face d’eux l’approbation revendiquée de certains à ces agissements du pouvoir.

Il y a ainsi – toujours là – différentes conceptions de la démocratie qui s’affrontent.

  • D’un côté, il y a ceux qui voient dans la démocratie un système organisant les libertés.
  • De l’autre côté, il y a ceux qui voient la démocratie comme un pur système de la représentation où les élus ont, par essence, le pouvoir d’agir selon le dictat du peuple.

Ces deux conceptions ne sont pas forcément contradictoires, mais peuvent le devenir si les pratiques du pouvoir dévient des règles et des lois organisant le système démocratique.

Dans son immense œuvre sur les démocraties modernes, Pierre Rosanvallon définit la démocratie comme le régime de la délibération publique. La délibération publique implique plusieurs choses, mais allons à l’essentiel : la délibération publique implique que les citoyens soient bien informés afin d’être capables de délibérer, de discuter, de débattre et d’échanger.

C’est en ce sens que la démocratie – comme régime de la délibération publique – repose sur l’implication des citoyens dans le débat publique, et cette implication des citoyens requiert trois choses :

  • la libre circulation des informations et des idées (liberté de la presse) ;
  • la transparence des institutions (droit à l’information) ;
  • et la libre parole des citoyens (liberté d’expression).

Ainsi la liberté d’expression, le droit à l’information et la liberté de la presse ne sont pas de simples pratiques des libertés individuelles mais les fondements même de l’organisation de la liberté publique sous le régime de la délibération qu’est la démocratie.

Il s’agit de rouages essentiels afin que le système fonctionne correctement. En effet, il n’y a pas de délibération possible sans libre circulation de l’information, des idées et des connaissances. Il n’y a également pas délibération possible sans transparence. Et, enfin, il n’y a pas de délibération possible sans la liberté de délibérer, donc de s’exprimer.

Cela va plus loin même car la liberté de la presse, la liberté d’expression et le droit à l’information ont une fonction représentative toute aussi importante que la représentation politique. En effet, sans une presse libre, sans des citoyens qui soient capables de s’exprimer et sans l’accès à l’information, il est impossible de représenter les problèmes de la société, ce qui est fondamental au bon fonctionnement des institutions publiques et au bon fonctionnement de la justice sociale (dans tous les sens de ce terme).

Les journalistes, les divers médias, les lanceurs d’alertes et les intellectuels permettent ainsi une représentation élargie de la société et permettent aux citoyens de jouer activement leur rôle. Ils permettent aux citoyens d’être vigilants, curieux des affaires publiques et impliqués dans les décisions qui les concernent. Ils permettent également aux citoyens d’y voir plus clair dans l’opacité des procédures étatiques et institutionnelles.

Ils permettent de transformer cette opacité des gouvernants en une lisibilité transparente, ce qui – à son tour – permet aux citoyens de comprendre les enjeux nationaux et d’avoir une visibilité sur l’avenir. Ils participent ainsi à rendre le pouvoir lisible et à mettre les actes du gouvernement en pleine lumière. C’est en ce sens qu’ils forment un contre-pouvoir essentiel.

Ainsi, lorsque l’on dit que la démocratie est un régime de la délibération publique, nous disons – dans le même temps – que la démocratie est un régime de l’organisation de la liberté publique, un régime de la vigilance collective et un régime de la lisibilité du pouvoir. Sans cette liberté, sans cette capacité de délibérer, sans cette lisibilité, nous serions plongés dans une opacité inquiétante et dangereuse : celle qui peut mener aux pires dérives totalitaires.

Cette crise sanitaire et ce confinement, qui ont démontré l’importance des médias et des réseaux sociaux dans le fait de garder les citoyens informés, ont également démontré qu’il reste beaucoup à faire afin de renforcer notre démocratie.

Ne serait-il pas enfin temps d’adopter une Freedom of Information Act, de modifier la MBC Act afin de la rendre indépendante du pouvoir (comme la BBC peut l’être), de revoir les lois répressives à l’égard de la liberté d’opinion des journalistes et d’amender certaines dispositions de l’ICTA pour favoriser la liberté d’expression tout en responsabilisant les utilisateurs des réseaux sociaux ?

Espérons que ces mesures seront prises par le Gouvernement au sortir de cette crise sanitaire. Nous savons d’ores et déjà que nous ferons face à une crise économique d’envergure, il ne faudrait pas rajouter à cela une crise de la démocratie.


* Published in print edition on 21 April 2020

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