Le soupçon est dans l’air du temps

Analyse

Par Aditya Narayan

L’attribution des marchés publics pose toujours problème à Maurice, qu’il s’agisse d’un contrat de fourniture de produits ou de services, d’un contrat d’installation d’équipements lourds ou d’un contrat de construction pour le compte du Gouvernement central, ses organismes parapublics (CEB, CWA) ou ses entreprises publiques (SBM, Air Mauritius). Vices de procédure, avis d’appel d’offres taillé sur mesure, surévaluation des soumissions, conflits d’intérêts entre soumissionnaires et adjudicateurs – tous les ingrédients de la mauvaise gouvernance sont réunis pour semer le doute sur l’ensemble du  système.

« A chaque fois qu’il y a un scandale, on a droit à la réaction prévisible des autorités concernées: l’ICAC sera appelée à faire une investigation et, en attendant les résultats, toutes les questions restent sans réponse. Même au Parlement les députés ne peuvent interpeller le Gouvernement sous le prétexte officiel que l’ICAC s’en occupe. A ce jour, bien des menus fretins ont été pris dans les filets mais les gros requins de la fraude, de la corruption et du blanchiment d’argent restent au large… »


Le dernier scandale a été ébruité par la Banque africaine de développement (BAD), dont le bureau d’investigation (Office of Integrity and Anti-Corruption) a pointé l’administration mauricienne du doigt concernant l’attribution du contrat d’installation de moteurs à la station électrique de Saint Louis à une firme danoise,à savoir Burmeister & Wain Scandinavian Contractor (BWSC).

L’accusation de maldonne est venue non pas d’un parti politique cette fois-ci, mais de la BAD, une institution de financement de renom et non des moindres,et elle ne peut donc être balayée d’un revers de la main. Ce que dit la BAD est très grave pour l’image de marque de Maurice, qui est déjà empêtrée dans d’autres affaires sournoises dans le secteur offshore au moment où elle se démène pour attirer des investisseurs étrangers.

Le CEB sur la sellette

En 2014-2015, BWSC avait fait une soumission pour le projet de redéveloppement de la station thermique de Saint Louis, financé par la BAD à  hauteur de Rs 3,5 milliards. Le bureau d’investigation de la BAD a conclu que la compagnie danoise était fort probablement impliquée dans des “pratiques frauduleuses et corrompues” dans le contexte du projet, dont le coût fut majoré de Rs 700 millions pour faire passer le financement à Rs 4,3 milliards.

Le communiqué de la BAD du 8 juin 2020 declare: Evidence supports a finding that Burmeister & Wain, on a balance of probabilities, financially rewarded members of the Mauritian administration and others, through the intermediary of third parties, for providing access to confidential tender-related information which allowed them to tailor the technical specifications of the tenders to its offering, thus gaining an undue competitive advantage over other tenderers. Burmeister & Wain further concealed the arrangements it had entered into with the third parties, in breach of the rules governing the tenders.”

Le Gouvernement ne peut feindre la surprise ou l’ignorance face aux révélations de la BAD. Le leader du MMM et un ex-député du MSM avaient lancé l’alerte sur ce contrat du CEB au Parlement dans le passé, mais leurs avertissements ne furent pas pris au sérieux. Aujourd’hui, la BAD leur donne raison.

Cette nouvelle affaire vient s’ajouter au palmarès des controverses sur les marchés publics qui jalonnent l’histoire récente du pays. Nous nous rappelons de l’affaire MedPoint (clinique achetée par l’Etat à un prix représentant le double de l’évaluation initiale) et de l’affaire Betamax (contrat à source unique attribué à une compagnie privée pour le transport des produits pétroliers) qui ont été débattues en Cour par les parties prenantes avec les résultats que l’on sait.

Malheureusement, il y a une impression que les règles de la mise en concurrence des soumissionnaires pour un projet spécifique ne sont pas rigoureusement respectées, comme l’enquête de la BAD sur l’affaire BWSC le prouve.

Coûts excédentaires

Il y a eu d’autres projets dont les coûts ont augmenté en cours de route, allant très largement au-dessus de l’évaluation initiale. Et, pourtant, la performance de ces projets est sujette à caution, comme les routes construites à prix élevé mais qui ne résistent pas à l’assaut de la moindre pluie diluvienne. Le complexe sportif de Côte d’Or, qui a coûté Rs 4,97 milliards contre l’estimation initiale de Rs 3 milliards, en est un exemple flagrant. Ne parlons pas du projet faramineux de Safe City ou encore de l’échec du projet de Heritage City. Les coûts excédentaires des projets semblent devenus la norme alors que les méthodes pointues d’évaluation financière sont disponibles avec des logiciels très avancés.

A chaque fois qu’il y a un scandale, on a droit à la réaction prévisible des autorités concernées: l’ICAC sera appelée à faire une investigation et, en attendant les résultats, toutes les questions restent sans réponse. Même au Parlement les députés ne peuvent interpeller le Gouvernement sous le prétexte officiel que l’ICAC s’en occupe. A ce jour, bien des menus fretins ont été pris dans les filets mais les gros requins de la fraude, de la corruption et du blanchiment d’argent restent au large.

Le crime à col banc n’est pas vraiment puni à Maurice. Si quelqu’un est poursuivi, il peut se payer les services d’avocats réputés pour utiliser toutes les procédures légales en sa faveur, et ce, en grimpant les divers paliers du judiciaire jusqu’au Conseil Privé. Cela prend des années pour avoir une conclusion de l’affaire non sans mentionner le fait que la poursuite peut changer de fusil d’épaule en cours de route pour saboter ses propres charges.

Contre cette toile de fond sombre, devrait-on s’étonner si l’Union européenne décide de placer le pays sur la liste noire des juridictions dont le dispositif de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme présente des carences stratégiques ? Le placement de Maurice sur une liste noire causera un dommage significatif à la réputation du centre financier international, entamera la confiance des investisseurs, affaiblira les flux d’investissements transfrontaliers, et entrainera une fragilisation générale du système bancaire local.

Image ternie du pays

Le Groupe d’Action Financière (GAFI) avait déjà placé Maurice sur la liste grise des juridictions qui ne répondent pas à tous les 58 critères de l’accueil, de la surveillance et du contrôle des investissements étrangers et des placements de capitaux dans le secteur offshore. Suivant l’acte du GAFI, la banque centrale de l’Inde a nié à certaines sociétés incorporées dans le centre offshore local le droit d’investir sur son sol.

Cela, rappelons-le, intervient après la révision du traité de non-double imposition entre l’Inde et Maurice afin d’accorder aux autorités indiennes le droit d’imposer la taxe sur les gains en capital sur les investissements en Inde effectués par des sociétés domiciliées à Maurice.

Allant plus loin que l’Inde, le Sénégal vient d’abroger son traité de non-double imposition avec Maurice en raison de la perte de revenus fiscaux due au fait que les sociétés investissant sur son sol paient l’impôt sur les bénéfices non pas dans la juridiction de source (Sénégal) mais dans la juridiction de résidence (Maurice). Il est à craindre que d’autre pays africains n’emboîtent le pas au Sénégal pour redessiner leurs rapports avec Maurice. Ce n’est pas un bon signe quand on veut investir Rs 10 milliards en Afrique à travers la Mauritius Investment Corporation (MIC).

A la lumière de tous ces manquements à la bonne gouvernance, comment ne pas poser des questions légitimes sur le fonctionnement de nos institutions de contrôle telles que le Central Procurement Board, la FSC et la Banque centrale ?  

  • La FSC a accordé une licence d’investissement non-bancaire à l’investisseur angolais Sobrino qui fait l’objet de poursuites ailleurs.
  • Des sociétés de la famille Dos Santos, accusées de détournement de fonds en Angola, sont domiciliées à Maurice.
  • La Banque centrale permet un laxisme chez les grandes banques commerciales (SBM, MCB) qui accordent des prêts sans garantie à un milliardaire indien, qui a été placé en état d’insolvabilité aux emirats arabes unis.
  • Les entreprises d’Etat ne font pas mieux. Air Mauritius court vers la banqueroute. Le CEB a créé des compagnies privées (ex: Fibernet) pour investir dans l’installation de câbles optiques et autres facilités dans le pays sans que le Parlement n’ait un droit de regard sur ses comptes.

Pour couronner le tout, la MIC va maintenant investir de l’argent public (Rs 80 milliards) dans des entreprises sans être comptable de ses décisions au Parlement. Qui seront les bénéficiaires de ces investissements? Question pour un champion.


* Published in print edition on 12 June 2020

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