« Le PTr, le MMM et le PMSD sont dans l’opposition. Qu’ils y restent. Qu’ils assument leur rôle parlementaire »

Interview : Jack Bizlall

* ‘La pandémie peut nous faire reculer comme nous faire avancer dans l’histoire. Un rien peut tout remettre en question’

* ‘La mobilisation populaire doit absolument se faire sans populisme’


La pandémie qui a secoué le monde inquiète le monde syndical. Les nouvelles provenant d’ailleurs ne sont pas bonnes. La perte d’emplois nous oblige à repenser notre économie afin de ne pas sombrer dans la psychose. L’unité et la solidarité sont essentielles, mais plus encore, il faut que les patriotes se mettent ensemble pour réfléchir à un mode de vie alternatif, à plus de responsabilité sociale et économique, et à l’équilibre écologique pour assurer la sécurité alimentaire. Jack Bizlall nous en parle.


 Mauritius Times : Maurice a surmonté la pandémie du coronavirus sans trop de dégâts, mais le pire est à venir, parait-il, en ce qui concerne ses conséquences sur le plan économique mais aussi social. Êtes-vous inquiet pour le pays ?

Jack Bizlall : Je ne crois pas que c’est le moment de démontrer une inquiétude paralysante, amplifiée par une politique inappropriée. Il y a donc nécessité de se pencher sérieusement sur deux choses : le rétablissement de la confiance par la sécurité alimentaire, sanitaire, corporelle, etc… Et le maintien de notre niveau de vie conçu autrement. Mais surtout pas d’attaques soutenues par la répression étatique sur les vrais producteurs que sont les travailleurs… C’est cette classe sociale qui va être le premier moteur du redressement économique… Il faut incruster ce fait dans notre conscience…

En parlant de changement économique, il faut que l’on porte attention à l’économie réelle et ainsi un retour vers l’agriculture, l’agro-industrie et un retour à une autre industrialisation (incluant celle de substitution à l’importation) et de l’économie de proximité (incluant l’économie informelle non illicite). Il ne faut plus faire de notre économie d’appoint de substitution à l’exportation un appendice à l’économie des pays développés.

Normalement, nous devrions subir une crise économique déflationniste comme après la crise de 1929. La production internationale baisse considérablement… suivant la baisse générale de la croissance au niveau mondial surtout si on l’amplifie par la baisse de la masse salariale.

On verra si les dispositions prises ne vont pas dans la direction inverse artificiellement. Dans les deux cas, la situation risque effectivement de s’aggraver. Quelqu’un m’a dit l’autre jour que si l’Etat finance massivement la consommation par les salaires et autres allocations sociales, le résultat ne peut être la désinflation… accompagnant la déflation. Il y a une nuance entre les deux termes, comme c’est le cas entre la globalisation et la mondialisation…

      Je pense qu’il faut mettre de côté les indices d’analyse que le capitalisme impose sur les sociétés à travers leurs intellectuels organiques. Je regarde trois indices :

  • la surproduction qui s’amplifie par la productivité de plus en plus croissante ;
  • la désocialisation du travail et ainsi le chômage structurel résultant de cette surproduction, et
  • le niveau d’intervention de l’Etat par l’étatisme.

Donc j’analyse non seulement les FAITS, mais aussi les RAPPORTS.

 Il faut que la masse populaire s’organise dans le but de rectifier tout dérapage. Son engagement dans un cadre de pouvoir extraparlementaire est plus que jamais souhaitable pourvu qu’il ne soit pas populiste de droite comme de gauche.

* Plusieurs pays se préparent à une vague de licenciements et de faillites sans précédent dans les mois à venir. Ici même, le ministre des Finances a estimé que le nombre de chômeurs pourrait atteindre les 100,000 d’ici la fin de cette année. A l’état actuel des choses, comment se présente déjà la situation sur le plan de l’emploi et des relations industrielles ?

Il faut comprendre deux choses de mon point de vue :

1) Il faut prendre des mesures pour protéger les salaires et l’emploi. Notre économie interne repose presque entièrement sur les salaires et la consommation. Si on adopte la bonne solution de soutenir financièrement les salaires et la consommation, conjointement par le secteur privé et l’Etat, on n’aura pas une masse d’emploi perdue irrémédiablement. Avec un financement de 30 à 35 milliards du secteur privé et le reste par l’Etat, je ne vois aucun problème pour transcender cette crise économique ;

2) Retourner à l’économie de production et revoir notre secteur de service. C’est un secteur trop important par rapport à l’économie réelle. Il faut prendre état que beaucoup de pays vont appliquer une politique d’échange internationale basée sur le protectionnisme. Serons-nous en situation de 1973-74 avec l’endettement des Etats (FMI et BM) pour relancer l’économie mondiale ou en 1983-84 quand les Etats-Unis ont soutenu la production internationale par la dette de leurs ménages, de leurs industries et de leur État. Ou devrons-nous puiser dans les avoirs et les accumulations du secteur financier pour sortir de ce pétrin ? Ici, comme ailleurs. En France, on commence à parler d’une taxe spéciale sur la richesse.

Au nom de l’Observatoire de la démocratie, j’ai fait plusieurs propositions au Gouvernement. Je crois qu’il va adopter une stratégie économique néokeynésienne. Il faudra porter notre attention sur ses investissements. Le BOT sera de retour ainsi que l’investment swapping du secteur privé par des privatisations directes et indirectes.

Il faut donc se concentrer en priorité sur l’emploi, les salaires directs et indirects, les heures de travail, la protection sanitaire sur les lieux de travail et la pension. Les négociations se tiennent en ce moment dans le secteur du Tourisme-Hôtellerie-Transport (aérien). Il n’y a plus de négociation collective. On est en train d’éliminer implicitement la reconnaissance des syndicats. J’ai opté pour que les discussions se fassent au ministère du Travail. Sinon les relations industrielles peuvent se retrouver au plus bas niveau comme dans les années 70. La mobilisation populaire doit absolument se faire sans populisme.

Mais qui osera remettre en question les Smart Cities, rétablir les opérations bancaires sur ses bases comme l’a recommandé un ancien gouverneur de la banque d’Angleterre… démanteler le surendettement des ménages…Toute une liste de mesures a été proposée au Gouvernement.

* Avec Rs 60 milliards mises à sa disposition par la Banque de Maurice, et qui vont servir, entre autres, à soutenir le tourisme et le secteur manufacturier, le Gouvernement devrait pouvoir mitiger les conséquences négatives sur l’économie mauricienne. Mais voilà qu’on parle déjà de 100,000 chômeurs d’ici la fin de cette année. Est-ce normal ?

Il faut un système d’intelligence pour agir sinon ce sera de l’argent gaspillé. Avec les fonds disponibles et la contribution de secteur privé, le Gouvernement peut recueillir plus de 110 milliards… Il aura besoin d’argent pour financer le budget national… Les revenus de l’Etat seront en baisse… moins de taxes directes et indirectes… bien plus de dépenses sociales…

Il faut aborder le redressement de l’économie secteur par secteur et commencer par le plus faible en ce moment : le secteur touristique. Inclure dans ce redressement l’hôtellerie, l’aviation civile (à commencer par Air Mauritius, les agences de voyage, etc.,) ; le commerce moyen de gamme et haut de gamme (nous avons un autre problème qui nous attend qui est la Mauritius Duty Free Paradise…). Il faut un accord global. Par exemple, dire aux hôtels de consommer la production locale.

En accordant notre attention à ce secteur en priorité, nous apprendrons à régler l’autre problème des fonds de pension… sans oublier que la protection du pays – après le déconfinement des frontières – ne pourra se faire que par l’aéroport. Nous en sortirons gagnants sur tous les plans.

* Dans l’hôtellerie, plus de 4,000 employés de New Mauritius Hotel pourraient avoir une réduction de leur salaire d’environ 50% le mois prochain, apprenons-nous ; ce qui permettra, selon le management de la compagnie, de préserver les emplois tout en réduisant la masse salariale temporairement. Est-ce inévitable du fait de la suspension du business dans ce secteur ?

D’abord, cette histoire de 50% n’est pas une décision de la NMH, mais une proposition faite à l’Hôtel Shandrani et mal répercutée. Avec la Hotel and Restaurant Employees Union (HREU), je rencontre la NMH le 1erjuin 2020 et nous serons plus en mesure de savoir ce qu’il en est exactement. Attendons…

Lors de la crise dite des subprimes 2007-08 qui a eu des répercussions jusqu’en 2010, nous avons eu un accord avec la NMH pour la préservation totale de l’emploi alors qu’il y avait une baisse importante dans l’occupation des chambres et un système de négociation individuelle au cas par cas avec chaque touriste pour les inciter à venir ici.

Nous avons soumis à l’arbitrage une question d’incapacité de paiement de la NMH en cas de force majeure. L’arbitre M. R. Chetty n’a pas voulu arbitrer sur les définitions proposées et a laissé le soin aux avocats de le faire conjointement.

Nous sommes dans une situation de force majeure, et il faudra reprendre la question. Cet élément de force majeure devrait animer les négociations collectives sous la protection des lois du pays. Nous avons deux gros handicaps à résoudre concernant les amendements qui ont été apportés à la Workers Rights Act à la fois dans ses définitions, et sa légalité par rapport aux conventions du BIT et à notre constitution, sans oublier les pouvoirs excessifs que détient le Premier ministre. Il faut aussi définir les pouvoirs du ministère du travail.

* Alors qu’on parle de solidarité, de burden sharing, on amende en même temps les lois du travail, ce qui pourrait faciliter la mise à pied des travailleurs au nom de la pandémie. D’autre part, alors que les autorités se défendent de quelque tentation autoritaire avec la Covid-19 Act, voilà que la police aurait débarqué chez certains employés d’Air Mauritius pour s’enquérir, allègue-t-on, s’ils comptent se rassembler pour manifester. Comment réagissez-vous à cela ?

      J’ai initié des dispositions à trois niveaux à ce sujet :

1) Que les travailleurs mettent à la porte ces policiers. Ils n’ont aucun droit d’agir ainsi, voire même de rapporter ces cas à la police.

2) Si la décision vient des deux Administrateurs, il faudra vérifier, on va manifester contre lui comme il y a une manifestation qui sera organisée contre le Président de la République. Une lettre lui a été adressée à ce sujet.

3) C’est une décision du Commissaire de police. Lui aussi, il aura à rendre des comptes. Je sais que dans les années 70, la police soumettait un rapport chaque jour au ministre du Travail lui indiquant la situation dans le pays. J’ai vu de mes yeux de tels rapports que le responsable de ce ministère me montrait régulièrement, en cachette. Il faudra un jour mentionner son nom. Il était un démocrate

Par ailleurs, si une manifestation est organisée après le 1erjuin et que la police refuse l’autorisation aux organisateurs, il faudra, comme la loi le prévoit, demander la justice à notre judiciaire. Si nous sommes dans une période d’exception, du 23 mars au 1er juin 2020, pour raison de la pandémie, on ne peut étendre le pouvoir du PM, d’étendre cette période by regulations.

Je regrette que des juristes qui m’ont grandement aidé dans le passé ne soient plus là. En l’occurrence Madun Gujadhur, Kader Bayat, Robert Ahnee…Ils sont décédés. Mais j’en ai parlé à Dev Ramano et je vais demander à plusieurs avocats de ma connaissance de nous aider. Je vais tester tout pouvoir arbitraire de la Police et du PM. Je regrette que les Obeegadoo, Collendavelloo, Gannoo soient dans le Gouvernement. J’espère que ce ne sera pas pour longtemps puisqu’ils auront à prendre position un jour ou l’autre…

Je vais aussi demander aux présidents des syndicats de produire un affidavit concernant la conversation qu’ils ont eue avec l’administrateur principal. Rassurez-vous, il y aura un champ de combat juridique à initier.

* Le confinement aidant, la résistance, que ce soit du côté des syndicats ou des forces de l’opposition, n’est pas en mesure de s’organiser. Au nom de la pandémie, tout risque de passer…

Je suis attentivement le comportement des syndicats. Il existe des syndicats opportunistes qui se cachent derrière les autres pour ensuite tirer les marrons du feu. Il existe des agences syndicales qui ne voient pas les intérêts objectifs des travailleurs pour des raisons que je n’ose mentionner. Il existe des syndicats corporatistes qui ne défendent que leurs intérêts et qui ne recherchent le soutien des autres que quand ils sont dans le pétrin.

Il existe sans doute des syndicats qui ne se rendent pas compte qu’un syndicat est un front de lutte… et qu’il faut savoir analyser l’état de la situation de notre pays et du monde, et prendre les actions qui s’imposent dans le cadre de ce que l’on peut proposer comme alternative qui soit comprise, acceptable et applicable.

Quant aux responsables des trois partis politiques formant partie de l’opposition parlementaire, on leur a écrit une lettre pour une rencontre. Leur rôle est crucial puisque constitutionnel. Il existe le danger d’un gouvernement d’ « unité nationale » ici comme ailleurs. On verra ce qu’ils nous diront. Il ne faut pas se presser.

Je pense que personne dans l’opposition parlementaire n’a le droit de grossir les rangs du Gouvernement sous le prétexte qu’il y aurait la nécessité d’avoir un gouvernement d’«unité nationale ». Pour moi, c’est un terme infect. Ils sont dans l’opposition ; qu’ils y restent ! Qu’ils assument leur rôle parlementaire ! Je crains fort cette situation car que ce soit le PTr, le MMM ou le PMSD, ils ont eu des liens avec le MSM. Qu’ils utilisent ce temps précieux pour se donner une ligne de conduite conforme à notre constitution. Certains doivent préparer leur départ.

La pandémie peut nous faire reculer comme nous faire avancer dans l’histoire. Un rien peut tout remettre en question. Vous savez, le militantisme et la voie révolutionnaire sont les résultats des protestations à travers le monde en 1968. Un simple incident peut tout détourner. J’ai en tête le fait que le MMM publie son manifeste le 1er août 1970 et Lall Jugnauth (l’oncle d’Anerood Jugnauth) meurt le 2 août 1970. Le décès d’un parlementaire change le cours de l’histoire…

D’un parti révolutionnaire, le MMM va devenir électoraliste, et voilà le résultat aujourd’hui… Une famille est au pouvoir… Alors que la lutte qui l’a mené au pouvoir est couverte du sang des travailleurs et des jeunes intellectuels.

D’autre part, nos jeunes intellectuels, dans leur grande majorité, ne sont ni de gauche ni de droite, et ils ont fait de leur engagement politique une voie vers le parlementarisme pour représenter QUI ?… sinon eux-mêmes et la classe moyenne montante. J’ai déjà vu ça après la grève de Mai 75.


* Published in print edition on 29 May 2020

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