Le Militantisme

Il faut le dire et le redire

Ces organisations citoyennes, ni de gauche ni de droite, ne sont pas les héritiers du militantisme

By Jack Bizlall

Le militantisme équivaut historiquement à l’idéologie répandue dans les années 60 et 70 du siècle dernier et, particulièrement, aux soulèvements des jeunes à traverser le monde en 1968.

1968 fut, en effet, l’année marquante de la contestation dans le monde et à Maurice. Il y eut des révoltes estudiantines et ouvrières partout dans le monde : Italie, France, Pakistan, Etats-Unis, Japon, Allemagne, Canada, Mexique, Irlande du Nord, Angleterre, Liban, Sénégal,…Plusieurs étudiants ont trouvé la mort pour leurs convictions. La contestation estudiantine, citoyenne et ouvrière fut mondiale. C’est ce qui marqua le caractère du militantisme : l’orgueil de nos convictions, l’action de groupe, l’idéologie révolutionnaire. Cette idéologie fut élaborée par la praxis des tenants de l’idéologie militante (des dirigeants des organisations de gauche) et par des écrits de plusieurs penseurs de la révolution (historiens, philosophes, économistes, etc).

Le premier degré du militantisme

Ma génération est celle qui est née pendant et après la Deuxième Guerre mondiale. Nous avions des références et des comportements et nous étions fiers de nous qualifier de militants, et les piliers du militantisme étaient, entre autres : l’anti-impérialisme, l’anti-néocolonialisme, l’anti-capitalisme, l’anti-stalinisme,l’anti-monarchisme, l’anti-dynastique, l’anti-autoritarisme, l’anti-dictature ; l’anti-théocratique, l’anti-guerre, l’anti-atomique,l’anti-militarisme, l’anti-conformisme, l’anti-parlementarisme, l’anti-racisme, l’anti-trust, l’anti-peine capitale, l’anti-patriarcat, l’anti-homophobie…

La liste est longue et c’est dans la critique et la contestation contre l’autorité en soi et en tant qu’institution que se sont construites des dizaines d’organisations politiques progressistes et révolutionnaires. La première leçon apprise est que c’est dans le combat contre ce qui n’est pas acceptable qu’une force alternative se construit. C’est dans l’anti que tout se construit et que tout se gagne… Un exemple : l’anti-colonialisme a fait avancer des dizaines de pays vers leur indépendance ; 44 pays en tout entre 1960 et 1980. Pour Maurice, ce fut en 1968, la Tanzanie en 1961, l’Algérie en 1962, le Kenya en 1963, les Seychelles en 1976.

Le second degré du militantisme

On pourrait avoir l’impression que l’on était dans la négation et ainsi dans une forme d’anarchie et de nihilisme… Mais non, nous étions aussi des jeunes qui militions à travers le monde dans des organisations politiques. Nous militions pour la liberté de la personne humaine (le droit de penser, de parler, d’écrire et d’agir) ; pour les libertés des citoyens, des collectifs d’hommes, de femmes et de jeunes, du peuple pour les droits, pour la démocratie élargissant les libertés et ouvrant la porte à de nombreux nouveaux droits surtout économiques et démocratiques, pour des institutions indépendantes et des lois non liberticides. Pour un programme politique anti-capitaliste et soutenant la classe prolétarienne dans leurs syndicats, mais aussi les catégories sociales (jeunes, femmes, consommateurs, etc.).

La lutte aurait été vaine si le combat n’avait pas été organisé, structuré, si les propositions n’avaient pas été concrètes, acceptables et réalisables. Si une organisation révolutionnaire ne fait pas un pont entre ce qui doit être combattu et ce qui doit être construit, il se retranchera dans le réformisme ou disparaitra. A travers le monde, a surgi ce que Antonio Gramsci nomme l’intellectuel organique contribuant à l’homogénéité et la conscience de son action sur le plan culturel, c’est-à-dire social, économique et politique.

Le troisième degré du militantisme

Nous étions contre l’oppression de l’URSS, la violence du stalinisme – en Tchécoslovaquie (le Printemps de Prague 1968 suivant la même logique que l’insurrection hongroise de 1956 suivi par les grandes grèves en Pologne en 1988); contre la guerre au Vietnam jusqu’à sa réunification en 1976, le massacre au Biafra, la guerre des Six Jours, l’antisémitisme (mais aussi le sionisme), l’apartheid et le ségrégationnisme, le sexisme, l’oppression parentale, le système d’éducation d’insertion. Nous étions en faveur des Palestiniens, des droits civiques, de la libération des femmes… Nous étions des internationalistes. Ce fut indéniablement la force des organisations de gauche que de concevoir la lutte politique comme une lutte qui engage les peuples à travers le monde et les travailleurs en particulier.

Nous étions donc organiquement liés à des organisations ouvrières : grèves tout le long de cette période. Dans un combat pour les salaires, la réduction des heures de travail, la sécurité d’emploi, pour le repos, les loisirs.

Le quatrième degré du militantisme

Nous étions dans le combat en tant que chanteurs engagés, artistes, écrivains, journalistes, philosophes, historiens, scientifiques, juristes, pédagogues. La plus grande insulte était de nous associer à la droite et à la classe capitaliste. Nous avions une position de classe et n’étions pas organiquement associés à la classe capitaliste, ni directement, ni indirectement. La cassure de classe était d’ailleurs notre objectif organisationnel.

A Maurice… nous devons au militantisme une révolution politique : celle de 1982…

1968 : Bagarre en janvier, indépendance en mars, rapatriement des Chagossiens en mai, émigration massive vers l’Australie et ailleurs …. Mais aussi Forum du Club des Militants le 12 juillet sur le thème «L’avenir de Maurice dépend de ses jeunes » ; grève dans le port et la fonction publique en août 1968.

Ainsi naquit une nouvelle génération qui créa le MMM et le MMMSP, qui ouvrit la voie à un syndicalisme libre et combatif, un combat politique révolutionnaire.

Le militantisme exerça une pression fabuleuse sur notre culture et notre société dans tous ses compartiments par des luttes syndicales, politiques et culturelles. Nous devons beaucoup au militantisme sur les plans linguistique, musical, artistique, littéraire, philosophique, historique, et aussi, constitutionnel, journalistique et économique…

La période 1968-1975 fut une période indélébile de notre histoire. Apres ce fut la séparation, le pouvoirisme, l’électoralisme, le parlementarisme…et l’opportunisme. Si le gauchisme est la faiblesse des jeunes militants en général, l’opportunisme associé au populisme, s’avère être la maladie des agents des classes intermédiaires à la tête de presque tous les partis politiques, et ce, jusqu’à aujourd’hui. L’alternance qui se présente par des partis politiques coupant à travers les classes et dirigés par des opportunistes et des populistes de droite… ces organisations citoyennes, ni de gauche ni de droite, ne sont pas les héritiers du militantisme.

Première mise au point

Trois questions se posent auxquelles il faudrait répondre pour que la compréhension de l’Histoire ne soit pas tronquée.

  1. Depuis les voyages de Niccolo Polo et Matteo Polo vers l’Est (Constantinople, Crimée), soit le 13e siècle, suivis par ceux de Marco Polo (Mongolie), l’ouverture du monde vers l’orient fut initiée… Ensuite, ce fut l’ouverture du monde à l’ouest avec Christophe Colomb, fin du 16e siècle. On ne peut rien comprendre de l’Histoire si on ne rassemble pas, comme en cosmologie, l’espace et le temps. C’est ce que j’expliquerai dans mon prochain article.
  1. L’Histoire se construit dans la pensée humaine à travers ce que ses dirigeants dictent comme politique dans le cadre de cet espace-temps historique. Il faut démystifier certains pour comprendre les enjeux et les intérêts des uns et des autres et aussi identifier les marionnettes aussi bien que les manipulateurs.
  1. L’exercice est la démystification. Démystifier, c’est détromper les gens. Mais c’est aussi démanteler des mythes, dénoncer les manipulations… Gaëtan Duval est un cas incontournable. Je reviendrai sur son rôle pendant la période pré-indépendance, la période de répression du début des années 70, la cassure du PMSD, la vérité sur le 13e mois (ce n’est pas lui l’initiateur), le sort des travailleurs de la Zone Franche, etc. Et, je m’attarderai sur l’histoire du MMM après.
  1. La sémantique politique, qui est singulière, doit s’accorder sur la définition que donne l’autre version de l’histoire et qui passe par l’appréciation des sens des mots et leur évolution linguistique, pour comprendre des questions de transitionnalité, d’alternance, de prolongement, etc. Etant entendu que le but visé est de voir comment, en fin de compte (pour l’instant présent et l’instant écoulé), on a fait évoluer le fond commun de la civilisation et quelle direction nous prenons dans le maintien de l’humanité (l’instant futur). Le militantisme d’aujourd’hui est, de surcroit, anti-eugénique.

* Published in print edition on 23 March 2021

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