La politique de vérité est essentielle sur toute la ligne

Naufrage du vraquier Wakashio

By Aditya Narayan

La catastrophe écologique causée par le naufrage du vraquier Wakashio à moins d’un kilomètre de la côte sud-est du pays, sur les récifs de Pointe d’Esny, a pris l’ampleur d’un événement historique sans précédent. D’abord, l’événement a été internationalisé grâce à la presse étrangère. Ensuite, au niveau local, il y a eu une mobilisation citoyenne formidable en vue d’endiguer la marée noire dans les lagons avec l’aide des volontaires et des ONGs. Cela est de bon augure pour l’engagement citoyen autour des enjeux nationaux relatifs au développement, plus particulièrement ceux ayant trait à l’environnement et au tourisme durable.

Wakashio Oil Spill. Photo – www.iom.int

Non seulement les médias internationaux (BBC, RTI, CBC, Forbes, etc.) ont-ils rapporté la nouvelle, mais ils ont aussi posé des questions pertinentes sur la gestion du désastre écologique en donnant la parole aux différents porte-parole du Gouvernement, de l’opposition et de la société civile dans le cadre d’un reportage juste et équilibré, contrairement à la MBC qui ne donne qu’un seul son de cloche, celui du Gouvernement.

Rarement aura-t-on vu un événement national être l’objet d’une couverture internationale si intense, surtout avec l’engagement de Greenpeace International et d’autres organisations œuvrant pour la préservation de l’environnement. C’est dire que l’enjeu de la pollution marine dépasse le cadre strictement mauricien.

En effet, avec le réchauffement climatique provoqué par l’émission de gaz à effet de serre due à l’utilisation effrénée des combustibles fossiles, le monde est devenu plus conscient des risques écologiques d’un déversement massif d’hydrocarbures dans l’océan. Peu importe où il survient, le naufrage d’un navire transportant des milliers de tonnes d’huiles lourdes dans ses cales attire toujours l’attention des parties concernées partout dans le monde (mouvements écologistes, pays menacés par la marée noire, peuples autochtones vivant de la mer, agences internationales de développement, etc).

Estimation des dommages

Face à la curiosité des médias nationaux et internationaux, les autorités locales ont donc intérêt à pratiquer une politique de vérité portant sur toutes les phases de la crise – avant, pendant et après la catastrophe. Il est absolument nécessaire d’éclaircir les zones d’ombre sur les causes et les conséquences de la catastrophe afin de mieux comprendre ce qui s’est passé et parer à une éventualité pareille dans le futur. Les principes élémentaires de toute enquête sur le naufrage sont résumés dans une belle formule anglaise : Who did what, when, where and why ? Cette politique de vérité est essentielle d’autant plus que le Gouvernement doit évaluer avec certitude l’ampleur des dégâts causés à la faune et la flore marines, au rivage et aux plages dans le sud-est afin de formuler une demande de compensation financière auprès de l’assureur et de l’armateur japonais du navire. Le chiffre de Rs 40 milliards de dommages a été brandi à la va-vite, mais l’assureur exigera des preuves scientifiques des dommages. C’est là que personne n’a intérêt à sous-estimer les dégâts écologiques (dommages directs) et économiques (dommages indirects) dans le périmètre de 27 kilomètres carrés allant de Blue Bay à Poste Lafayette.

Pour des raisons politiques, il y aurait une tentation de minimiser l’ampleur des dégâts afin de ne pas situer la responsabilité des autorités dans le retard qu’elles ont mis à réagir promptement au désastre. Or, cette approche minimaliste risque de permettre à l’armateur d’esquiver sa responsabilité de compenser le pays adéquatement. Une bataille juridique sur le montant de la compensation n’est pas à exclure.

Le pays prendra des années pour restituer les écosystèmes naturels au statu quo ante vu les effets pernicieux et de longue durée de la pollution pétrolière. Mais à court terme, c’est la pêche, l’industrie du tourisme et les activités connexes (plaisanciers, restaurants, vente de produits artisanaux, petits commerces, etc.) qui sont menacés existentiellement dans la région du sud-est.

Internationalisation

L’internationalisation de l’événement n’est pas mauvaise en soi. Loin d’être une mauvaise publicité pour le pays, elle a permis d’exposer l’insolence et l’outrecuidance du personnel navigant du navire qui a fait irruption dans nos eaux territoriales sans autorisation, les dangers du trafic maritime intense dans l’océan Indien pour les pays insulaires et le manque de mécanisme de coordination entre pays voisins pour parer à toute éventualité.

Dans cette partie du monde, aucun pays ne peut faire cavalier seul en ce qui concerne les contrôles maritimes, la surveillance de navires trop libres, le combat contre la piraterie et la contrebande, et l’arraisonnement de bateaux suspects par la police maritime. Dès les premiers jours de l’incident, Maurice aurait dû faire appel aux puissances riveraines telles que la France, les Etats-Unis et l’Inde (présents dans l’océan Indien à la Réunion, aux Chagos et à Agaléga respectivement) puisqu’ils ont une capacité d’intervention supérieure.

Sur le plan de la planification, le pays a eu certainement tort de sous-investir dans les équipements de contrôle maritime (bateaux de patrouille, radars de surveillance, remorqueurs) et les équipements anti-pollution (cordons flottants, bouées d’absorption). Ce qui est plus troublant encore, c’est que même les équipements disponibles sont en panne (trois radars ne sont pas fonctionnels à Gris-Gris dans le sud, à Saint-Brandon et à Agaléga) ou n’auraient pas été utilisés à temps pour endiguer la marée noire. Il a fallu la mobilisation des volontaires et des ONGs pour confronter le défi alors que les services gouvernementaux étaient sur la touche pendant 13 jours.

La mobilisation citoyenne sans précédent, empreinte de patriotisme, a essayé de sauver les meubles avec les moyens du bord (bouées artisanales placées dans les lagons pour contenir le déversement d’huiles lourdes). Contrairement à une allégation officielle, entend-on dire, il n’y avait pas de « volontaires nuisibles » sur le terrain, mais des patriotes qui s’y sont engagés à cœur afin de protéger le littoral du sud-est, source de gagne-pain pour beaucoup de gens. Le Gouvernement serait mal inspiré de vouloir leur nier le crédit de l’action de salubrité publique entreprise sans peur et sans hésitation.

Chauvinisme

Aussi mal inspirée est la tentative dans certains milieux de s’offusquer des conseils que la France, par le biais de son ministre des outre-mer, Sébastien Lecornu, a donnés au Gouvernement concernant l’épave du vraquier. Celui-ci a dit sans ambages :

« Le contrôle maritime mauricien n’a pas complètement fonctionné comme le nôtre aurait fonctionné. Ce n’est pas du tout un jugement de valeur. C’est un fait ».

Il paraît que la France préférait l’option de remorquer la partie avant (proue) du navire vers un chantier de déconstruction plutôt que de faire couler le navire (option recommandée par l’armateur) à 8 milles nautiques (14,8 kms) de la limite extérieure du récif, à 2000 mètres de profondeur. Le sabordage en mer du navire est-il un acte précipité après le laxisme post-naufrage pendant 13 jours ?

Au lieu de regarder la réalité en face, certains ont vu dans la position de la France un soupçon de paternalisme, affichant ainsi un chauvinisme de mauvais aloi. Ils oublient que la France veut protéger son patrimoine marin à la Réunion contre toute pollution éventuelle.

De leur côté, les Etats-Unis et la Grande Bretagne, qui disposent de facilités importantes aux Chagos, n’ont pas emboîté le pas à la France pour venir au secours de Maurice. Ces deux pays n’ont pas encore avalé l’humiliation qu’ils ont subie auprès de la Cour internationale de justice, qui a donné gain de cause à Maurice dans le litige à propos de la souveraineté sur l’archipel des Chagos. Un député conservateur anglais a jeté de l’huile sur le feu de la controverse en suggérant que l’impréparation de Maurice face au désastre écologique prouve qu’il n’est pas capable d’assurer la protection de la zone marine autour des Chagos.

Cela n’empêche pas de poser la question de savoir si Maurice veut récupérer les Chagos afin d’y réinstaller les îlois et d’exploiter ses potentialités (une cause souveraine) ou veut simplement obtenir un loyer des Américains en contrepartie de la location de la base de Diégo Garcia (une cause pécuniaire).

Procès privé

Sur le plan local, un autre événement historique s’est produit. Pour la première fois dans les annales juridiques, un citoyen, en l’occurrence Bruneau Laurette, a intenté un procès privé contre deux ministres, notamment le ministre de l’Environnement et le ministre de la Pêche, leur reprochant de n’avoir pas assumé leurs responsabilités dans le contexte du naufrage du navire Wakashio. C’est une initiative louable et courageuse dans la mesure où elle permettrait au Directeur des Poursuites Publiques (DPP) de décider si une accusation de négligence criminelle pourrait être portée contre les deux ministres.

Le 12 septembre, la Cour de Grand Port dans le sud prendra connaissance de la position du commissaire de police après la demande d’explications du DPP auprès des deux parties concernées (plaignant et défendeurs).

Notre système juridique a la capacité de permettre un recours citoyen à la justice sur une question d’intérêt national pour peu que quelqu’un en prenne l’initiative sans peur et sans faveur. L’occasion est ainsi donnée au DPP de jouer efficacement son rôle constitutionnel dans la plénitude de ses droits. Pendant trop longtemps certains détenteurs de postes constitutionnels à Maurice (président de la République, commissaire de police) n’ont fait qu’exécuter les décisions du pouvoir au mépris de leurs prérogatives. Ce procès privé est une opportunité de démontrer l’indépendance du DPP dans le cadre de la séparation des pouvoirs, un principe de notre démocratie qui est menacée par des tentations autoritaires. C’est un acte citoyen et non-partisan. Il faut l’apprécier à sa juste valeur.


* Published in print edition on 25 August 2020

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