La BAD prise dans la tourmente

Saint-Louis Gate

Par Aditya Narayan

Avant l’éclatement du Saint-Louis Gate, une affaire de corruption alléguée où la firme danoise Burmeister & Wain Scandinavian Contractor (BWSC) aurait versé des pots-de-vin pour obtenir le contrat d’installation de moteurs à la station thermique du CEB, le nom de la Banque africaine de développement (BAD) n’était pas connu en dehors des milieux avisés (gouvernement, presse, banques). Depuis, il est devenu notoire (un “household name”, comme on dirait en anglais) au gré du scandale politico-financier qui toucherait le gouvernement aussi bien qu’un parti de l’opposition. Cette notoriété, toutefois, dépasse le cadre mauricien.

En effet, la BAD a défrayé la chronique internationale avec la mise sur pied d’une enquête indépendante sur les accusations de prévarication et de népotisme qui ont été formulées contre son président, le Nigérian Akinwumi Adesina. Il n’y a, a priori, aucun lien entre la démarche de la BAD autour du rapport sur le Saint-Louis Gate et les déboires de son président. Cependant, il faut situer les événements dans leur perspective propre afin de mieux comprendre la tourmente dans laquelle se trouve la BAD.

En 2015, la BAD avait accordé un prêt de Rs 4,3 milliards au CEB afin de financer le projet de redéveloppment de la station de Saint-Louis, réalisé par la BWSC. Il faut souligner que ce n’est pas la BAD qui a découvert le pot aux roses dans l’affaire de corruption. C’est la BWSC elle-même qui avait, en février 2019, informé la BAD que ses employés avaient soudoyé des membres de l’administration mauricienne afin d’obtenir des informations confidentielles lui permettant d’offrir une soumission taillée sur mesure pour le projet du CEB lors d’un appel d’offres en 2015. Suite aux révélations de la BWSC, l’Office of Integrity and Anti-Corruption (OIAC) de la BAD avait fait une évaluation du rapport de la BWSC, dont les résultats ont été annoncés dans son communiqué du 8 juin 2020.

Confidentialité?

Sanctionnée pour l’acte de corruption, la BWSC a accepté de se priver du droit de faire des soumissions pour des projets financés par la BAD pour une année. Toutefois, on ne sait pas si la firme danoise a vraiment signé un accord de non-divulgation avec la BAD ne permettant à aucune des deux parties de révéler les détails de cette affaire de corruption à une tierce partie, en l’occurrence le Gouvernement mauricien.

Suite au communiqué de la BAD, le Premier ministre avait dit que cette institution partagerait son rapport seulement avec un organisme d’investigation officiel comme l’ICAC. Lorque l’ICAC a demandé une copie du rapport de l’OIAC auprès de la BAD, elle a reçu une fin de non-recevoir.

Le Premier ministre a alors écrit au président de la BAD, M. Akinwumi Adesina, pour lui demander d’exercer son influence auprès de l’OIAC en vue de l’amener à partager son rapport avec le Gouvernement. M. Adesina a été bienveillant. Résultat : le Premier ministre dit avoir reçu un “document” de la BAD (lettre ou résumé du rapport) qui mentionnerait les noms des personnes incriminées, dont le leader du ML et le leader du MMM.

Au Parlement, le PM a insisté qu’il ne pouvait rendre public le document en raison de sa “nature confidentielle”. Toutefois, il a révélé deux noms qui y seraient mentionnés, parmi tant d’autres. Où est la confidentialité donc ? Le Premier ministre a même invité le leader de l’Opposition, et non pas le leader du MMM, à lire le document supposément confidentiel, ce que Arvind Boolell a refusé de faire, flairant un piège.

Par ailleurs, il convient de noter que le Premier ministre a pris contact avec le président de la BAD à un moment où celui-ci fait face à deux difficultés.

  • Premièrement, il est engagé dans une campagne visant à se faire réélire à la tête de cette institution pour un second mandat. Adesina est le huitième président élu de la BAD depuis le 28 mai 2015 et il est le candidat unique à sa propre succession, qui devrait être décidée en août 2020.
  • Deuxièment, il fait l’objet d’une enquête indépendante sur des allégations de mauvaise gouvernance pesant sur lui.

Le président de la BAD contesté

La BAD est une banque de développement régionale dont la mission est de promouvoir l’investissement de capitaux publics et privés dans des projets de développement en Afrique. La BAD est contrôlée par un Conseil des Gouverneurs, comprenant les représentants des pays membres (actionnaires). Les votes au conseil sont partagés entre 54 pays africains (60%) et 27 pays non-africains d’Europe, d’Amérique et d’Asie (40%). Bien que la BAD soit une banque régionale, elle n’est pas contrôlée par les pays africains. Le Nigéria est le premier actionnaire de la BAD, mais les Etats-Unis sont le deuxième actionnaire et, avec d’autres pays-membres occidentaux, y exercent une forte influence.

La candidature de M. Adesina est fortement contestée par les Etats-Unis, qui l’accusent de mauvaise gouvernance durant son premier mandat. En janvier 2020, des lanceurs d’alerte avaient envoyé un rapport à deux gouverneurs de la BAD et au directeur de l’OIAC, M. Alan Bacarese, faisant 20 allégations contre M. Adesina. Ces allégations portent sur le favoritisme dans de nombreuses nominations de hauts responsables, en particulier de compatriotes nigérians, et la nomination ou la promotion des personnes soupçonnées ou reconnues coupables de fraude ou de corruption. M. Adesina avait rapidement été disculpé par la BAD sur la foi d’un rapport de son comité d’éthique interne. A la demande des Etats-Unis, le Conseil des Gouverneurs de la BAD a annoncé le 4 juin le lancement d’une enquête indépendante pour élucider les accusations, remettant ainsi en cause le travail du comité d’éthique.

Dans une lettre datée du 22 mai, le Secrétaire du Trésor des États-Unis, Steven Mnuchin, avait écrit: We fear that the wholesale dismissal of all allegations without appropriate investigation will tarnish the reputation of this institution as one that does not uphold high standards of ethics and governance.” L’ancienne présidente irlandaise Mary Robinson préside le panel d’experts chargés de l’enquête indépendante et elle devra rendre son rapport « dans une période de deux à quatre semaines maximum », selon le communiqué de la BAD.

Les Etats membres de la BAD se prononceront sur la candidature unique de M. Adesina fin août. Pour l’emporter, il doit obtenir la double majorité, tant chez les membres africains que chez les membres non-africains. Cela, à la lumière des développements récents, n’est pas gagné d’avance. Certains mettront les critiques des Etats-Unis contre M. Adesina sur le compte de l’anti-multilatéralisme de l’administration américaine, symbolisé par ses attaques contre l’OMS dans la foulée de la pandémie. Il est vrai que l’isolationnisme des Etats-Unis sur le plan mondial diminue leur autorité morale. Mais cela ne devrait pas escamoter les problèmes de gouvernance qui affligent certaines organisations internationales, dont la bureaucratie engloutit beaucoup de ressources.

Transparence nécessaire

Dans l’affaire Saint-Louis, on ne comprend pas le refus de la BAD, comme allégué par le Premier ministre, de partager ou de rendre public le rapport de l’OIAC dans l’intérêt de la transparence. L’Afrique est un continent frappé par la corruption de ses dirigeants et de ses élites alors que la pauvreté y fait rage. Nous connaissons les cas des Bongo, Mobutu, Dos Santos et autres Sobrino qui ont dipalidé des fonds publics, acheté des châteaux en Occident et transféré des fonds illicites dans des comptes bancaires en Suisse à travers des compagnies fictives créées dans les paradis fiscaux. L’adjudication des marchés publics est un domaine où les élites africaines s’enrichissent en contournant les règles pour favoriser les soumissionnaires qui leur graissent la patte.

Si la BAD est convaincue de ses preuves de corruption dans l’affaire du CEB, elle devrait les révéler au nom de la transparence. L’accord de non-divulgation avec la BWSC ne devrait pas être un accroc si la BWSC est prête à collaborer. Que cache la BAD en voulant garder le rapport confidentiel ? Suffit-il pour la BAD que les corrupteurs (occidentaux) soient connus et que les corrompus (africains) ne soient pas connus? Pourquoi cette politique de double mesure ? Les corrompus se trouvent en Afrique et on veut les protéger en gardant le rapport de l’OIAC confidentiel. Les corrupteurs sont-ils plus fautifs que les corrompus ? Cette logique dépasse l’entendement. Tous ceux qui sont soucieux des impératifs de la transparence et de l’imputabilité dans la bonne gouvernance sont surpris par la posture de la BAD. Dans ces circonstances, peut-on tenir rigueur aux Etats-Unis et autres pays occidentaux de vouloir la tête du président de la BAD ?


* Published in print edition on 7 July 2020

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