Contre “la dictature des entreprises”: exception mauricienne et danse du ventre

By Jooneed Jeeroburkhan

Il y a deux mois, un élan anti-corruption a cherché à ameuter tout le pays, virtuel et réel, contre la classe politique, contre le gouvernement surtout. Bien qu’encensé dans les médias, cet élan, mal pensé, mal mené et mal ficelé, a fini en eau de boudin.

Son dernier avatar : nos médias en ligne nous ont montré des jeunes, en jeans, t-shirts et espadrilles propres, agitant, sans grande conviction, des balais devant l’hôtel du gouvernement. Un commentateur s’en est même indigné, trouvant cela « frivole ».

Durant ces mêmes deux mois, suivant l’agitation anti-austérité et anti-riches en Grèce, en Espagne, en Grande-Bretagne, un vaste mouvement anticapitaliste s’est répandu aux Etats-Unis derrière le slogan Occupy Wall Street. Et il s’étend désormais au reste de la planète.

Mais pas à Maurice. Est-ce cela “l’exception mauricienne”? La dénonciation de « la dictature des entreprises et du capital » (The Dictatorship of Corporations, disent les manifestants), dans laquelle est soluble toute la classe politique, n’interpelle pas nos médias privés (corporate media, en anglais). Jouant les filtres et les gardiens de l’Ordre économique, ils banalisent la révolte et parlent d’ « indignés » — selon le vocable aseptisé imposé par la presse française.

La colère de l’électeur bafoué

Or, le mouvement qui a commencé avec « A New Bottom Line », et qui s’est enflammé avec Occupy Wall Street, dépasse de loin la simple « indignation ». C’est une colère qui grossit depuis longtemps, dont les racines sont profondes, qui a bien mûri et qui ne se trompe pas de cible : le Capital a acheté les politiciens et s’est emparé de l’Etat, qui ne gouverne plus pour les 99% de la population, exclus du système malgré leur rituel droit de vote.

Hors Maurice, ce qui est en cours, c’est une révolution montant de l’intérieur d’un capitalisme poussé par l’appât du gain sur le terrain miné de la financiarisation, dans une économie de casino où les puissants peuvent perdre gros, mais où ils tirent toujours leur épingle du jeu aux dépens des faibles. L’Etat étant à leur service, les riches et puissants comptent d’ailleurs sur les fonds publics pour les renflouer en cas de crise.

« Je refuse que mon âge de la retraite soit haussé à 67 ans pour que les magnats grecs Stavros puissent prendre la leur à 50 ans et se la couler douce », a lancé un manifestant italien sur Russia Today. L’Italie renforce actuellement l’austérité dans le cadre du programme européen de sauvetage de la Grèce.

Le fait que cette révolution arrive maintenant aux Etats-Unis témoigne du basculement du vieux système mondial. Elle était impensable, voire impossible, tant que les pays de l’OCDE et du G7 restaient les maîtres du monde. Mais ils font appel désormais au G20 (dont la Chine, l’Inde, le Brésil), révélant leurs faiblesses. D’où la remise en question du capitalisme aux USA même.

Wallerstein, Bernanke, Gorbatchev

Immanuel Wallerstein, historien des systèmes mondiaux, est convaincu que le capitalisme est tombé dans une impasse du fait de ses propres contradictions internes. C’est l’implosion, comme le communisme soviétique avait implosé 20 ans plus tôt. Des personnalités aussi diverses que Ben Bernanke, patron de la Fed états-unienne, et Mikhaïl Gorbatchev, le dernier patron de l’ex-URSS, lui donnent raison, et disent « comprendre » la colère du mouvement Occupy Wall Street. George Soros, très opportuniste spéculateur boursier et 7e fortune des USA, s’est lui aussi rangé du côté des anges!

Mais il n’y a pas de solution miracle. C’est bien la raison pour laquelle le mouvement Occupy Wall Street reste flou dans ses demandes, au-delà d’une certaine unanimité autour de la taxe Tobin ou Robin des bois, c’est-à-dire imposer une taxe sur les spéculations boursières pour financer les programmes sociaux.

Les corporate media et la droite états-unienne ont beau jeu de dire que le mouvement n’a ni revendications ni leadership bien identifiés. Le mouvement répond qu’il refuse de prêter le flanc aux attaques de l’Establishment, qui seront impitoyables dès qu’une demande et dès qu’un porte-parole seront identifiés. Il préfère continuer à rassembler et à laisser à ses diverses composantes la liberté d’évoluer selon leurs conditions spécifiques propres.

Le capitalisme n’est plus hégémonique

Les nombreux analystes, tous aussi prestigieux et crédibles les uns que les autres, sont d’accord : le capitalisme a perdu le pouvoir hégémonique qui permettait à Mme Thatcher de dire : There Is No Alternative, appelé le syndrome TINA. Il y a désormais des choix et, comme l’écrit Wallerstein, tout dépendra des choix que l’on fera. Beaucoup craignent d’ailleurs que cela risque d’empirer dans les pays du G7, qui ont entamé les droits civils et renforcé la répression à la faveur du 11 septembre 2001 et de la « guerre au terrorisme ».

Maurice entre-temps se croit sur une autre planète. Les Wanted, devenus AzirMoris, s’étant estompés et banalisés (ils voulaient d’ailleurs azir seulement contre le gouvernement), les « élites », elles, veulent azir autrement, mais toujours dans le même but : précipiter l’alternance au pouvoir.

L’analyste qui a trouvé « frivole » la manif des « balayeurs » juge « lucide » un lecteur qui, dans un commentaire, exhorte SAJ à passer aux actes pour « sauver cette nation qui se noie ». C’est sûr que la danse du ventre à laquelle se livrent SAJ, le MSM de son fils et le MMM, mués en neutrinos qui, semble-t-il, voyagent plus vite que la lumière, dégoûte la plupart des commentateurs.

Pez nene, bwar dilwil

Mais leur position ultime semble être : pez nene, bwar dilwil. Les médias confinent le débat au strict cadre sociopolitique. Maurice Inc. se restructure fébrilement, mais on ne sait pas grand-chose sur les vrais propriétaires du pays, les ENL, GML, MCB et autres IBL, ni sur les Vitol et Helios qui viennent de s’emparer de Shell, et ni sur les mystères de l’Offshore mauricien.

On sait par contre à peu près tout sur le cheminement du chèque de Rs 144,701,300 émis le 29 décembre 2010 par le ministre des Finances d’alors, Pravind Jugnauth, leader du MSM, et encaissé le même jour par son beau-frère, Rs15,5 millions allant à sa sœur.

D’autres enquêtes de presse nous ont ainsi détaillé des dépenses électorales de candidats (mais pas la provenance de fonds, moins encore les contrats et législations ayant profité aux donateurs), les avoirs de nos dirigeants politiques, les salaires de nos hauts fonctionnaires et diplomates, l’octroi de terres de l’État.

Bravo aux journalistes enquêteurs, mais on attend toujours de voir la radiographie, le profil à tout le moins, de « la dictature des entreprises » dans le contexte de Maurice. Pour les Etats-Unis, l’Europe, la planète entière, ces données, sans cesse rafraîchies et ré-analysées, sont disponibles sur une foule de sites Web.

Chiffres du Congressional Budget Office et sondage

Pendant que j’écris ces lignes, l’officiel Congressional Budget Office (CBO) révèle que les plus riches 1% des Américains ont plus que doublé leur part du revenu national sur les trois décennies écoulées, et que la politique du gouvernement est devenue « moins redistributive » depuis la fin des années 1970.

Quoi d’étonnant alors qu’au même moment, un sondage New York Times/CBS indique que la méfiance des Américains envers leur gouvernement est plus élevée que jamais.

Ainsi, les deux tiers des Américains sondés veulent que la richesse soit mieux répartie dans le pays, 70% estiment que les républicains favorisent les riches, et deux tiers s’opposent aux baisses d’impôts des entreprises et veulent hausser les impôts des millionnaires. Plus de la moitié estiment que le mouvement Occupy Wall Street reflète les sentiments du pays tout entier.

Sans de telles données, Maurice ne saurait appréhender le phénomène, et encore moins y proposer des parades.

Je recommande ici quelques sites Web utiles :

http://mrzine.monthlyreview.org/

http://www.alternet.org/

http://www.iwallerstein.com/

http://www.alterinfo.net/

jooneed.khan@mail.com


* Published in print edition on 28 October 2011

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