‘L’épée de Damoclès se nomme désormais « Viré Mam »’

Interview : Yvan Martial
Il vaut toujours mieux redresser le ministre trop tordu le plus tôt possible que de s’exposer à un viré mam aussi brutal que celui du 10 décembre dernier
« Qu’on ne parle surtout pas de nouvelle alliance PTr-MMM. Ces deux partis doivent séparément savoir rebondir »
« Le MSM, le MMM et le PTr appartiennent à Jugnauth, Bérenger, Navin Ramgoolam…
… Ils ont le droit d’en faire ce qu’ils veulent. Y compris les conduire ‘à la casse’…”
« Nos politiciens doivent apprendre à s’en remettre au choix toujours éclairé du Peuple. On ne peut rien faire de bon sans lui ou, pire encore, contre, lui »

Deux semaines après les élections, les regards sont braqués sur le nouveau gouvernement, les nouveaux ministres et le PM, Sir Anerood Jugnauth dans un contexte différent. Les résultats des élections démontrent clairement que le peuple de Maurice attend sérieusement des changements mais ne croira plus aucun homme ou femme politique sur parole. Tout discours-programme sera aussi évalué sur le calendrier prévu pour les actions qui y seront prescrites. Yvan Martial, journaliste, nous en dit plus.

Mauritius Times : Presque une semaine depuis l’installation du nouveau gouvernement de l’Alliance Lepep, on peut déjà se faire une opinion de la méthode Jugnauth et des stratégies qu’il compte employer pour atteindre ses objectifs tant gouvernementaux que politiques. Quelle lecture en faites-vous ?

Yvan Martial: Se faire une opinion, en seulement une semaine, de la méthode et des stratégies qu’Anerood Jugnauth et ses nouveaux ministres comptent employer, pour atteindre leurs objectifs, tant gouvernementaux que politiques, serait d’un très mauvais présage. Cela signifierait que nous avons de nouveau affaire à d’arrogants « conne-tout », n’ayant rien à apprendre de quiconque, sachant par avance comment solutionner tous les problèmes se posant dans nos différents ministères, avides d’imposer à toutes les personnes concernées, dont des fonctionnaires chevronnés, leurs solutions préconçues. « Je possède le Pouvoir, le Savoir et même l’Avoir, vous n’avez plus qu’à exécuter mes ordres. Sinon gare à vous ».

L’électorat du 10 décembre 2014 aurait plébiscité pour rien le changement de régime si c’est pour ramener, à l’Hôtel du Gouvernement, de nouveaux locataires, ayant les mêmes défauts que les précédents.

L’Alliance Lépep a demandé à l’électorat : Viré Mam ! Au tour de l’électorat de demander la même chose à nos nouveaux ministres. Ils doivent y voir un appel à un changement de mentalité ministérielle, à une conversion de comportement, une rupture avec ce que nous avons connu de pire depuis 2005, sinon avant depuis 1995.

Méthode et stratégies ministérielles et gouvernementales ne sauraient être l’apanage des seuls membres du nouveau Cabinet, ayant prêté serment la semaine derrière, au château du Réduit. Un gouvernement ne saurait se résumer en 25 ministres, même hyper-compétents. Un ministère ne saurait se résumer en un ministre omniscient, omnipotent, entouré ou non d’une poignée de conseillers, d’un « inner circle ».

Tout ministre, a fortiori tout gouvernement, est d’abord et avant tout composé de l’ensemble des fonctionnaires y attachés, pour être, au mieux de leurs capacités, au service du Peuple qui les rémunère, pour leur garantir une constante amélioration de la qualité de leur vie.

L’objectif de tout gouvernement digne de ce nom n’est jamais de mettre en pratique ce qu’un politicien, souvent ignare et incompétent, a de fantaisie ou de caprice dans la tête. L’objectif, c’est de demeurer à l’écoute des besoins les plus pressants du Peuple-Electeur, de les inventorier, de les hiérarchiser, de programmer, dans un calendrier précis, les moyens, d’abord, de résoudre les problèmes les plus urgents et, ensuite, de promouvoir une meilleure qualité de vie de tout un chacun, sans jamais perdre contact avec ce Peuple que politiciens et fonctionnaires doivent aimer de tout leur cœur, en se mettant humblement à son service.

Le Grand Chef, ce n’est jamais le Premier ministre. Jamais le ministre dans son ministère. Mais toujours le Peuple qui plébiscite ce Premier ministre et ses ministres, pour lui donner ce que d’autres ont lamentablement échoué à lui donner précédemment. Faute de quoi, nous devons nous attendre, en 2019 ou avant, à un autre Viré Mam, aussi retentissant que celui du 10 décembre 2014.

C’est dire qu’entre chaque ministre et le Peuple, qu’il doit servir dans une capacité particulière, liée justement à ses spécificités ministérielles, il y a d’abord à créer un climat de confiance et de dialogue, pour qu’au sein de la pyramide hiérarchique de fonctionnaires, existant entre le ministre et le Peuple, son Grand Chef, il y ait le meilleur échange possible de communications, montantes aussi bien que descendantes. Le ministre avisé doit avoir la capacité persuasive pour savoir ce que chaque fonctionnaire, bien resitué face à ses responsabilités et à sa raison d’être, veut faire désormais pour mieux servir le Peuple, à son niveau, à son poste.

Plus haut que tout ministre, il y a bien sûr le Premier ministre qui, doit avoir l’œil à tout, qui doit veiller à ce que tout se déroule comme du papier à musique. Il lui suffit pour cela de rester en contact avec le Peuple, le tout-venant, ceux et celles qui ont l’opportunité de lui confier leur état d’âme, pour savoir si tel ou tel ministre est efficace ou non. Il vaut toujours mieux redresser le ministre trop tordu le plus tôt possible que de s’exposer à un viré mam aussi brutal que celui du 10 décembre 2014. Sur ce point, nous pouvons faire confiance à Sir Anerood Jgnauth.

Prétendre qu’un tel changement dans un comportement gouvernemental et ministériel peut se faire en une semaine, c’est croire au Père Noël. C’est déjà s’exposer au prochain Viré mam. C’est déjà une profonde déception. La frustration pour nous d’avoir été de nouveau bernés, le 10 décembre dernier.

* Qu’en est-il de la composition de son Conseil des ministres ? Voyez-vous une volonté de la part de SAJ d’imposer une dynamique de gestion axée sur les résultats tout en appliquant ses prérogatives premier ministérielles pour, à la fois, ‘contenir’ ses alliés et préparer la relève ?

Commentant, le 11 décembre 2014, les résultats électoraux partiels, qui tombaient les uns après les autres, mais déjà annonciateurs du Viré mam que l’on sait, j’ai posé la question de savoir si Anerood Jugnauth avait déjà pensé préalablement à la constitution d’un nouveau gouvernement. Nul en tout cas ne saurait lui en vouloir d’avoir magnifiquement manœuvré, objectif par objectif, sans brûler aucune étape. Cela nous change de l’écervelé du camp opposé qui, trois jours avant de recevoir sa raclée viré mam, convoquait ses partisans à un meeting de la victoire, prévu pour le dimanche 14 décembre 2014.

Assez rapidement, Sir Anerood Jugnauth a mis en place sa nouvelle équipe gouvernementale. Son choix a pu nous surprendre parfois. Nous devons admettre que notre nouveau Premier ministre, compte tenu de sa maîtrise de notre machinerie gouvernementale, de sa connaissance de ce qu’il y a dans le cœur de tout Mauricien, est mieux placé que nous pour jauger qui est digne d’une confiance ministérielle et qui ne l’est pas. Il sera d’ailleurs toujours temps, à l’avenir, de faire les ajustements nécessaires et remplacer les ministres défectueux.

Il met ensuite le moteur en marche. En chauffeur avisé, il ne démarre surtout pas sur les chapeaux de roue. Il laisse cela aux chauffards irresponsables. Nous en connaissons certains. Il s’assure du ronronnement régulier, rassurant, du moteur. Il vérifie encore le bon fonctionnement des accessoires de sécurité, plus indispensables qu’on ne le croie : freins, clignotants, rétroviseurs, le plein de carburant, d’huile de moteur, etc. Ce serait catastrophique si le gouvernement de Maurice pouvait prendre les apparences d’un autobus Blue Line aux freins défectueux.

Anerood Jugnauth au volant, nous pouvons nous attendre à un démarrage tout en douceur. D‘ailleurs, rien ne presse, compte tenu du mode festif dans lequel nous nous trouvons. C’est vers le 10 janvier 2015 que nous saurons si nous sommes en sécurité ou non dans l’autobus Pays-Maurice. Ne nous faisons pas d’illusion : les obstacles ne manqueront pas sur notre route dès le démarrage de ce véhicule. Mais nous saurons rapidement si nous avons affaire à ène la main di bois ou à un chauffeur expérimenté, sachant avancer peut-être lentement mais à coup sûr. Tout automobiliste avisé sait que le meilleur moyen de perdre au moins une journée de travail, c’est prendre le risque de frotter d’autres véhicules, pour gagner quelques secondes.

Notre chauffeur est certes âgé. Il sait mieux que nous qu’il doit préparer la relève. Je ne connais pas de meilleur moyen pour cela que de donner toujours le bon exemple, être la voie à suivre pour parvenir, non pas à la perfection, mais au don de soi aux autres, de parfaire constamment le service que nous offrons aux autres, au Peuple, notre Grand Chef.

Les malheurs du MSM commencent en 2003. J’ai toujours pensé que la plus grande erreur d’Anerood Jugnauth est de s’être laissé réduit au Réduit, les pieds et les mains liés constitutionnellement, dans une belle cage dorée. Navin Ramgoolam manœuvre bien en renouvelant son mandat présidentiel en 2008. Il peut ainsi le tenir à sa merci.

Nul ne peut remplacer le leader historique d’un grand parti de son vivant. Gaëtan Duval se rogne les ailes, en évinçant Jules Koenig, avant 1967. Il le paye cash à partir de 1972, quand le PMSD devient la famille Duval. Seewoosagur Ramgoolam n’a jamais réussi à régler les problèmes de sa succession. Navin Ramgoolam doit recréer, en 1991, sinon en 2005, un nouveau Parti Travailliste, le sien, ne devant rien à son Père, ni encore moins à Curé et à Anquetil. Mais tout est à refaire aujourd’hui sur de nouvelles bases.

J’ai reproché à Xavier Duval, en 1995, d’avoir voulu usurper le leadership du PMSD du vivant de son père. Pravind Jugnauth ne commet aucun parricide mais le résultat est le même, malgré l’impotence présidentielle voulue, acceptée, par son père, enfermé au Réduit.

Aussi curieusement que cela puisse paraître, le leadership d’un parti politique majeur ne dépend aucunement des instances de cette formation mais de ce que le Peuple veut. Celui-ci veut aujourd’hui que Navin Ramgoolam dirige le PTr, Anerood Juganuth le MSM, Paul Bérenger le MMM, Xavier Duval le PMSD. Ce même Peuple veut que les leaders des petits partis lui prouvent qu’ils sont capables d’accorder, même partiellement, leur violon, afin de lui présenter une alternance plus crédible.

Le Peuple, c’est le pot de fer. Ceux qui persistent à vouloir buter contre le diktat du Peuple sont des pots de terre. Je ne peux pas les empêcher de se fracasser contre ce pot de fer. Qu’ils ne comptent pas sur moi pour soigner les bosses de leur ego surdimensionné !

D’ailleurs la question de relève, de succession, de leadership de parti, est tout ce qu’il y a de plus secondaire, par rapport à l’indicible privilège de pouvoir servir le Peuple, en tant que ministre, député, conseiller municipal ou villageois, membre d’un Politburo. Cette ineffable opportunité d’être au service du Peuple devrait normalement transcender toute autre considération personnelle, a fortiori les ambitions particulières forcément déplacées.

Nos politiciens doivent apprendre à s’en remettre au choix toujours éclairé du Peuple. On ne peut rien faire de bon sans lui ou, pire encore, contre, lui.

* Sir Anerood Jugnauth a déclaré, d’ores et déjà, qu’il n’a nullement besoin de quelque période de grâce pour son gouvernement, ce qui indique une confiance personnelle dans la capacité de son équipe de pouvoir « deliver the goods », cela d’autant plus sur la base d’une majorité forte. C’est à partir des actes, des résultats que les Mauriciens pourront juger la performance de ce nouveau gouvernement. Qu’attendent les Mauriciens de SAJ et qu’est-ce que ses premiers discours publics vous indiquent ?

Je n’ai jamais cru à ce mythe mauricien des cent jours de grâce que l’opposition, les syndicats et même la presse doivent censément donner à tout nouveau gouvernement en place, avant de reprendre leur prétendue offensive.

Pendant ces fameux cent jours, le nouveau gouvernement est censé mettre en place une stratégie gouvernementale, devant prétendument le distinguer de ses devanciers. C’est alors que la vigilance la plus grande est de mise car toute erreur d’aiguillage ou tout mauvais choix pourrait se révéler catastrophique, pas pour ce gouvernement (un moindre mal) mais pour le pays.

Comment imaginer un sapeur-pompier, donnant même cent minutes de grâce à un incendie, avant de le combattre ? Comment imaginer un limier de notre force policière, donnant cent secondes de grâce à un voleur à la tire ou à l’arraché, avant de courir après lui, sous le fallacieux prétexte qu’il n’est pas un sprinter mais un coureur de fond, un marathonien ?

Renier un quelconque état de grâce ne fait pas de nous un opposant systématique, viscéral, de tout nouveau gouvernement étrennant ses fonctions ministérielles. Au lieu d’être systématique, l’opposition doit au Peuple d’être éminemment constructive et positive.

Nous avons le droit de critiquer un gouvernement en place, nouveau et ancien, non pas globalement, mais dans telle ou telle de ses décisions, dans telle ou telle des mesures qu’il prend, que si nous sommes capables d’étayer logiquement nos critiques, que si nous sommes capables de faire des propositions, de suggérer de meilleures solutions que le Peuple pourrait préférer.

Souvent une opposition politique et la presse qui lui est attachée trop servilement, trop aveuglément, perdent toute crédibilité car le Peuple sait que si elles avaient la chance d’être à la place du gouvernement qu’elles critiquent, elles auraient fait la même chose, sinon pire.

N’est crédible aux yeux du Peuple que ceux qui agissent ou réagissent, jamais en fonction d’intérêts égoïstes, mais toujours en fonction du Bien Commun, des femmes, des hommes, des jeunes, des enfants….

Le Peuple n’a pas besoin d’attendre la fin d’un mandat législatif quinquennal pour savoir si son plébiscite se justifie ou non. Quand vous prenez l’autobus pour Mahébourg et que vous vous rendez compte que le véhicule, dans lequel vous avez pris place, se dirige en fait vers Centre de Flacq ou vers Saint-Pierre, vous descendez au prochain arrêt. Vous revenez sur vos pas et prenez le véhicule allant dans la direction souhaitée. Vous n’avez pas besoin attendre d’être arrivé à Mahébourg pour réagir à bon escient.

Le Peuple n’attend certainement pas les premiers discours publics pour jauger la crédibilité du 6e gouvernement Jugnauth. Il nous excusera. Nous avons tellement eu affaire à des « parle menteurs » que notre scepticisme est de mise.

En revanche, nous le jugerons sur ses premiers actes. Nous le jaugerons surtout sur l’indépendance et l’autonomie qu’il restituera à nos institutions les plus vénérées. Nous l’examinerons sur sa capacité spontanée de déléguer véritablement les pouvoirs qui sont les siens dorénavant. Nous évaluerons surtout sa capacité de demeurer à l’écoute du Peuple.

A ce sujet, il ne lui appartient pas de prétendre qu’il est à l’écoute du Peuple. C’est au Peuple de dire s’il se sent écouté et pris en considération par les premiers de ses serviteurs que sont nos ministres, Sir Anerood Jugnauth en tête.

* On saura davantage sur les grands projets de réforme que le gouvernement s’attellera à réaliser dans les mois et années à venir lors de la lecture du Discours Programme. Au-delà de la consolidation des bases d’une croissance forte, quels sont les axes d’intervention que vous jugerez prioritaires ?

Quelle crédibilité accorde le Peuple à un discours-programme ? Certains commentateurs ont poussé la complaisance jusqu’à protester contre la tardive parution du manifeste électoral de l’Alliance MMM-PTr pour ne rien dire des allégations de copiage, de piratage, peut-être gratuites et alléguées, portées à son égard.

On nous promet donc un nouveau catalogue de pieuses résolutions (celles qui pavent les enfers les plus léthargiques), sous la forme d’un discours-programme. On nous infligera, en janvier 2015, la litanie, sinon mensongère, mais du moins insignifiante car présidentielle de My Government.

De quel gouvernement de Kailash Purryag parlerons-nous ? Le Peuple sait fort bien qu’il s’agit du gouvernement de Sir Anerood Jugnauth qu’il a plébiscité le 10 décembre 2014. Pourquoi maintenir cette mascarade constitutionnelle et protocolaire qui bafoue le choix souverain du Peuple de vouloir Sir Anerood Jugnauth aux commandes pour le prochain lustre, si Dieu lui prête vie, bien sûr.

J’accorderai une crédibilité plus grande au discours-programme de janvier 2015 s’il est précédé d’un passage en revue de ses devanciers, depuis l’an 2000, sinon depuis 1991. Qui doit faire cet exercice ? Le défi est lancé autant à notre fonction publique qu’à nos salles de rédaction. A chacune d’entre elles de nous prouver qu’elle est meilleure communicante que les autres.

Nos rédactions ne sont-elles pas dotées, aujourd’hui, de services informatisés de documentation et de recherche ? Elles doivent ce service à leurs lecteurs. Ne désirons-nous pas que nos meilleurs journaux nous rafraîchissent la mémoire, en nous rappelant, lustre après lustre, ce qu’on nous a promis et ce qu’on nous a donné ?

Que dire d’une fonction publique, d’un ministère du Plan du Développement économique, incapables de nous offrir une rétrospective des réalisations gouvernementales depuis 1991, pour ne pas remonter au déluge ? Bien faire ne suffit pas. Faut-il encore le faire savoir.

J’accorderai une crédibilité plus grande au discours-programme s’il est accompagné d’un calendrier précis. Tout projet gouvernemental, devant faire partie de ce nouveau catalogue de pieuses résolutions, deviendrait plus crédible s’il est accompagné de la note : « sera réalisé avant telle date ».

Un Premier ministre n’est certes pas tenu de prendre en considération la suggestion d’un journaliste. Ce dernier persiste pourtant et la lui donne pour ce qu’elle vaut. Il serait bien inspiré d’exiger de ses ministres qu’ils spécifient la date à laquelle chacun de leurs engagements sera tenu.

D’ailleurs, cette question de date pose la question de la durée du mandat ministériel de nos 25 ministres. Sont-ils là jusqu’à la mi-temps, pardon jusqu’à la mi-parcours, du 30 juin 2017 ou pour plus longtemps ? Le Peuple souverain qui plébiscite notre gouvernement n’a-t-il pas le droit de savoir, dès aujourd’hui, si nos ministres sont nommés jusqu’à 2019 ou seulement jusqu’au 30 juin 2017, sinon avant ? Sont-ils déjà titularisés ou doivent-ils être temporairement on probation ?

Le discours programme de janvier 2015 gagnerait en crédibilité, si au début de chaque mois, notre gouvernement nous rappelle qu’en vertu du calendrier établi, il doit réaliser tel ou tel projet pendant le mois qui vient.

Aurons-nous droit à un seul discours-programme jusqu’en 2019 ou pouvons-nous nous attendre à d’autres, valables pour des périodes plus courtes, sinon à des bilans de mi-parcours ou, mieux encore, annuels ?

Il ne s’agit que d’un simple exercice de bonne communication mais qui suppose au préalable une sincère remise en question. L’essentiel en fin de compte, aux yeux du Peuple Souverain, est de savoir si on tient compte de ses exigences ou s’il est déjà la cinquième roue de la charrette, en attendant son prochain viré mam.

* Qu’en est-il de la démocratisation de l’économie politique prônée par le précédent gouvernement que ce soit par rapport au tourisme, au secteur financier, à l’énergie, etc ? Voyez-vous le gouvernement de SAJ adopter une approche différente ?

A tort ou à raison, le Peuple résume ainsi la démocratisation économique prônée par le gouvernement sortant : « donner à de petits copains, sinon à de petites amies, ce qu’ils n’auraient jamais pu obtenir par leurs propres moyens ».

Je ne connais pas de meilleure recette pour s’exposer à un viré mam encore plus cinglant que celui infligé le 10 décembre 2014. Il serait surprenant qu’un Sir Anerood Jugnauth s’embourbe dans une telle ornière.

La démocratisation de l’économie passe prioritairement par le meilleur encadrement juridique, comptable, financier, commercial, technique, de nos petites et moyennes entreprises. Le gouvernement, mais aussi le secteur privé, doivent tout mettre en œuvre pour que tout entrepreneur, tout technicien, même débutant, puisse faire ce en quoi ils peuvent exceller, c’est-à-dire produire davantage, autant que possible par leurs propres moyens, sans être handicapés, paralysés, menacés de poursuites juridiques, en raison d’un labyrinthe juridico-administratif où ils perdent aisément les maigres profits que peut générer leur labeur.

Cela est d’autant plus injuste et démotivant qu’ils sont des milliers de petits malins à opérer illégalement mais impunément, gagnant des sous à gogo, au point de pouvoir s’offrir des berlines et de multiples voyages en Asie, chaque année.

La démocratisation de l’économie peut se faire par l’octroi d’une période de grâce accordée à tout entrepreneur débutant. Il aurait au moins une année de grâce et de rodage, au bout de laquelle apparaîtront les premières menaces administratives et juridiques en tous genres. Pendant cette année de grâce, ou davantage, au besoin, les autorités concernées auront le temps voulu pour faire comprendre à l’entrepreneur que s’il veut persévérer dans sa voie productive, il devra souscrire à certaines charges administratives mais coûteuses.

La démocratisation de l’économie serait plus juste et plus productive si, au lieu d’imposer aveuglément des licences et taxes tarifiées en roupies sonnantes et trébuchantes, le gouvernement, sous toutes ses formes, exigeait de nos entrepreneurs un pourcentage de leur chiffre d’affaires annuel. Imposer une licence de Rs 2 500 à un entrepreneur débutant, ne sachant même pas si son entreprise sera ou non rentable est inique, quand on sait que la licence d’un même montant est exigée à toute compagnie, dont le chiffre d’affaires annuel est inférieur à Rs 50 millions. Au-delà, l’augmentation du montant de cette licence est dérisoire, alors que la même somme est simplement dissuasive pour un entrepreneur débutant, voulant être en règle avec la loi, alors qu’il est tellement facile de patauger lucrativement dans l’illégalité la plus complète.

La démocratisation de l’économie exige que notre gouvernement explique clairement au Peuple s’il veut faire un maximum de revenus sur son dos ou s’il veut l’aider réellement à devenir plus productif, à devenir un créateur de richesse nationale.

* Sir Anerood l’avait dit à maintes reprises lors de la campagne électorale, et à l’écouter durant le meeting de remerciement de L’Alliance Lepep, dimanche dernier, il semble qu’il compte résolument s’y prendre : la réouverture de certaines enquêtes pouvant embarrasser non seulement des proches du précédent gouvernement, mais aussi les deux dirigeants de l’Alliance PTr-MMM. Même Bérenger n’échappera pas à une enquête, a-t-il déclaré. Comment réagissez-vous à cela ?

Les promesses d’ouverture ou de réouverture d’enquêtes contre X ou Y ne veulent rien dire. Le Peuple a suffisamment été roulé dans la farine avec ce genre de baratin.

Echaudé, il attend patiemment désormais que le prometteur passe à l’action, qu’il ordonne une enquête en bonne et due forme, qu’il nomme les commissaires présidents et assesseurs, qu’il établisse un calendrier de travail qui devra être respecté coûte que coûte, qu’il nous donne la garantie que des sanctions seront prises contre les coupables avérés, que des mesures seront prises, pour les erreurs commises ne se reproduisent plus.

Tant qu’on ne passe pas à un début d’action, nous n’avons affaire qu’à du vent. Pourquoi voulez-vous que le Peuple accorde de l’importance au vent qui passe ? Et s’il n’y a que du vent, la crédibilité du prometteur prend un mauvais coup. L’épée de Damoclès se nomme désormais « Viré mam ».

* Nous connaissons Sir Anerood Jugnauth comme étant très légaliste, et il va certainement prendre les décisions qu’il doit prendre, tout en pesant les conséquences politiques de telles décisions, nous dit-on. Les erreurs du passé l’auront sans doute enseigné que tout revers pourrait ébranler le capital de confiance obtenu lors des dernières législatives, n’est-ce pas ?

Le Peuple-électeur confie à Sir Anerood Jugnauth un gouvernement pour la sixième fois. Nous ne pouvons pas prétendre ne pas connaître notre homme. L’électorat du 10 décembre 2014 l’a plébiscité en connaissance de cause. Il nous revient avec ses défauts et ses qualités.

Il revient surtout avec une rage de revanche. Une rage de prouver à ses principaux détracteurs, Navin Ramgoolam et Paul Bérenger, que loin d’être un has-been de 84 ans, il leur faut, plus que jamais, compter avec lui. Il est même plus fort, à son 6e gouvernement que lors des premiers. Il ne doit qu’à lui-même sa victoire du 10 décembre 2014. Alors qu’il doit au MMM de Bérenger sa victoire du 11 juin 1982, à l’alliance Bleu-Blanc-Rouge (PMSD et PTr) ses victoires des 21 août 1983 et 30 août 1987, de nouveau au MMM de Bérenger celles des 15 septembre 1991 et 11 septembre 2000.

Il retrouve, en 2014, une situation en partie comparable à la situation prévalant en 1983 et 87 : à savoir, deux partis (PTr et PMSD) amoindris par le 60-0 du 11 juin 1982 et un MSM naissant ou ébranlé par l’affaire Amsterdam Boys mais condamnés à réussir (miracle économique) pour survivre.

Anerood Jugnauth revient au pouvoir pour la 6e fois en décembre 2014 à bord de ce que ses détracteurs ont nommé un camion saleté. Jugnauth rend alors ses lettres de noblesses à nos camions saleté, à nos services de voirie, à nos éboueurs, à ceux qui acceptent de travailler dans nos dépotoirs, dans nos services de recyclage, notre système de tout à l’égout, nos stations d’épuration. Des imbéciles peuvent essayer de les ridiculiser. Ils sont quand même nos citoyens les plus utiles car ils nettoient et font disparaître nos pollutions. Ils sont les premiers de nos citoyens d’honneur.

Nous aurons toujours besoin de camions saleté, ne serait-ce que pour nous débarrasser des partis politiques et des alliances électorales, lessivés par le scrutin du 10 décembre 2014.

Il y a trois mois, les détracteurs de ce qui deviendra notre Alliance Lépep (bien nommé) accordaient 6% au MSM des Jugnauth, moins encore à ce qui reste du PSMD des Duval, alors que le ML de Collendaveloo-Gayan avait encore à naître. Ils valent aujourd’hui 53% de l’électorat, 47 députés élus, 51 sièges à l’Assemblée nationale. Nous leur avons confié le pouvoir jusqu’en 2019.

Ces trois partis possèdent désormais la meilleure occasion qui soit de redorer leur blason et de nous prouver qu’ils valent beaucoup mieux que les scores insignifiants que deux partis trop arrogants, le PTr et le MMM, leur accordaient. Le Peuple est avec eux car il a viré dans leur direction. Gaspiller une telle opportunité serait une erreur impardonnable. C’est dire que ces trois partis ont tout intérêt à nous prouver que nous n’avons pas eu tort de placer en eux notre confiance.

Le ML de Collendavelloo-Gayan mais aussi de Lutchmeenaraidoo-Li Kwong Win et pourquoi pas d’Anerood Jugnauth, a une occasion en or de rassembler tous les anciens militants qui ont, un jour ou l’autre, quitté le navire mauve, pour une raison ou une autre. Entre Bérenger et Collendavelloo c’est la lutte pour savoir qui des deux parviendra le mieux et le plus vite à recoller les morceaux de ce beau parti mais ô combien effrité, atomisé.

Sir Anerood Jugnauth me contredira si l’envie lui prend. J’ose affirmer qu’il n’a jamais été aussi facile pour lui d’être le Premier ministre de Maurice. A se demander même s’il a encore besoin de gardes du corps. Je ne vois aucun ministre, aucun député, lui refusant de donner le meilleur d’eux-mêmes. Jamais nos ministres n’ont mieux appris que l’arrogance et le triomphalisme, ne sauraient être de mise.

Si l’année 2015 ne s’annonce pas sous les meilleurs auspices, nous serions en droit de désespérer de nous-mêmes. Toutefois, la vigilance demeure de mise car les beaux jours ne dureront pas éternellement.

* Estimez-vous que les enquêtes sur les leaders du PTr et du MMM telles qu’annoncées par SAJ risquent de fragiliser davantage ces deux partis ?

Les MSM, PMSD et ML ont été qualifiés de camion saleté. Ils sont aujourd’hui au Pouvoir par la seule volonté du Peuple souverain. Pourquoi vouloir « fragiliser » deux partis qui en pleine débâcle (voulue par eux) valent quand même 40% de l’électorat, soit près de 300 000 électeurs et près de 15 000 électeurs par circonscription. Il leur appartient de nous prouver qu’ils savent toujours rebondir.

Navin Ramgoolam devient réellement le leader d’un nouveau PTr, de son PTr, pendant sa traversée du désert de 2000 à 2005. Il nous prouve alors qu’il représente à lui seul l’alternance.

Le MMM n’est jamais plus fort que dans l’opposition. Il s’affaiblit soudainement quand il veut nous faire accroire, en octobre dernier, que, grâce à sa baguette magique, il n’y a plus de scandales, dans le pays de la pourriture – le nôtre.

Le gouvernement Lépep a tout intérêt à voir dans ces risques de revival du PTr et du MMM l’aiguillon devant l’empêcher de s’assoupir sur ses lauriers.

Qu’on ne parle surtout pas de nouvelle alliance électorale entre PTr et MMM. Ces deux partis doivent séparément savoir rebondir, se restructurer, retrouver leur meilleur dynamisme.

Nos partis politiques ont tout intérêt à s’imposer le règlement suivant : Interdiction absolue de penser, de parler, d’envisager, une quelconque alliance électorale, moins de trois mois avant le prochain scrutin général.

* Malgré la défaite et les menaces de Jugnauth et les commentaires de Arvin Boolell ou de Kee Chong Li Kwong Wing, et Ramgoolam et Bérenger ont démontré qu’ils comptent bien « stay put ». C’était inattendu cela, non ?

Je sais que dans certaines démocraties occidentales, la tradition veut que le leader d’un parti politique, battu lors d’un scrutin, démissionne. C’est leur problème et pas le nôtre. Il reste à cette tradition de nous convaincre, par exemple, que le Parti Socialiste français se porte mieux depuis le mémorable retrait de la vie politique d’un Lionel Jospin. De même on peut se demander si le départ de Tony Blair a revigoré ou affaibli le Labour britannique.

Nous sommes à Maurice. Jusqu’à preuve du contraire, nos principaux partis politiques appartiennent à leur leader historique (Anerood Jugnauth, Paul Bérenger, Navin Ramgoolam) ou à leur successeur attitré (Xavier Duval).

Ces partis leur appartiennent. Ils ont le droit d’en faire ce qu’ils veulent. Y compris les conduire « à la casse ». Seuls peuvent prétendre le contraire leurs plus fidèles partisans ou ce qu’il en reste.

A Bérenger et à Navin Ramgoolam de décider s’ils travailleront uniquement avec ce qui reste autour d’eux ou s’ils tenteront de battre le rappel de ceux et celles qui les ont quittés pour diverses raisons.

Tout en respectant pleinement un pouvoir politique qu’ils se sont octroyé sans devoir rendre compte à qui que ce soit, surtout pas à n’importe quel journaliste, j’ose quand même leur rappeler qu’un leader politique digne de ce nom doit préférer l’étoffe d’un rassembleur que celle d’un atomiseur des forces partisanes. Pour rassembler, il faut au moins avoir la modestie de reconnaître que les torts existants sont au mieux partagés. Force nous est de reconnaître que sur ce plan (celui de la modestie et de la retenue), Navin Ramgoolam a quelques longueurs d’avance sur Paul Bérenger.

 

* Published in print edition on 24 December 2014

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