« Une victoire électorale se construit jour après jour…

Interview: Yvan Martial

… rien n’est définitif, les faux-pas de demain peuvent annihiler les progrès d’aujourd’hui »

“Paul Bérenger, Anerood Jugnauth et Navin Ramgoolam ne doivent à personne leur MMM, MSM et PTr respectif. Ils en font ce qu’ils veulent, à leurs risques et perils”

En cette période, tous les yeux sont tournés vers le ministre des Finances qui doit présenter son budget aujourd’hui, ce vendredi 8 novembre. C’est une occasion pour Mauritius Times de solliciter un journaliste, Yvan Martial, qui a vu passer plusieurs grands argentiers, et d’obtenir son avis sur cet exercice annuel. C’est aussi un bon moment pour se pencher sur la situation politique, entre autres, Xavier Duval et les bruits courant autour de ses tractations politiques, Jean-Mée Desvaux et le deal Illovo, le Père Grégoire et les minorités, et aussi le juge Eddy Balancy.

Mauritius Times : Nous revoilà à quelques jours de la présentation du budget par le ministre des Finances, Xavier Duval. Au-delà du survol de la situation économique, avec à l’appui chiffres et prévisions et tout un chapelet d’intentions, la présentation du budget a été théâtralisée depuis le temps de Vishnu Lutchmeenaraidoo. Beaucoup au sein du Conseil des ministres et du secteur public s’attendent à ce que le budget 2014 ne porte pas la griffe d’un certain Ali Mansoor puisque les choses sérieuses, politiquement parlant, sont derrière la porte. A quoi vous attendez-vous par rapport à cet exercice ?

Yvan Martial : J’ai connu, au cours de mes premières années de journalisme, sinon d’apprentissage, l’époque des budgets nationaux du ministre des Finances, le Grand Argentier d’alors, Sir Veerasamy Ringadoo. La spécificité de ces années, précédant le 60-0 du 11 juin 1982, tient au fait que la présentation du budget national, pour l’année financière à venir, contenait une litanie de mesures financières, économiques, fiscales, salariales même, touchant mille et un aspects de la vie quotidienne des Mauriciens, depuis le coût des denrées alimentaires de base, du carburant, du transport en commun, de l’appel téléphonique, des tarifs fiscaux, des barèmes de l’impôt sur les revenus, ceux des particuliers comme des entreprises. S’ajoutaient à cela de nouvelles taxes et surcharges à faire dresser les cheveux sur la tête même d’un « chauve qui peut ». Tout cela justifiait le fait que les Mauriciens attendaient le jour et l’heure fatidique du budget national en serrant les dents et autre chose, en se demandant, avec angoisse, à quelle nouvelle sauce fiscale et douanière, ils seraient bientôt dévorés par un fisc insatiable.

Vishnu Lutchmeenaraidoo n’est peut-être pas meilleur économiste que Rama Sithanen mais il demeure imbattable en matière de maîtrise de l’outil de communication, sinon de manipulation de l’opinion publique. Intelligent comme il l’est, il s’est arrangé pour laisser, sinon contraindre, d’autres que lui (d’autres ministères, départements gouvernementaux, corps paraétatiques, compagnies d’Etat) à être les messagers des mauvaises nouvelles, des nouvelles augmentations de tarifs officiels en vigueur, des coûts des services publics. Ces mauvaises nouvelles n’avaient surtout plus besoin d’attendre le Jour J ni l’Heure H du budget national pour être annoncées. Elles étaient soigneusement réparties tout au long de l’année. Nous, contribuables, et consommateurs, étions déjà plumés, longtemps avant la séance parlementaire budgétaire, tant attendue.

Vishnu Lutchmeenaraidoo pouvait alors, en vrai magicien, en vrai prestidigitateur, avec des effets de manche, avec un art de cultiver le suspense que n’aurait pas dédaigné un Alfred Hitchcock, n’annoncer que les bonnes nouvelles des compensations à venir, les réductions des barèmes fiscaux (de 70% à 35%), des abolitions de taxes douanières (sur les magnétoscopes, par exemple, évitant ainsi à certains de ruineux déplacements à Singapour).

N’oublions surtout pas que Vishnu Lutchmeenaraidoo demeure l’inoubliable inventeur de la fallacieuse formule du No Tax Budget ! (Comprenez par là : pas de nouvelles taxes parce qu’elles ont été annoncées et mises en vigueur précédemment). Aucun de ses successeurs n’a été assez fou pour annoncer une nouvelle taxe dans une présentation budgétaire télévisée.

N’oublions pas le cinéma du pupitre et ambon érigés en plein Parlement, pour mettre en valeur l’orateur, devant tenir le crachoir pendant plus de deux heures.

N’oublions pas la claque parlementaire et majoritaire, crépitant à qui mieux mieux, au signal donné par le Premier ministre et Leader of the House. Malheur alors à qui ne tambourine pas sur son pupitre parlementaire plus bruyamment que son voisin.

Et ces accommodantes caméras de la MBC/TV, mitraillant tel ou tel ministre, en attendant que son collègue des Finances, déguisé en Père-Noël, annonce, ex-cathedra, urbi et orbi, les enveloppes budgétaires qu’il pourra gaspiller à sa guise, pendant la prochaine année financière.

Dieu ! que nous sommes naïfs, nous journalistes, de nous faire, année après année, les complices de pareilles supercheries. Nous sommes tellement stupides que nous ne pouvons même plus distinguer une lanterne d’une vessie ministérielle.

Je m’étonne même que nos Grands Argentiers successifs ne savent pas encore se montrer plus démagogiques. Aurais-je été un ministre des Finances que je me serais bien gardé de dire que « le gouvernement dépense (gaspille) tant et tant de milliards pour l’Education, la Santé, la Sécurité Sociale, la Police », etc. J’aurais été assez flagorneur pour présenter la chose autrement, en disant par exemple : « Moi, gouvernement, je donne plus de Rs 5 000, à chaque Mauricien, par an, en mettant un établissement scolaire avec son lot d’enseignants, de bâtiments et de matériel pédagogiques, pour qu’un écolier sur quatre ne sache ni lire, ni écrire, ni encore moins calculer. J’offre près de Rs 4 000 à chaque Mauricien pour qu’il puisse se faire soigner gratuitement dans mes hôpitaux, grâce aux bons soins de mes médecins et infirmiers. J’offre Rs 2 500 à chaque Mauricien par an pour que mes policiers assurent sa sécurité », etc.

Nous, mauriciens, sommes assez naïfs pour croire que l’éducation secondaire est gratuite, tout comme le transport par autobus, Blue Line compris, des élèves, pardon des apprenants, comme des croulants. Quand vous dites à la radio que l’éducation secondaire n’est pas gratuite mais payée par nous, contribuables et consommateurs, dont le Fisc siphonne les poches, nos poches, il y a des auditeurs qui vous insultent en s’indignant qu’on puisse faire preuve d’un tel manque de gratitude.

* L’investissement public et privé s’est rétréci, le chômage dépasse déjà la barre des 8% de la population active, dont 23% touchent les jeunes entre 16 et 24 ans, le taux de croissance économique de 4% a été revu à la baisse à 3,3%. On affirme également que la pauvreté gagne du terrain. On ne sait pas si « le poêlon » est vraiment chaud à l’heure actuelle, mais il va falloir réconcilier les impératifs économiques avec les réalités sociales – et politiques. Difficile défi à relever ?

L’investissement, public et privé, rétrécit. C’est peu de choses comparé aux sévères mesures d’austérité, frappant les habitants de pays aussi bien situés et aussi riches en ressources humaines et naturelles, que la Grèce, l’Espagne, le Portugal. C’est peu de choses, comparé à des pays du bassin méditerranéen, frappés par les soubresauts des révolutions démocratiques du Printemps arabe. Avons-nous le droit de nous plaindre, quand nous affichons un taux de croissance d’environ 3% ?

Mais que gagne-t-on en épargnant, si le taux d’inflation est supérieur aux intérêts qu’offrent les placements les plus sûrs ? Nous devons craindre surtout notre entrée dans un cycle nouveau, d’une nouvelle génération, privilégiant le gaspillage effréné, succédant à une précédente génération, celle de nos parents et grands-parents, ayant su épargner, sou après sou, pour que nous gaspillions aussi stupidement cette épargne, cette manne ancestrale tellement bénéfique. Honte à nous qui tournons le dos aux valeurs de saine économie et d’épargne de nos ancêtres.

Le chômage dépasserait les 8%. Parlons-nous de réels chômeurs ou de simples demandeurs d’emplois, dans un pays, devant faire appel à des dizaines de milliers de travailleurs étrangers ? Qu’un Mauricien, astreint à travailler de nuit ou en week-end, sollicite un emploi aux heures plus convenables, cela peut se concevoir. Mais peut-on se plaindre de n’avoir aucun emploi, quand notre pays doit faire appel à des dizaines de milliers de travailleurs étrangers ?

La pauvreté gagne du terrain. Quoi de plus normal si des pères de famille, des géniteurs d’enfants, trouvent cela normal de ne pas travailler sous prétexte qu’il serait indigne de leur part de devoir « éreinter leur corps » pour nourrir les enfants qu’ils ont mis au monde.

La pauvreté gagne du terrain. Cela se peut. Mais a-t-on le courage de dire que cela est aussi dû à l’abus de la drogue, de l’alcool, du jeu, à la fainéantise la plus coupable. Il est, bien sûr, plus facile de se draper dans les avantages d’une popularité factice parce que démagogique, en traitant des Mauriciens, assez responsables pour féconder des jeunes filles, souvent mineures, comme des assistés, des irresponsables, des victimes d’une société ayant trop facilement bon dos. Nos religieux rempliraient peut-être mieux leur mission divine et pastorale, en forçant leurs ouailles à faire face à leurs responsabilités de pères de famille, au lieu de les encourager dans le triste rôle de prétendues victimes de la société anonyme, d’assistés irresponsables. La Bonne Nouvelle du Salut ne saurait se faire à coups de démagogie. Après tout, nul n’est obligé d’accepter « ène la case poupette » ? Nous n’avons qu’à construire ou à louer la maison de nos rêves, en travaillant suffisamment pour pouvoir offrir ce confort aux nôtres. Ceux, qui peuvent offrir mieux qu’une « la case poupette » à ceux, que nous encourageons à demeurer des assistés, n’ont qu’à construire, à leurs frais des logements plus confortables, s’ils sont plus malins que notre gouvernement. Qui les empêche d’agir de la sorte ?

Les impératifs économiques sont rarement une invention mauricienne. Ceux-ci sont le plus souvent dictées par un monde de plus en plus globalisant. Si nous nous arrêtons pour pleurnicher et de nous lamenter sur nos malheurs, d’autres pays plus ambitieux, nous enviant nos précédents bonds économiques, nous dépasseront et seront très heureux de profiter, à notre place, des mannes économiques qu’un monde, en constante évolution, peut offrir aux peuples les plus débrouillards, les plus travailleurs, pour mieux les refuser à des peuples se voulant des nations d’assistés.

* Le budget 2014 sera le deuxième du ministre Xavier Duval. Le bruit court que ce sera probablement son dernier puisqu’il serait depuis quelques temps à la recherche d’une autre option politique. Si tel est effectivement le cas, Xavier Duval va sans doute prendre le temps de bien réfléchir avant d’agir, mais l’estimez-vous capable – et dans son intérêt – de faire le saut ?

Je ne crois pas Xavier Duval assez stupide pour aller quémander une place « on board » aux trois capitaines, aux trois géroncrates, d’un « remake » aussi aléatoire et guère certain de remporter les prochaines élections législatives. Ce qui reste du PMSD de Jules Koenig et de son père n’a absolument rien à offrir au MMM de l’inamovible Paul Bérenger. Même si Xavier Duval troquait sa chemise bleue pour un maillot mauve, les derniers partisans du poulailler bleu profiteraient de cette aubaine pour prendre place à bord du train rouge, tiré avec une facilité déconcertante par une locomotive nommée « Navin Ramgoolam ». Tous nos politiciens ne sont pas aussi stupides que nous serions parfois tentés de le croire. Concédons leur le bénéfice du doute jusqu’à ce qu’ils nous prouvent que nous les avions surestimés.

* On ne sait pas si ce sont de tels bruits, comme ceux par rapport à Xavier Duval concernant sa recherche d’une autre option politique ou autres, qui ont fait dire à Navin Ramgoolam récemment qu’il ne craint pas les « adversaires en carton », mais bien « des traîtres et des Judas ». Un leader d’une alliance ne dit pas de telles choses innocemment quand même ?

S’il s’agit de simples bruits, pourquoi leur donner une consistance qu’ils n’ont pas encore ? Des Judas, qui n’en est pas entouré ? « Seigneur, protège-moi de mes amis, mes ennemis je m’en charge ! » Navin Ramgoolam aime bien réfléchir à voix haute, même en public. Nous, journalistes, devrions être les derniers à nous plaindre, puisque les rêveries de ce Premier ministre solitaire font aisément « nos unes médiatiques » les plus vendables. Laissons le soin à Kailash Ruhee, Subhash Gobin, et à Bhinod Bacha, le soin de dire à Navin Ramgoolam : « Tu as raté une occasion en or de te taire. »

Les confidences à haute voix de Navin Ramgoolam ne sont jamais des diktats irréversibles. Il peut demain corriger ce qu’il a pensé tout haut aujourd’hui, en présence de journalistes dont on connaît et apprécie l’indiscrétion. Il ne répugne pas à confier ses états d’âme même à des journalistes rapporteurs, se chargeant de mettre toute une population au courant des doutes, pouvant assaillir momentanément le chef de notre gouvernement. Ce dernier garde toute la latitude voulue, pour rassurer ceux qu’ils croit devoir garder auprès de lui, tout en s’amusant à effilocher la ficelle, retenant l’épée de Damoclès suspendue sur la tête d’autres collaborateurs.

Si alliés politiques, conseillers, collaborateurs, de Navin Ramgoolam, ont été recrutés sur la foi du surcroît de compétence personnelle ou collective qu’ils peuvent lui apporter, ils n’ont absolument rien à craindre. Leur rend-il leur liberté que leurs compétences propres leur permettront aisément de trouver un nouveau moyen de les mettre au service du Peuple. Malheur à eux, en revanche, s’ils doivent leur poste haut perché à la faveur, à la discrétion, du Prince qui nous gouverne. Sans sa bénédiction, ils ne sont plus rien. Pourquoi voulez-vous que nous, Mauriciens, nous nous préoccupions du sort de vulgaires parasites, ingrats de surcroît, que Navin Ramgoolam garde autour de lui, par simple bonté d’âme ?

* Vous disiez dans une précédente interview que « Navin doit se réveiller. Revoir les structures essentielles de son gouvernement, comme de son parti… L’an prochain, en 2014, nous entrerons, au moins en esprit, en campagne électorale. Navin et son PTr doivent aborder ce dernier virage en position de vainqueur. C’est peut-être le moment de sortir la cravache… » C’est peut-être trop tard pour sortir la cravache, et il se pourrait qu’il soit également, et malgré lui, à la recherche d’une autre option politique ?

2015 est encore loin. L’expérience des précédentes campagnes électorales nous apprend, même à nous journalistes, qu’une victoire électorale se construit jour après jour, que rien n’est définitif, que les faux-pas de demain peuvent annihiler les progrès d’aujourd’hui. Que savons-nous des prochaines Législatives, à part qu’elles devraient avoir lieu en 2015 ou au début de 2016 ? Nous ne connaissons pas la date de leur tenue. Nous ne savons pas si elles auront lieu d’après le système électoral aujourd’hui en vigueur ou si des amendements lui seront, d’ici là, apportés.

Mais indépendamment de toute échéance électorale, tout parti politique, qui se respecte, doit avoir au moins un calendrier d’activités annuelles, établi longtemps à l’avance. Il doit montrer sa force, sa présence, circonscription par circonscription. Il doit disposer d’ailes jeunes et féminines dignes de ce nom, rivalisant d’efficacité, pour prouver qu’elles possèdent une efficacité supérieure aux autres. Il doit pouvoir disposer des outils de communication et de relations publiques indispensables dont des journaux, en vente dans tous les kiosques, disponibles à qui s’intéresse à leur efficacité sur le terrain. Notre actualité apporte semaine après semaine, sinon jour après jour, son lot d’événements, demandant à être commentés, par de nouvelles têtes pensantes, de jeunes cerveaux, de nouveaux noms, de nouvelles promesses oratoires, bref du sang nouveau, des signes de renouvellement. Nous devons espérer que les prochaines Législatives seront remportées par le bloc politique, pouvant prouver, aux Mauriciens, qu’il dispose davantage de sang neuf et de relève que l’adversaire. Il y a aussi cette grande masse de citoyens non politiciens mais qui ne demanderaient pas mieux que de pouvoir mettre leurs lumières au service de notre classe politique, sans rien attendre en retour, sans réclamer aucun « boutte ». Que peut offrir d’ailleurs notre classe politique à des jeunes compétences qui arrivent, sur notre marché du travail, en pouvant s’offrir des salaires mensuels dépassant le quart de million de roupies ?

* Jean-Mée Desvaux, ancien conseiller de Paul Bérenger, ne cache pas son aversion pour le Remake 2000 – « une alliance scandale du siècle », dit-il. Il est quand même difficile de croire qu’il se prêterait à faire le jeu de Navin Ramgoolam en déterrant les dessous de l’affaire Illovo douze années après que ce « mari deal » a été conclu. Qu’en pensez-vous ?

Cette question met le doigt sur divers anciens principes déontologiques qui perdent, de nos jours, en élasticité, ce qu’ils possédaient jadis en rigidité. Il y a d’abord celui des rapports entre journalistes et politiciens. S’il y a une qualité que j’admire chez Lindsay Rivière, c’est qu’il a toujours su résister aux sirènes politiciennes, voulant l’envoûter. Cela dit, d’autres éminents journalistes, tels Philippe Forget, Raoul Rivet, Edgar Millien ont su, de manière irréprochable, faire honneur tant à leur vocation journalistique qu’à leur carrière politique, longue ou brève.

Je tiens à réitérer l’immense respect que j’accorde, sans réserve, à ceux et celles qui ont eu le courage de répondre : « Présent, prêts à servir » quand des chefs de parti politique ont sollicité leurs services. A condition, toutefois, d’avoir toujours, fait montre, dans l’arène politique, d’un esprit de service irréprochable et surtout de ne s’y être fourvoyés pour se faire servir ou, pire encore, se remplir les poches. Mon estime la plus grande va vers des politiciens du carat d’un Sookdeo Bissoondoyal, d’un Jules Koenig, d’un Maurice Lesage, d’un Beekrumsing Ramlallah, d’un Harish Boodhoo, d’un Sylvio Michel, qui quittent l’arène politique, misère faite. On les reconnaît par le fait qu’ils habitent, à la fin de leur carrière politique, la maison qui était la leur, en y entrant. En dehors des voitures officielles mises à leur disposition, on ne leur connaît aucune limousine, sinon bolide, acquis Dieu seul sait comment.

La participation active à une politique partisane est un mariage, pour le meilleur comme pour le pire, entre une formation politique quelconque et l’aspirant politicien et même le non politicien, mettant ses services, ses compétences, parce que sollicités, à la disposition d’un dirigeant politique.

Fréquenter les couloirs ministériels comporte des avantages comme des inconvénients. Les uns ne vont jamais sans les autres. On ne peut accepter les uns et refuser les autres. Fait preuve d’irresponsabilité qui veut profiter des avantages tout en récusant les inconvénients. Nul n’y est obligé. Tout politicien ou para-politicien y va en toute liberté. Nous attendons de lui qu’il assume entièrement toutes les conséquences, heureuses comme fâcheuses, de son adhésion.

Aucun politicien ou équivalent n’est, en aucun cas, autorisé à tolérer une situation, une décision, que sa conscience d’honnête homme pourrait lui reprocher. Comme disait excellemment le sage Maurice Rault : « Nul n’a le droit de faire rougir son ange gardien ! » Quand le parti politique, auquel adhère momentanément le non politicien, pour cause de services sollicités, oblige ce dernier à avaler quelque chose que sa conscience réprouve et ne saurait digérer, le divorce, la séparation des corps, devient alors inévitable. Encore que cela peut se faire dans une discrétion irréprochable, afin de n’embarrasser personne, ni faire le jeu de l’adversaire.

Dans le cas d’un soudain et mystérieux passage d’un éventuel partage (un tiers pour le secteur privé et deux tiers pour l’Etat à un autre où l’Etat se contente d’un seul tiers des gains inattendus, si j’ai l’intime conviction qu’il y a définitivement anguille sous roche et que cela pue la magouille à plein nez, je démissionne sur le champ, quitte à me retrouver sur le pavé, au grand dam de ma famille et de mes enfants. Sur le champ et pas une décennie plus tard, en me contentant de faire de vagues allégations.

Si, au cours de négociations ultra-confidentielles, le secteur privé parvient à me convaincre que, pour lui, avec seulement un tiers des gains inattendus, le jeu n’en vaut plus la chandelle et si le gouvernement me convainc qu’un tiers tu l’auras vaux mieux que rien du tout, je conserve le droit de réviser ma position initiale et concéder que tout se conclut, quand même, dans la transparence.

D’autres remarques s’imposent ici. Un conseiller n’est pas un décisionnaire. Il doit quand même accepter une parcelle de complicité, dans toute décision prise, même si celle-ci va à l’encontre de ses recommandations. Sa complicité ne cesse que s’il a le courage de démissionner, immédiatement, en faisant ressortir que sa conscience ne lui permet plus de demeurer en fonction. Il démissionne et retrouve sa virginité.

Participer même furtivement aux négociations d’un « Deal Illovo » est réservé à quelques initiés, triés sur le volet, soit en raison de leurs compétences professionnelles, soit en raison des postes officiels qu’ils occupent. La discrétion la plus totale est de rigueur, surtout si toute dérogation à cette règle implicite doit salir, après coup, la réputation de tel ou tel ancien partenaire de réflexion et de négociation.

Je le répète : on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre. On ne peut jouir, durablement, des avantages pour vomir, longtemps après, sur les inconvénients. Mariage pour le meilleur et pour le pire. En acceptant cela, on se montre responsable. Cracher dans la soupe n’est jamais élégant, ni honorable.

Des adversaires politiques, veulent exploiter un tardif règlement de comptes entre anciens conseillés et conseilleurs. On me dira qu’en politique de basse cuisine, tous les coups sont permis. J’en doute. Un Jules Koenig, un Renganaden Seeneevassen, un Harilal R. Vaghjee, un Jay Narain Roy, un Seewoosagur Ramgoolam, ne seraient jamais descendus aussi bas.

Quand on est au courant de quelque chose de mal, d’irrégulier, on doit agir selon sa conscience. Soit on loge une accusation en bonne et due forme, soit on se tait. Se contenter de simples insinuations, n’est jamais très glorieux, ni courageux.

Un journaliste vraiment indépendant, autrement dit non-partisan, n’a pas à se mêler de la basse cuisine des blocs politiques en présence. Paul Bérenger, Anerood Jugnauth et Navin Ramgoolam ne doivent à personne leur MMM, MSM et PTr respectif. Ils en font ce qu’ils veulent, à leurs risques et périls. Tout le monde ayant, politiquement parlant, couché avec tout le monde, à Maurice, venir déterrer de sordides secrets d’alcôve demeure peu élégant.

* La dernière par rapport au projet de réforme électorale, c’est que Navin Ramgoolam y travaille présentement. C’est ce qu’il a affirmé lors de la célébration du Divali à la Hindu House. Soit il est en train de nous mener en bateau, soit il attend de meilleures dispositions de la part du leader du MMM. Il semblerait, de l’avis des observateurs politiques, que sans un accord électoral entre le PTr et le MMM, il n’y aurait pas de réforme électorale. Votre opinion ?

Navin Ramgoolam nous mène certainement en bateau. Seuls les imbéciles diront le contraire. Yousouf Mohamed a déjà dit que notre Constitution, et par conséquent notre système électoral, ont été taillés sur mesure, par le Pr de Smith, pour vêtir élégamment Sir Seewoosagur Ramgoolam et son PTr. Quel avantage auraient son fils et son parti à modifier un complet constitutionnel et électoral qui leur sied à merveille ? Absolument rien. Comme ils n’ont rien à gagner mais tout à perdre, ils se gardent de retoucher ce costume constitutionnel et électoral qui leur va si bien. Comment leur donner tort ?

Certes, des retouches ont été faites postérieurement mais curieusement pour serrer de plus près la taille du Parti ramgoolamien, sinon jugnauthien. Les complices minoritaires de cette haute couture, cousue de fil blanc, n’y ont vu que du vent ou les ont acceptées lâchement, tout en sachant que cela dessert les intérêts majeurs des minorités qu’ils sont censés défendre.

Un exemple au hasard : tout est fait depuis 1960 pour que le PTr ou le MSM (du temps de sa splendeur), rogne, année après année, l’avantage électoral, dans les villes, d’abord du PMSD et puis du MMM. Que font ces deux partis, quand ils profitent d’un « boutte » du pouvoir central ? Rien, sinon perpétuer ce viol de la démocratie régionale et de proximité, là où peuvent naître la relève politicienne, souhaitée de nos vœux les plus chers.

Une nouvelle découpe de nos vingt circonscriptions électorales dort depuis des mois et des années dans un tiroir gouvernemental, attendant d’être rejetée « in toto » par la majorité parlementaire parce qu’elle ne va, sans doute, pas dans le sens du poil électoral, voulu par l’Hôtel du Gouvernement, sinon elle aurait déjà été approuvée. Avec une simple division mathématique du nombre total d’électeurs de l’île Maurice par 20 circonscriptions, les Numéros 2 et 3 doivent fusionner, réduisant de moitié le nombre de nos députés musulmans. Qui voudrait leur faire une telle peine, à la limite du supportable ? En attendant, on oblige les électeurs de la Cité Kennedy à voter avec ceux de Surinam. « Banne ti-créoles ça!»

N’importe quel fonctionnaire non élu mais recruté par la PSC du ministère des Administrations régionales possède davantage de pouvoirs administratifs et réels qu’un conseiller municipal, qu’un maire, qu’un lord maire et vous voulez que je prenne au sérieux des « coze cozé » politiciens sur la réforme électorale. Ce qu’il faut être stupide pour se disputer le privilège de s’asseoir sur ce réchaud plein de braises ardentes que sont devenus nos fauteuils des maires. Un lord maire se présente pieds et mains liés devant une armée de marchands dits ambulants, fonctionnaires et peut-être même policiers compris. Tout ce qu’il peut dire, dans un sens ou dans l’autre, peut être immédiatement contredit, par le ministère des Administrations régionales.

En 1946/47, le gouvernement colonialiste, et donc anglais, obtient qu’une vingtaine de nos politiciens les plus représentatifs d’alors s’asseyent autour d’une même table, pour rédiger une Constitution, devant mettre fin au règne, à Maurice, de l’oligarchie la plus irrespectueuse des droits et des libertés de « banne là ». Aujourd’hui, nous sommes incapables de réunir autour d’une même table les dirigeants de nos principaux partis politiques, pour tracer les grandes lignes d’un nouveau système électoral consensuel, avec pour base le système actuel, les changements évidents qui s’imposent, une dose de représentation proportionnelle la plus faible qui soit, pour commencer, quitte à l’augmenter après rodage et consensus, quitte à ce que les techniciens de notre Commission électorale et les spécialistes de la chose électorale et constitutionnelles, qu’elle voudra bien s’adjoindre, se chargent de rédiger la partie technique et détaillée des recommandations fondamentales.

Je l’ai dit et je le répète ; nos politiciens en activité sont les joueurs s’activant sur notre terrain électoral. Il n’est jamais sain de permettre à des joueurs de modifier les règles du jeu, surtout en cours de jeu. Laissons à des arbitres, des légistes et spécialistes du droit constitutionnel et électoral le soin de décider les règles que nos joueurs-politiciens devront respecter à la lettre, sous peine de disqualification ou d’expulsion du terrain.

* Navin Ramgoolam avait aussi fait mention, lors de cette cérémonie à la Hindu House, des commentaires du gouverneur Mckenzie Kennedy sur les divisions horizontales (en termes de disparités économiques) et verticales (en termes de races et de religions) qui morcelaient le pays dans les années 50. Cela n’a pas changé, dit-il. Peut-être, mais on vit avec quand même ?

Notre ancien gouverneur Donald Mackenzie-Kennedy à raison. Notre admirable population arc-en-ciel, mosaïque, salade de fruits, mauricienne possèdent d’inévitables divisions horizontales et verticales. Elles ont, toutefois, l’avantage appréciable de s’entrecroiser et de former le plus beau quadrillage qui soit. Chaque croisement est source d’un enrichissement mutuel inestimable, pouvant produire des fruits peut-être inimaginables. Nous produisons continuellement et à chaque coin de rue une diversité culturelle d’une richesse insoupçonnable que des pays, infiniment plus avancés que nous, nous envient.

De quoi nous plaignons-nous ? Il y a certes des minorités et des majorités dans ce pays. Elles n’ont jamais empêché des Mauriciens méritants de se faire la plus belle place qui soit sous le soleil de Maurice, dans le respect des droits et des libertés des autres.

Regardons davantage ce qui se passe ailleurs dans le monde même de celui qui se prétend civilisé pour mieux apprécier ce qui se passe dans notre pays. A New York ou à Paris, tout musulman barbu est soupçonné d’implication terroriste. A Damas, musulmans sunnites et chiittes s’entretuent. A Delhi, on viole collectivement une femme parce qu’elle est femme et, à ce titre, devenue le jouet sexuel de mâles en rut, incapables de maîtriser leurs pulsions sexuelles. Au Centrafrique et ailleurs, des hordes de musulmans terroristes sortant, de nulle part, se permettent de massacrer des majorités chrétiennes. En Italie, des joueurs africains se font huer parce qu’ils sont meilleurs buteurs que les fils du sol. Quel Mauricien voudrait avoir un Sylvio Berlusconi pour Premier ministre ? Notre MBC/TV vaut ce qu’elle vaut mais au moins elle n’est pas obligée de nous imposer des images de Jean Marie ou de Marine le Pen.

Je suis moins raciste que mes parents mais mes enfants sont moins racistes que moi. Et s’ils peuvent l’être, c’est parce que mes parents m’ont appris et m’ont permis à l’être moins qu’eux-mêmes. Il faut être aveugle pour ne pas voir le progrès tous azimuts, y compris dans nos relations intra-culturelles, qui s’accomplit de décennie en décennie.

* La démarche de Jocelyn Grégoire visant à regrouper toutes les minorités du pays sous la tutelle d’une Fédération des minorités mauriciennes vous inspire quoi au juste ? Est-ce le démon de la division qui revient dans les discours… ?

Gardons-nous de voir le démon de la division là où il ne l’est peut-être pas forcément. Le seul démon, que je connais mais alors intimement, est celui qui, en moi, m’incite à faire le mal que je ne veux pas faire et me décourage à faire le bien que je voudrais faire. J’ai assez de mal pour lui résister, pour ne pas vouloir l’imposer à d’autres que moi.

Regrouper les minorités : que peut vouloir signifier une telle sornette ? Qui sont-elles ? Les « vaish » sont une minorité au sein de notre communauté hindoue ? Et même s’ils sont une majorité, il n’y a que l’un d’entre eux à pouvoir être notre Premier ministre. Jocelyn Grégoire va-t-il regrouper cette extrême minorité de Vaish Premier ministre, totalement perdue dans la multitude Vaish non Premiers ministres ? Quel Homère local chantera la solitude d’un Premier ministre mauricien?

Je concède que chaque Mauricien a le devoir de faire le maximum pour promouvoir les intérêts de sa communauté ethnique ou religieuse, quand celle-ci daigne faire appel à ses services, mais à la condition expresse que toute action de promotion des intérêts d’une quelconque minorité ne se fasse jamais au détriment de ceux d’une autre composante de la population mauricienne.

Si Jocelyn Grégoire a l’idée de regrouper les minorités pour constituer une troisième force politique, j’attendrais qu’il réussisse, dans son entreprise, avant de le prendre au sérieux. A ce jour, tout effort connu pour constituer une troisième force politique a été surtout une farce monumentale.

Il n’y a nul besoin de faire de la politique active quand on veut sincèrement se mettre au service de son pays, en commençant par ceux qui, autour de nous, pourraient avoir besoin de nos compétences et de nos lumières pour mieux discerner la route à suivre pour des lendemains meilleurs que le nôtre aujourd’hui.

Il y a service et service. Leur mélange n’est pas toujours heureux. A vouloir courir plusieurs lièvres à la fois , on risque d’en perdre davantage en route que d’en gagner de nouveaux aussi valables que ceux qui nous quittent parce qu’ils nous avaient fait confiance, avant de se rendre compte que nous dissimulions, derrière notre dos, un agenda caché

* La polémique concernant le juge Eddy Balancy, qui s’estime être privé de ses « aspirations légitimes » d’assurer l’intérim au poste de ‘Senior Puisne Judge’ et à celui de Chef Juge a aussi dominé l’actualité ces derniers temps. Quelle opinion faites-vous des explications du Premier ministre au Parlement par rapport à cette affaire, et de la participation du juge Balancy à la Convention créole ?

Il y a un dicton au sein de l’Eglise catholique rappelant que c’est un péché mortel que d’ambitionner de devenir évêque. Cela vaut pour tout leadership de quelque nature que ce soit. Il faut être crétin pour vouloir coûte que coûte être le Grand Manitou alors qu’il est tellement plus simple de servir de toutes ses forces, surtout dans les positions les plus subalternes, là où nous n’avons qu’à exécuter les ordres venus d’en-haut, sans nous poser aucune question, en nous contentant d’être le meilleur serviteur qui soit.

Si Dieu veut que nous servions à un poste plus important mais aussi plus responsable, sinon plus emmerdant, il saura attirer l’attention de nos dirigeants sur nos capacités de servir, peut-être supérieures à celles des autres. Il faut être fou pour courir derrière les responsabilités alors que nous avons déjà tant de mal à nous faire petits quand nos chefs cherchent des volontaires, sinon des kamikaze pour des missions suicides ou presque.

Tout chef touche, il est vrai, quelques dizaines de milliers de roupies de plus que ses subalternes. Il s’agit aussi, sinon surtout, de millions d’emmerdements en plus, de quoi se faire du mauvais sang, sinon écourter sa vie de quelques bonnes années, et ce, en supposant que tout se passe bien, pendant la durée de ce leadership ambitionné ou imposé. Quelqu’un veut me ravir la première place qui se balance sur ma tête, telle une épée de Damoclès ? Mais c’est le plus précieux service qu’il peut me rendre. Je vous cède ma place bien volontiers. Ne courons jamais derrière des emmerdements de leadership, ils sauront toujours nous rattraper au moment le plus imprévu qui soit. Au moins nous pourrons nous abriter derrière la confortable excuse : je n’ai rien réclamé. C’est vous qui êtes venu me chercher !

A propos de la Convention Créole, a-t-on seulement pris la peine de définir qui est créole et qui ne l’est pas ? Voilà une ambiguïté qui nous encourage à être seulement et avant tout « Mauricien », encore que notre « Best Loser System » ignore souverainement ce terme. Aux dernières Législatives, notre Commission électorale a refusé ma candidature au No 8, sous prétexte que j’appartenais à une communauté mauricienne inexistante à ses yeux. J’espère avoir moins de malchance en 2015.

 


* Published in print edition on 8 November 2013

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