Démocratisation: « Le discours de Navin Ramgoolam ‘makes sense’ »  

Interview : Sydney Selvon

« “Les dirigeants du gouvernement actuel ont quand même raison de répliquer à cette section de la presse qui fait systématiquement campagne contre lui » 


A moins de bien gérer ses relations avec ses alliés, Ramgoolam risque de se mettre en difficulté. Passage obligé : les meetings du premier Mai à Maurice. Sydney Selvon nous livre d’abord ses impressions sur la guerre des foules avant d’analyser la composition des électeurs des deux principaux blocs politiques et la manière dont se font et se défont les alliances politiques. Il s’intéresse aussi à l’avenir du capitalisme et à la démocratisation de l’économie qui prend souvent une tournure communale dans le contexte mauricien à cause de son passé colonial. De même, il considère le rôle de la troisième force politique, la presse locale et l’absence d’efficience en termes de communication au sein de l’Alliance gouvernementale…


Mauritius Times : Premier Mai plutôt réussi pour les deux principaux blocs politiques du pays, dimanche dernier, à voir les images projetées par la MBC-TV des rassemblements à Vacoas et à Port Louis. Match nul, diriez-vous ?

Sydney Selvon : Presque. Cela est dû au fait que la moitié de l’électorat a voté pour Navin Ramgoolam comme Premier ministre, et l’autre moitié, ou quasi-moitié, a voté pour Paul Bérenger comme Premier ministre. En gros, un Mauricien sur deux a voté, comme très souvent depuis l’indépendance, dans un sens et un nombre quasiment égal a voté dans le sens contraire. Ce qui fait que l’on ne doit pas s’étonner qu’ils fassent jeu égal – ou à peu près – le 1er Mai.

Vous avez raison, par ailleurs, d’utiliser le mot « match ». Et, comme les matches de football locaux au niveau national, ces meetings ne seront plus jamais comme avant: les foules sont en baisse et arrivera le jour où réunir un millier de personnes à un de ces meetings dits nationaux relèvera de l’exploit. Oui, à analyser de près l’affluence aux deux principaux meetings politiques, il s’agit d’un match nul, mais des deux côtés les foules étaient maigres par rapport au passé selon tous les observateurs impartiaux. Pour moi, l’extinction de la tradition politique du 1er Mai interviendra dans moins d’une décennie.

* Mais ce sont surtout les « die-hards » et autres membres d’associations féminines ou du troisième âge qui ont fait le déplacement pour faire le nombre à Vacoas et à Port Louis. Effet donc illusoire qui ne nous apprend pas grand-chose du ‘mood’ des Mauriciens vis-à-vis du pouvoir et de l’opposition puisque la majorité reste silencieuse. Qu’en pensez-vous ?

Qu’importe la composition de la foule. Nous parlons de match, de guerre de foules. Le 1er Mai a été réduit à cela, ce qui fait que les partis se soucient plus du nombre que de la composition de la foule. Oui, les die-hard y étaient. Des associations féminines ou du troisième âge y ont participé et c’est leur droit de citoyens. Toutefois, je crois, comme vous, que la majorité des citoyens reste silencieuse et c’est de plus en plus dans leurs habitudes. Et, ce sera de toute façon le cas, dans les années à venir, comme cela s’est passé dans les démocraties plus vieilles que la nôtre. Le temps des votes facilement acquis ou acquis à l’avance va prendre fin. L’électorat réalisera qu’une élection n’est pas une fin du monde, mais plutôt la fin, ou bien la réincarnation d’un régime en place. Et les électeurs auront tendance à réfléchir à tête reposée à leur vote plutôt que de céder au vote facilement accordé sur le coup d’une émotion – ou d’un coup de cœur.

Cette évolution se traduit déjà par la diminution des foules aux soi-disant grands meetings du 1er Mai. Je dis « soi-disant » sans vouloir diminuer la stature des chefs de l’establishment politique au gouvernement et dans l’opposition et le mérite que pourraient représenter, aux yeux des Mauriciens, leurs choix et propositions comme la démocratisation de l’économie ou une nouvelle Constitution pour l’île Maurice, une nouvelle vision de l’administration régionale, etc. J’ai le plus grand respect pour les choix politiques de mes compatriotes.

* N’empêche qu’on a le sentiment que l’opposition électorale face au PTr (comme les résultats des dernières élections générales qui avaient donné presque 44% au MMM et la composition de l’assistance au meeting des mauves, dimanche) est demeurée à ce jour « frozen in time » — sauf que le PMSD est passé aux côtés des Travaillistes. Comment donc parler d’effritement de l’électorat MMM dans ces circonstances ?

Vous touchez du doigt la nature fondamentale du sujet quand vous parlez d’une « opposition électorale face au PTr » et que vous dites qu’elle serait demeurée inchangée, mieux, « frozen in time ». Si l’on analyse l’évolution électorale à Maurice, l’on peut arriver au constat suivant, que ferait n’importe quel politologue indépendant :

Le MMM a réalisé le même score, ou presque, qu’il a réalisé à chaque fois qu’il menait la barque de l’opposition, notamment en 1976, où il est sorti en tête devant le PTr, sans pouvoir prendre le pouvoir, et en 1983, 1987 et 2010. La seule fois où il est tombé au plus bas, ce fut à 39%-41%, aux côtés du MSM en 2005. Une parenthèse pour préciser ici qu’aux élections de 1982, 1991 et 1996, le MMM avait mené SAJ et Navin Ramgoolam au pouvoir avec des majorités très massives, dans des alliances qui étaient gagnantes avant le jour du scrutin pour des raisons bien spécifiques. Par ailleurs, Sir Anerood Jugnauth m’a toujours affirmé que si Sir Gaëtan Duval n’avait pas fait d’alliance avec SSR, ou s’il n’avait pas consenti à renvoyer les élections de 1972, il serait à coup sûr, je le cite, « devenu Premier ministre ». Pour lui, SGD n’a pas su attendre son heure.

Je ne crois pas qu’il y ait d’effritement du bloc de l’opposition quelle qu’elle soit, dans la conjoncture normale de la politique partisane à Maurice, c’est-à-dire que nous avons normalement une île Maurice divisée en deux blocs quasiment égaux depuis l’indépendance.

On ne se rend pas assez compte que l’Histoire a démontré qu’un Mauricien sur deux a voté contre l’indépendance, et a voulu soit de SGD, soit de Bérenger comme Premier ministre, et ce, de manière fréquente. Et, mis à part les élections de 2005, qu’un sur deux Mauriciens a voté pour l’indépendance et pour SSR, SAJ et Navin Ramgoolam comme Premier ministre. Pour moi, cela contredit – dans une grande mesure -, mais pas tout à fait peut-être, les théoriciens du vote communal.

J’affirme, donc, que le pays est politiquement aligné, depuis l’indépendance, en deux camps qui sont presque à égalité numérique. Il n’y a pas d’effritement de l’un ou l’autre camp en temps normal, et même en 1982, un tiers des Mauriciens ont voté pour le PTr qui, pourtant, n’a pas eu un seul siège à l’élection directe. Chacun des deux blocs n’est pas la somme simpliste des pourcentages des communautés, mais un entremêlement de toutes les communautés avec, pour seule concession aux théoriciens du vote « communautaire », qu’il y a un peu plus ou un peu moins de telle ou telle communauté dans chaque bloc. Mais ce n’est pas forcément ce qu’on peu facilement décrire comme un vote populaire communaliste.

* Que peut faire le leader du PTr face à ces 44% de l’électorat qui demeurent toujours de l’autre côté de la barrière : consolider le PTr en tant que parti national, miser toujours et encore sur Xavier-Luc Duval et l’agenda de l’Intégration sociale… ?

Je le répète, 44%, c’est presque la moitié de l’électorat. Aux élections de 2005, on aurait pu croire que l’effritement du bloc comprenant près de la moitié des Mauriciens, c’est-à-dire ceux opposés à l’autre bloc mené par le PTr, avait commencé avec la défaite un peu plus dure du MMM comparée à ses scores passés. On a vu l’an dernier que tel n’était pas le cas avec les 44% dont vous parlez. On est revenu à 1967 où SGD, avec sa campagne « Hindou mon frère » avait renversé la vapeur d’un déclin anticipé dans la communauté hindoue en raison d’un slogan antérieur contraire à cela, et éminemment odieux. SGD avait réalisé l’exploit d’avoir près de la moitié du pays le choisissant comme son chef. Bérenger a hérité de cette situation.

Qu’ont pu faire SSR, SAJ ou Navin Ramgoolam face à cela ? Très peu, à ce jour, sauf en 2005. La résilience des deux blocs revient toujours au galop quant on essaie de la chasser. Cela dit, le PTr est et reste un parti à vocation nationale de par sa composition. Et son vis-à-vis, bien qu’étant accusé de faire le jeu des puissants sucriers, continue à enregistrer des scores qui fait du MMM un parti conservant une audience au caractère tout autant national de par sa composition.

Le problème pour le PMSD, c’est que c’est un parti qui tourne surtout autour de cette section de la population que l’on appelle les gens de couleur et que, pour la première fois de son histoire, la communauté créole (une communauté à part entière autant que le sont les gens de couleur) a trouvé un leader fort endogène à la communauté, le Père Jocelyn Grégoire. Ce dernier, s’il ne cautionne pas nécessairement Bérenger comme le choix obligé des Créoles, n’y objecte pas, tout au moins. Tout comme il n’objecte pas, je l’espère bien, au nom du mauricianisme et de la démocratie, que Navin Ramgoolam prétende lui aussi rassembler les Créoles sous la bannière travailliste, une aspiration tout à fait légitime.

Ramgoolam travaille sérieusement à l’effritement du bloc de l’opposition, notamment avec le programme d’intégration sociale confié à Xavier Duval, mais il faut encore du temps pour voir s’il pourra défier les lois de la gravité actuelle de la politique mauricienne, c’est-à-dire celle qui fait que le balancier de la pendule revient toujours vers le milieu, c’est-à-dire, au point de fracture qui fait des gouvernements et de leurs oppositions deux blocs à proportions presque égales…

* En tout cas, devenir « le rassembleur », comme on aspire à l’être dans le contexte politique mauricien, aussi noble que soit ce souhait, cela se révèle être un très « long process », alors que les adhérents du realpolitik affirment que ce qui compte en fin de compte, c’est l’exigence d’immédiateté des résultats… le court terme, en d’autres mots. Qu’en pensez-vous ?

Je crois que Navin Ramgoolam est sincère dans ses ambitions de « rassembleur ». Mais la tâche est éminemment difficile parce qu’il y a deux prétendants au titre comme cela avait été le cas avec SSR et SGD en 1967, SAJ et Bérenger dans les années 80 et Navin Ramgoolam et Bérenger en alliance en 1996 et même, qu’ils le veuillent ou non, dans le projet d’alliance avortée de 2010, qui reste quand même dans les mémoires. Et aussi dans certaines intentions ou autres « body language » de l’un et de l’autre depuis cela. Puis, qu’ils soient ou non en alliance, les deux sont contraints de partager la palme de rassembleur, ce qui explique la presque égalité du vote des Mauriciens d’un côté et de l’autre. Ce qui fait que Ramgoolam a été très fort dans sa tentative de briser cette fatalité qui commence à l’exaspérer, celle qui fait que le balancier revient toujours au milieu.

N’importe quel politologue de n’importe quelle université ne peut que constater que l’opposition reste très forte sur le long terme et fait jeu presque égal, en termes de représentativité politique de la population, élection après élection. Vous voyez juste : le realpolitik impose d’autres contraintes, les solutions rapides comme dans un duel qui n’en finit plus. Et où l’on doit s’attendre à des coups fourrés des deux adversaires, sinon d’une énième tentative de raccommodement lorsque les deux sont épuisés, d’où le jeu de la chaise musicale à l’approche de chaque élection.

* Navin Ramgoolam ne s’est pas privé de taper très fort, dimanche dernier, dans ses dénonciations de « l’instrument du Grand Capital » — ces quelques familles qui contrôlent encore l’économie de Maurice. Ses proches affirment qu’il y a une cohérence dans son discours, ce qui ne laisse aucun doute quant à sa détermination de réformer la structure économique du pays. Etes-vous du même avis ?

Le problème de cette poignée de familles qui contrôle l’économie est réel. S’il y a problème, c’est que cette richesse a été acquise au prix de l’esclavage et de l’engagement. Je le dis tout en reconnaissant que l’Histoire crée, trop souvent, des situations difficiles à corriger d’un trait de plume ou à coups de discours. Le problème, c’est aussi que des chasse gardée se sont constituées où même les « petits blancs » en sont exclus, ou alors ils bénéficient par liens familiaux d’une très petite part du gâteau sous la forme d’emplois ou d’actionnariat très minoritaire, voire « dominère ». Quid alors des autres communautés aspirant à un « level playing ground » ?

Le capitalisme mauricien est profondément divisé à ce niveau-là entre « grands blancs » et les autres communautés. Dans cette optique, le discours de Navin Ramgoolam « makes sense » comme cela avait été le cas pour celui du MMM avant 1982 mais pas celui du MMM de 2011. Il ne s’agit pas, en démocratisant, d’éliminer une classe de capitalistes, mais de créer ce « level playing field », en ouvrant l’économie à tous les niveaux et dans tous les secteurs aux investisseurs locaux qui ne sont pas dans le cercle fermé de ces familles privilégiées par notre histoire coloniale. Ce discours ramgoolamien a un avenir, je crois.

Et Ramgoolam fait mouche quand, en chœur avec la gauche politique et syndicale, il dénonce ces familles. Ce qu’il ne faut pas, c’est une personnalisation de la critique, mais une explication de cette critique même aux membres de ce petit cercle de familles privilégiées pour leur faire comprendre qu’elles auront à accepter certaines décisions qui leur paraîtront, dans un premier temps, injustes à leur égard, mais dont elles finiront par bénéficier du fait que les nouveaux investisseurs locaux et étrangers vont, en fait, contribuer à faire croître la prospérité économique nationale. J’aurais souhaité que les syndicalistes aussi se rendent compte de cela.

* Mais pensez-vous que réformer la structure économique du pays, c’est-à-dire démocratiser l’économie est ‘doable’ sans trop de dégâts politiques pour son propre camp ?

Je l’ai toujours pensé : cette réforme est « doable ». Il doit se faire ou bien les tensions que la structure économique actuelle génère aux niveaux social et politique perdureront. Il faut, par divers moyens, arriver à créer un cadre des affaires qui soit propice à l’égalité des chances pour tous les capitalistes quelles que soient leur(s) origine(s) ethnique(s). Ce cadre n’existe pas encore, que je sache. Dans le temps, Vishnu Lutchmeenaraidoo avait dit que la création de la Bourse des valeurs de Maurice allait être le commencement de cette démocratisation. Mais on remarquera que les compagnies sucrières ne sont pas accessibles, si j’ose dire, au commun des mortels parmi les capitalistes investisseurs comme cela est le cas pour de grandes corporations multinationales aux Etats-Unis et en Europe où l’entrée dans leur capital est plus accessible. Les Indiens et les Chinois ont pris le contrôle de grandes et puissantes corporations américaines et européennes.

La globalisation impose une ouverture qui devrait se produire tôt ou tard à Maurice. Comment créer ce cadre d’ouverture est un défi que s’est posé Navin Ramgoolam, et c’est à lui de venir de l’avant s’il a un plan concret. Le cercle de la poignée de familles privilégiées est très hermétiquement fermé. En passant, je vous réfère, ainsi que vos lecteurs, aux interrogations sérieuses actuelles sur l’avenir du capitalisme, suscitées par le Professeur Paul Jorion, anthropologue, économiste, spécialiste de la Bourse, sociologue et spécialiste des sciences cognitives, qui vient de publier un livre intitulé Le capitalisme à l’agonie, où il annonce de très profonds changements de société, anticipant que le capitalisme à l’occidentale, tel qu’on le connaît, est en voie de s’écrouler à la manière du communisme dans les années 90 en raison de ses nombreuses et sérieuses faiblesses actuelles.

* Après près d’une année au pouvoir, l’Alliance de l’Avenir connaît déjà quelques difficultés. Y a-t-il un malaise dans les relations entre les partenaires de cette alliance, en particulier entre le PTr et le MSM ? Le PM affirme qu’il fait entièrement confiance à Pravind Jugnauth et à Xavier-Luc Duval, confiance qui malgré tout ne se traduit par la perception d’un gouvernement qui arrive à décoller, selon l’avis de beaucoup d’observateurs. Ont-ils tort ?

Il faut s’attendre, à l’avenir, à moins de stabilité des majorités gouvernementales du fait de la prévalence d’une culture politique chez l’establishment politique qui privilégie la « recherche des boutes » par tout un chacun, et cela, souvent, à tout prix. Tout le monde, à Maurice, veut devenir député, ministre et Premier ministre, et cette fièvre devient de plus en plus forte. Ainsi, il y a déjà beaucoup de mécontentement, d’aigreurs et de rancœurs après chaque distribution de tickets avant même les élections. Après celles-ci, il en est de même pour la distribution des portefeuilles ministériels et des jobs politiques dans les ambassades, les casinos, les corps paraétatiques, et j’en passe. C’est le début inévitable du malaise qui s’est emparé de tous les gouvernements de coalition depuis l’indépendance. La situation continue d’empirer. Là est la première source du malaise. Cependant, chaque Premier ministre s’efforce de gérer ce malaise en utilisant la carotte et le bâton.

C’est un véritable défi pour Navin Ramgoolam et, valeur du jour, il s’en est bien sorti après les récents remous au sein de l’alliance gouvernementale. Mais la politique étant ce qu’elle est, l’opposition va continuer ses pressions pour causer des fractures plus graves encore durant le temps qui reste jusqu’aux prochaines élections générales. Je ne crois pas que le gouvernement subit actuellement des contraintes qui l’empêcheraient d’aller de l’avant avec ses projets et son programme. Cependant, la confiance est très relative en politique, même entre alliés, car il y a toujours la nature humaine qui prend le dessus, et les ambitions que les uns et les autres n’arrivent pas à contenir.

A moins de bien gérer ses relations avec ses alliés, Ramgoolam risque de se mettre en difficulté. Autrement, il ira facilement au bout de son mandat. Il aura un bilan à présenter aux élections générales prochaines s’il arrive jusque là sans trop de casse, même s’il doit concéder quelques plumes à l’ICAC ou au plus fort des rapports quotidiens houleux gouvernement/opposition, comme certains le croient, à tort ou à raison, je ne sais pas. L’électorat jugera alors s’il doit donner à Navin Ramgoolam un prochain mandat, voire, éventuellement les quatre à cinq mandats consécutifs, soit 15 à 20 ans supplémentaires, qu’il réclame comme Premier ministre et leader du Parti travailliste pour accomplir les changements préconisés et transformer le pays.

* Lorsque Navin Ramgoolam exprime publiquement sa confiance totale en ses alliés, il exclut du coup tout arrangement politique avec le leader du MMM. Du moins pour le moment ?

Ecoutez, comme je vous le dis, la confiance est relative en politique. Les sentiments ne lient point les individus et les partis en politique, que ce soit à Maurice ou ailleurs. Ce qui les lie, ce sont les rapports de force. Vous faites une alliance qui vous rapporte des gains, tant comme partenaire majoritaire que minoritaire. Qui, en vérité, au vu de ce qu’a été la chaise musicale politique durant plusieurs décennies, exclut toute alliance avec tel ou tel autre ? Dans les années 70, le MMM ne finissait pas de négocier des alliances avec le PTr. Jusqu’à ce que SSR, comme me l’a confié feu Sir Veerasamy Ringadoo, je le cite, « me demande à moi et à Harold Walter, sans explication aucune, à l’approche des élections de 1976, de couper court aux discussions que nous avions entamées à sa demande avec le MMM ».

En 43 ans d’observation de la scène politique, j’ai été témoin de beaucoup d’alliances que d’aucuns auraient jugé « contre-nature ». Aujourd’hui, le PTr, sous Ramgoolam, dénonce le MMM comme étant le cheval de Troie des « cinq familles » les plus privilégiées du pays. Effectivement, une alliance entre le PTr, à gauche du MMM, avec ce parti politique m’apparaîtrait contre-nature à première vue, rien qu’en constatant cette différence fondamentale. Mais quel politologue qui connaît bien la scène politique locale exclurait à jamais telle ou telle alliance, contre-nature ou, au contraire, « naturelle » ?

Pour certains, ce jeu d’alliances les uns plus impossibles que les autres semble passionnant. A Maurice, on est déjà engagé dans le jeu consistant à prédire la prochaine alliance. Soit c’est une obsession maladive, soit c’est le goût du Mauricien pour le jeu. Je ne sais pas vraiment comment interpréter ce phénomène. Dès que je rencontre quelqu’un, ce dernier me lance, sur un ton tout à fait naturel : « Alors, d’après toi, comment sera la prochaine alliance politique ? », alors que nous sommes à quatre ans des prochaines élections générales…

* Paul Bérenger souhaite proposer dans un avenir où il remporterait les élections une « vraie réforme électorale » afin d’apporter un meilleur équilibre entre les pouvoirs du Président et ceux du Premier ministre. Les élections ne sont pas pour demain – jusqu’à preuve du contraire. Est-ce donc un discours sans lendemain ou pose-t-il déjà ses conditions à tout éventuel arrangement politique avec les Travaillistes… ou même avec les Oranges ?

Valeur du jour, c’est une question sans lendemain. Les élections générales sont dans quatre ans. Si la question a un lendemain dans l’esprit de Paul Bérenger, c’est que ce lendemain souhaité serait une alliance très vite entre Navin Ramgoolam et lui pour se partager le pouvoir. En fait, il a déjà été révélé que ce partage de pouvoirs entre un président exécutif et un premier ministre avait été l’objet des discussions qu’ils avaient eu et qui avaient été arrêtées avant les élections générales de 2010. Il serait peut-être en train de proposer, comme vous semblez le dire, une énième « winning formula » de son cru. Qui en sera preneur, seul l’avenir nous le dira. Bérenger table sur les (grandes) ambitions des uns et des autres. C’est sans doute ce genre de choses qui fait marcher le jeu perpétuel de la chaise musicale en politique à Maurice – à moins que quelqu’un, quelque part, soit rouge ou orange, décide qu’il ne sera pas de la partie.

* Autre fait marquant du meeting de l’Alliance de l’Avenir : la dénonciation des « complicités » journalistiques d’une section de la presse écrite et parlée, a occupé une large place dans le discours de son leader, ce qui démontre que les dirigeants du pays se font une idée – certains diront exagérée, démesurée – du poids de la presse dans le jeu politique à Maurice, alors que d’autres estiment qu’il ne faut pas sous-estimer l’opinion publique. Qu’en pensez-vous ?

La presse est un formidable pouvoir et le restera. Les politiciens, les ministres passent, la presse reste et restera au-delà du ou des mandats de Ramgoolam même s’il doit, comme il l’espère, être PM durant les 15 à 20 prochaines années. En 43 ans de journalisme, j’ai vu défiler et disparaître ministres, députés et premiers ministres. Plusieurs de mes contemporains et moi-même, nous sommes encore là, à écrire des éditoriaux et des chroniques et/ou à diriger des journaux influents. Cependant, c’est vrai que certains journaux sont plus favorables au MMM plutôt qu’au gouvernement et il y a des journalistes très hostiles au gouvernement.

Le problème c’est qu’il existe un besoin réel de rééquilibrage au sein de certaines rédactions en matière de traitement de l’information politique. Je l’ai fait à l’époque au Mauricien et j’ai payé un prix très lourd, bien que le directeur du journal m’ait pourtant, en privé, systématiquement réitéré sa confiance, surtout que ce rééquilibrage avait fait monter les tirages à un niveau où ils étaient supérieurs à tous les tirages de tous les quotidiens réunis aujourd’hui, en 2011, démontrant que le lecteur mauricien cherche un « coverage » équilibré et « fair» et que, comme en 1984, si tel n’est pas le cas, il cesserait de lire certains journaux. Des sondages nous ont récemment indiqué ce désir populaire que la presse soit politiquement plus équilibrée et équitable.

Cela me pousse à accepter que les dirigeants du gouvernement actuel ont quand même raison de répliquer à cette section de la presse qui fait systématiquement campagne contre lui. Mais je souhaite aussi que ces dirigeants s’abstiennent de livrer des noms spécifiques de journalistes à la vindicte populaire au risque de causer l’inévitable, c’est-à-dire une situation physiquement dangereuse pour ces journalistes, perdus dans une foule de partisans surexcités. Des partisans rouges et mauves qui ont déjà endommagé deux autobus, d’ailleurs, tant ils étaient gonflés à bloc et pas seulement par la boisson et le briani gratis offerts par les deux camps politiques.

Après les élections générales de 1991, en la bienveillante présence de certains députés mauves, les partisans surexcités du MMM avaient lancé des pierres sur Le Mauricien parce qu’on leur avait fait croire que j’étais pro-Navin Ramgoolam alors que je n’avais fait que redresser la barre en accordant un traitement plus équitable au leader du Parti travailliste qui était traité de tous les noms et traîné injustement dans la boue dans une bonne partie de la presse.

La presse reste une arme puissante pour l’éditorialiste qui connaît à fond la technique de l’éditorial. On ne se sert pas de l’éditorial pour des règlements de comptes, mais pour proposer et faire avancer des idées et exercer un sens de la critique qui n’exclut pas l’esprit de « fairness ». Cela dit, l’éditorialiste doit aussi livrer des combats parfois âpres, mais à condition qu’il soit convaincu de la justesse de sa cause et qu’il soit équitable.

* Mais lorsqu’un Premier ministre se doit de monter en première ligne pour donner la réplique ou contrer la propagande de l’adversaire, c’est le signe qu’il existe un déficit de communication efficace au sein son Alliance/gouvernement. Le pensez-vous également ?

Oui, vous avez parfaitement raison : le gouvernement de Navin Ramgoolam devrait inonder les journaux qui l’attaquent de mise aux points non pas insultantes, mais convaincantes, percutantes et fondées sur des faits vérifiables et vérifiés. La mise au point doit apporter au journal qui le publie des éléments d’information nouveaux pour ses lecteurs et les faire pencher en faveur du premier ministre. Pour cela, il lui faut un bureau spécialisé, travaillant de manière professionnelle, faisant des recherches appropriées. Pour la communication, il a besoin de talents exceptionnels en la matière comme, pour ne citer qu’un exemple, Dan Callikan au sujet duquel je me demande ce qu’il est allé faire à la MBC. S’il travaillait en tandem avec Sir Bhinod Bacha, la communication gouvernementale aurait marché à merveille.

Mais ce n’est pas à moi de donner à Ramgoolam le profil de celui qu’il doit employer, mais je peux tout au moins constater ce déficit important dans sa communication. Nita Deerpalsing est une femme de grand talent, mais elle est intégrée au parti et non pas un conseiller à plein temps en communication au PMO. Cela fait toute la différence. Elle donne la réplique à Rajesh Bhagwan mais le gouvernement ne communique pas avec la même efficacité que celle des chefs de gouvernement et d’Etat d’Europe, des Etats-Unis ou du Canada. C’est sûr.


* Published in print edition on 7 May 2011

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