« On sait que le travaillisme existe toujours… Mais on se demande si le PARTI travailliste existe toujours »

Interview – Milan Meetarbhan —

‘Maurice a une grande tradition d’indépendance judiciaire… C’est ce que la démocratie mauricienne a de plus précieux’

‘Les zigzags autour de l’affaire MedPoint sont symptomatiques d’un mal plus profond dans notre pays. On réinvente l’histoire ou les histoires au gré des alliances’

Lors de la gestion des affaires quotidiennes, le secteur public et le secteur privé présentent un risque de corruption. Plus les fonds financiers sont importants, plus les risques d’abus existent réellement. Aucun système ne peut se garantir d’être à l’abri d’individus sans scrupules. Toutefois, la transparence et l’intégrité doivent prévaloir. Alors, des réglementations sont promulguées pour protéger le système efficacement contre toute forme de corruption. Bien entendu, chaque événement malencontreux donnant lieu à un procès doit être suivi d’une évaluation afin d’aider les juristes à identifier les failles et à proposer les amendements ou innovations nécessaires pour gérer les risques. Dans le sillage du procès MedPoint, nous avons invité Milan Meetarbhan à nous donner son avis.

Mauritius Times : Qu’il s’agisse de “délit technique” ou de “sentence disproportionnée” prononcée par les magistrats de la Cour intermédiaire ou que la ‘Prevention of Corruption Act (PoCA) soit une loi qualifiée de « conservative », il y a des enseignements à tirer de l’affaire MedPoint et de l’application de la loi dans le contexte mauricien. Quels enseignements en avez-vous tiré en tant que juriste ?

Milan Meetarbhan: L’appel ayant déjà été entendu devant le Chef Juge et un autre juge de la Cour suprême, et le jugement étant en délibéré, je m’abstiendrai de tout commentaire juridique à ce stade.

Cependant, je pense que la classe politique, les médias, les commentateurs n’ont pas encore analysé les implications profondes de cette affaire sur le déroulement des événements de ces cinq dernières années sur le plan politique à Maurice.

D’abord l’affaire a été utilisée efficacement pour amener le départ du MSM du gouvernement élu en 2010. N’oublions pas le fameux “Zotte même vende, Zotte même acheter”.

Après le départ du MSM qui avait été pointé du doigt dans cette affaire, l’accusateur et l’accusé se sont tus après avoir conclu une alliance.

Ayant mis les accusations contre l’accusé initial en veilleuse, l’accusateur et l’ex-accusé ont essayé, par la suite, de faire porter le chapeau à leur nouvel adversaire commun.

Les zigzags autour de cette affaire sont symptomatiques d’un mal plus profond dans notre pays. On réinvente l’histoire ou les histoires au gré des alliances, et le bon peuple mauricien accepte sans broncher quand les acteurs politiques réécrivent le scénario à chaque fois.

Il est aussi dommage que souvent les médias qui se positionnent davantage comme des acteurs de la scène politique plutôt que comme des observateurs et des critiques, finissent par dance to the tune of the lead players et suspendent leurs propres capacités d’analyse et de discernement.

* Il a beaucoup été question de ce qui constitue un conflit d’intérêts (CI) et de ce qui devrait être divulgué ou non. Il semblerait que les paramètres pour circonscrire le conflit d’intérêts ne sont pas clairement spécifiés dans la loi. Il appartiendra donc au judiciaire, disait Me Gavin Glover, dans une interview récemment, de faire « une interprétation qui serait juste en prenant en considération les réalités locales », cela d’autant plus que la PoCA, comme beaucoup de nos lois, sont issues de lois étrangères. Donc, il n’y a pas uniquement « the evidence », il faut aussi prendre en considération « les réalités locales ». Vous confirmez ses propos ?

Puisque je m’interdis tout commentaire d’ordre juridique sur les questions soulevées devant les juges, je dirai seulement qu’en règle générale toute importation en vrac des dispositions légales étrangères ne peut ignorer l’évolution historique de notre droit ayant précédé l’adoption des dispositions étrangères.

Le droit n’existe pas dans le vide. Une nouvelle disposition vient s’ajouter à un arsenal juridique existant et on ne peut faire abstraction de ce qui existe ou de ce qui a existé.

On cite souvent devant nos tribunaux la jurisprudence étrangère. Celle-ci ne peut avoir qu’une persuasive influence et le juge à Maurice n’est pas tenu de suivre les décisions des juridictions étrangères.

* Ces « réalités locales » peuvent aussi, et paradoxalement, s’avérer vastes, très vastes mêmes dans une société comme la nôtre où tout le monde connaît tout le monde, et où les liens de parenté et d’affinités diverses dépassent les cadres ethniques, politiques et autres considérations. Tâche difficile donc pour tout magistrat ou juge de la Cour suprême, qu’il soit perçu comme étant ‘pro-Establishment’ ou contestataire, tout en étant totalement indépendant, n’est-ce pas ?

Ayant reçu ma formation juridique au départ dans la tradition anglaise, j’ai suivi avec étonnement le fonctionnement de la justice américaine où il est courant de spéculer sur la position qu’adoptera tel ou tel juge de la Cour suprême en fonction de ses opinions connues sur certaines grandes questions de société. Chaque fois qu’une grande affaire est portée devant la Cour suprême à Washington, les médias font le décompte des juges nommés par une administration républicaine et de ceux nommés par les démocrates pour spéculer sur l’issue finale.

Je dois dire que la justice mauricienne se rapproche de celle qui existe au Royaume Uni plutôt que de ce qu’on trouve aux Etats Unis.

Nos juges ne décident pas en fonction de leurs opinions personnelles ou de leurs affinités ou affiliations particulières mais en fonction du droit et en fonction des mérites des arguments avancés par les parties adverses.

Maurice a une grande tradition d’indépendance judiciaire qui date de très longtemps. C’est ce que la démocratie mauricienne a de plus précieux. Et les Mauriciens comptent sur notre judiciaire pour continuer à agir comme un rempart contre les velléités autoritaires.

* Me Gavin Glover disait aussi dans cette interview que « le secteur privé est beaucoup plus sensibilisé à la nécessité de transparence et d’accountability » alors que beaucoup de cadres de la fonction publique « ne comprennent que très rarement la portée de la loi sur le conflit d’intérêt ». Pourtant la PoCA concerne principalement les public officials. En attendant que ces derniers soient sensibilisés sur la portée de la loi, ou que la PoCA soit revue et adaptée au contexte mauricien, donc aux « réalités locales », faut-il peut-être se fier à son bon sens, son ‘gut feeling’ afin d’éviter toute transgression de la loi ?

L’application de la loi concernant les conflits d’intérêts ou le procurement, par exemple, nécessite un effort constant d’éducation et de vulgarisation.

Mais il y a la loi et il y a l’éthique. L’éthique relève d’abord d’une culture personnelle.

Si une formation soutenue est nécessaire pour éviter les infractions à la loi, le fonctionnaire doit aussi pouvoir compter sur une discussion franche avec son hiérarchie pour qu’il puisse avoir une appréciation des faits qui n’est pas uniquement subjective. Il faut qu’il y ait un environnement qui encourage le fonctionnaire à solliciter l’avis de ses pairs ou de ses supérieurs pour déterminer s’il existe un conflit potentiel ou non, et ainsi déterminer la manière de le gérer.

L’intégrité et l’efficience chez les fonctionnaires passent par une culture d’empowerment plutôt que par la réglementation obsessive et la répression tous azimuts.

* Qu’en est-il du Directeur des Poursuites Publiques, poste constitutionnel dont le détenteur jouit d’un pouvoir totalement discrétionnaire et qui n’est pas soumis à l’autorité ou au contrôle d’aucune personne ou autorité ? Doit-il, selon vous, aussi prendre « en considération les réalités locales » – donc politiques également – dans la prise de décision concernant les dossiers dont il est responsable ?

Je pense que ce sont plutôt les détracteurs du DPP qui sont motivés par des considérations politiques, personnelles ou autres, ces derniers temps. On n’avait jamais auparavant entendu des ministres de la République se lancer dans de viles attaques non seulement politiques mais également sectaires contre le titulaire d’un poste constitutionnel.

On ne peut empêcher que des Mauriciens avertis, ou des observateurs étrangers, ou encore des diplomates étrangers aient du mal à expliquer la grande célérité dont la police a fait preuve suite à la plainte logée par deux ministres contre le DPP, autrement que par ces considérations liées aux réalités locales !

* En ce qui concerne les postes constitutionnels, le leader de l’opposition nous apprend que le partage de pouvoirs entre la Présidente de la République et le Premier ministre demeure au centre des préoccupations de son parti. Il dit compter sur la présidence pour ne pas laisser le Premier ministre lui imposer ses choix sur les questions de nomination, et affirme que le MMM s’engage, demain au pouvoir, à amender la Constitution pour enlever tout flou autour de la question puisqu’il n’est pas possible de rechercher une interprétation de la Cour suprême sur la question. Qu’en pensez-vous ?

Le leader de l’opposition a raison de lancer le débat à la fois par rapport à l’application des lois existantes et à l’utilisation de formules innovantes à l’avenir afin de shield certain appointments from politics.

Il est intéressant de noter qu’au moment même où les conseillers juridiques du gouvernement ont émis des réserves sur la formule qui était proposée pour la nomination du directeur de l’Integrity Agency, exactement la même formule a été utilisée pour procéder à une autre nomination au cours de la même semaine.

Les protagonistes du débat sur les prérogatives réelles de la Présidence et le mode d’utilisation des pouvoirs qui sont conférés au Président par la Constitution sont à la fois ceux qui ont une approche relevant de la science politique et ceux qui ont une approche juridique. Les deux ne peuvent apporter les mêmes réponses.

Malgré toutes les garanties constitutionnelles, un Président pourrait être amené à céder systématiquement à la volonté d’un Premier ministre qui détient une légitimité populaire que le Président n’a pas.

A mon avis, tout débat sur les pouvoirs du Président de la République ne peut se faire qu’en même temps qu’un débat réel sur le mode d’élection du Président. Le pseudo-débat de 2014 s’est fait en fonction des personnalités et non des principes constitutionnels ou de la démocratie.

* On a vu comment ces derniers mois le DPP malgré l’autonomie complète dont il jouit fait l’objet des attaques à même de l’affaiblir. Ne faut-il donc pas plutôt réfléchir sur les moyens de consolider l’indépendance de certaines institutions dont l’ICAC, par exemple, tout en s’assurant qu’elles soient soumises au contrôle du Parlement ? Mais aussi la Police, la Good Gouvernance and Integrity Agency annoncée – en assurant que les nominations et les démissions des responsables et des adjoints soient faites par décision unanime de la Présidence, le Premier ministre et le leader de l’opposition ?

Il faudrait commencer par respecter les dispositions existantes concernant l’indépendance nécessaire à l’exercice des fonctions que vous évoquez.

Dans le cas du directeur de l’Integrity Agency, le meilleur moyen de garantir son indépendance et d’inspirer la confiance des Mauriciens aurait été de prévoir que la nomination sera faite par la Judicial and Legal Services Commission.

L’argument avancé par certains pour dire que ce poste n’a aucun lien avec le judiciaire et que la nomination ne peut donc être faite par la JLSC ne tient pas la route. La nomination de l’Electoral Commissionner qui ne fait pas partie du judiciaire est bien faite par la JLSC.

Je voudrais aussi ajouter que les garanties constitutionnelles ne suffisent pas mais que l’indépendance d’esprit et la personnalité de ceux qui occupent des fonctions importantes comptent beaucoup.

* Le leader de l’opposition a trouvé la formule juste en affirmant qu’il ne souhaite pas le malheur de quiconque, et qu’il souhaite que la justice suive son cours dans l’affaire MedPoint. Quoiqu’il en soit, et quelle que soit l’issue de cette affaire, M Bérenger s’estime confiant du « boulevard » qui se présente devant son parti. Il n’a pas encore dit si les élections anticipées sont derrière la porte, mais il ne semble pas que le vent politique soit en train de tourner ou que ce soit pour très bientôt. Qu’en pensez-vous ?

Tous les observateurs avertis reconnaissent que les élections de 2014 ont été remportées by default. Il n’y avait pas d’adhésion populaire aux dirigeants de l’alliance Lepep et encore moins à un programme commun, hormis la promesse d’augmenter la pension de vieillesse.

La défaite cuisante des deux principales formations politiques du pays laissent donc un vide. Alors que le MMM a pu au fil des mois assurer un service minimum grâce à sa force de frappe parlementaire et médiatique, on ne peut en dire autant pour le Parti Travailliste.

Le propre d’un vide politique, c’est qu’il se remplit tôt ou tard.

Apres la coalition de 1969, c’est une nouvelle force sur l’échiquier politique qui a rempli le vide.

Est-ce que, cette fois-ci, ce sera une force existante ou une force nouvelle qui le fera ? C’est le temps qui nous le dira.

* D’autre part, M. Bérenger s’est aussi engagé à faire de la réforme électorale – son dada depuis des lustres – « une priorité d’un prochain gouvernement » – en tout cas pas celle du genre conclu avec Navin Ramgoolam à la veille des dernières élections générales qui comprenait l’introduction de la proportionnelle et le partage de pouvoirs entre le Président et le Premier ministre, projet politique qui a été désavoué par l’électorat. Le comité Duval étudie présentement toute la question et aussi celle du financement des partis politiques. Au-delà de l’engagement de l’Alliance Lepep en faveur d’une réforme de notre système électoral, que décodez-vous dans cette démarche ?

L’alliance Travailliste-MMM avait au moins le mérite de réclamer un mandat du peuple pour introduire la réforme électorale alors qu’elle avait déjà, avant la dissolution du Parlement, la majorité nécessaire pour faire adopter la réforme.

Il est impératif que cette réforme ne soit pas faite par les seuls politiciens.

Il faut que le peuple puisse soit à travers un referendum ou une consultation électorale donner son aval à tout projet de réforme.

Sans le buy-in du people, toute réforme électorale sera suspecte car on ne pourra empêcher les Mauriciens de penser que les politiques qui l’ont adopté ont agi dans l’intérêt de leur propre formation politique et pas nécessairement dans l’intérêt national.

Commençons par nous mettre d’accord sur les raisons pour lesquelles nous voulons une réforme, les lacunes actuelles que nous cherchons à combler et les objectifs de la réforme avant de parler du système électoral à mettre en place, du nombre de nouveaux députés qu’il faudra élire alors que nous avons déjà un nombre très élevé de députés.

Dégageons d’abord un consensus national sur les raisons qui nécessitent une réforme et on en discutera après.

 

* Vous savez que le PTr célèbre son 80e anniversaire cette année. On connaît les circonstances qui ont mené ce parti dans l’état actuel où il se trouve, et c’est peut-être encore pire qu’en 1982. L’électorat s’est prononcé en décembre 2014 sur ce qu’il en pense du Parti et de la politique de sa dire

Il n’y a eu aucune étude scientifique sur les motivations profondes de l’électorat en 2014. Un anti-incumbency vote ? Un rejet de l’alliance ? Ou un rejet des conditions dans lesquelles cette alliance s’est faite ? Rejet de la réforme électorale proposée ? Rejet du projet de Deuxième République?

Donc je ne peux nécessairement souscrire à l’analyse qui sous-tend votre question.

Mais, à l’évidence, le Parti Travailliste qui, comme vous le rappelez, célèbre son 80ème anniversaire cette année-ci et qui a façonné l’histoire du pays au 20ème siècle, est actuellement absent du débat public.

On sait que le travaillisme existe toujours.

On sait qu’il existe toujours beaucoup de travaillistes. Mais on se demande si le PARTI travailliste existe toujours.

On a du mal à cerner ce qu’est le PARTI travailliste aujourd’hui. D’autres ont un parti sans avoir d’assise. Il existe une assise travailliste mais l’existence d’un Parti travailliste est moins sûr.

Pour les travaillistes, aujourd’hui, il existe une masse de sympathisants mais pas de parti qui fonctionne comme il devrait fonctionner. Il n’existe pas actuellement les moyens nécessaires pour canaliser les énergies qui se manifestent vers une ambition constructive.

Les faiblesses structurelles, l’absence de formation, des circonstances qui ne favorisent pas une intelligence collective : autant de défis que le Parti doit relever.

Il est dommage qu’on se focalise sur la question de leadership. Ce n’est pas cela la vraie question. La vraie question devrait être : « comment faire fonctionner de nouveau un parti qui a un passé qu’on ne peut gommer de l’Histoire de notre pays ? » Les travaillistes ne devraient plus cultiver le vieux réflexe de tout ramener au leader.

Il faut au contraire construire un parti – pas un leader.

Quoi qu’il en soit, le Dr Ramgoolam a conduit les Travaillistes a la victoire au cours de trois élections. Cela a permis aux Travaillistes d’être au pouvoir pendant quatorze ans. Et le Dr Ramgoolam n’a pas encore dit son dernier mot. Donc il faut passer à une vitesse supérieure. Réfléchir et mettre en œuvre un parti qui fonctionne comme un parti moderne et efficient.

Cela les Travaillistes pourront le faire s’ils s’attèlent à cette tâche avec le sérieux et la détermination nécessaires ; et personne ne pourra les en empêcher.

Apres 80 ans, les travaillistes ont le devoir et la responsabilité de s’assurer que le Parti se donne les moyens de continuer son action. C’est le parti qui a contribué plus que n’importe quel autre parti à l’avancement politique, économique et social du pays.

 

 

* Published in print edition on 22 January 2016

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