« La passation des pouvoirs laisse l’impression qu’elle a été effectuée avec une certaine absence d’égard…envers la fonction de la Présidence »

Interview : Me Rex Stephen

* ‘Selon notre raisonnement, si l’accord ‘à l’israélienne’ implique que le Premier ministre sortant reste comme député ou ministre, ce type d’accord ne serait pas valable constitutionnellement’

* ‘Si la démarche de Monsieur Jugnauth père était « constitutionally in order », l’accession de Monsieur Jugnauth fils serait tout à fait légale, ou « légitime » constitutionnellement’

 

Aujourd’hui, la majorité des citoyens mauriciens se posent des questions sur la manière dont la passation des pouvoirs et la nomination d’un nouveau Premier ministre ont eu lieu. La perception existe qu’une partie de la classe politique a bafoué la culture axée sur l’intégrité et a écarté les principes de la bonne gouvernance. Si les procédures n’ont pas été suivies de manière appropriée, quels sont les risques associés à de telles pratiques dans le moyen terme pour les citoyens ? Me Rex Stephen, juriste et citoyen engagé, est notre invité cette semaine pour expliquer le cas logé en Cour dans ce sillage.

Mauritius Times : Il y avait presque unanimité parmi les hommes politiques – même ceux de l’opposition -, et dans la presse que la passation des pouvoirs entre Sir Anerood Jugnauth et son fils Pravind serait parfaitement légale, quoi que cela soulève des questions sur le plan moral, mais voilà que Resistans ek Alternativ réclame une déclaration de la Cour suprême pour décréter si cette passation des pouvoirs est anticonstitutionnelle. Tout le monde a donc fait fausse route…d’après vous ?

Me Rex Stephen: Je ne sais pas si l’unanimité dont vous faites état existe effectivement. Il y a certainement certains qui, de bonne foi, ont une lecture différente de la Constitution de la nôtre sur la question et nous respectons cela, évidemment.

D’autres ont des attitudes qui relèvent de leurs intérêts purement personnels, rendant leur analyse suspecte.

La question principale que le mouvement Rezistans ek Alternativ m’avait soumise, et à laquelle j’ai répondu par la négative, était de savoir si les dispositions de la Constitution avaient été respectées dans le cadre de cet exercice de passation des pouvoirs au regard des principes de démocratie tels qu’ils sont compris constitutionnellement.

Je vois difficilement dans cette perspective purement légale la pertinence d’une quelconque ‘moralité’. La question posée est la suivante : « Est-ce-que, dans cette configuration sans précédent, le mécanisme constitutionnel quant à la désignation d’un nouveau Premier ministre a été respecté ? »

* Selon vous, donc, la passation des pouvoirs aurait été parfaitement légale si le Premier ministre démissionnaire avait également soumis sa démission en tant que membre de l’Assemblée nationale. Et, si nous poussons un peu plus loin cet argument, tout accord à l’israélienne ne pourra fonctionner que si celui qui occupe les fonctions du Premier ministre dans la première partie du mandat démissionne non seulement comme PM mais aussi comme député – pour que la passation des pouvoirs qui s’ensuit soit légale.

Une interprétation de notre Constitution est que la conséquence de la démission d’un Premier ministre, pour être effective, doit résulter dans la perte ou l’abandon de son siège au Parlement. Et s’il n’y a pas de démission en tant que député, le siège doit être considéré comme étant vacant.

Voyez-vous, la Constitution envisage plusieurs cas de figure où le poste de Premier ministre devient vacant.

Le départ volontaire du titulaire de ce poste dans les circonstances d’une passation des pouvoirs ne fait pas l’objet d’une considération spécifique de la Constitution. Elle est également silencieuse quant aux effets constitutionnels d’une telle démission.

Quoique que nous ne doutions pas un seul instant qu’une telle démission soit possible, il s’agit d’en déterminer les conséquences et les effets, d’où la nécessité d’une interprétation juridique.

Il s’ensuit donc, selon notre raisonnement, que si ce que vous appelez l’accord ‘à l’israélienne’ implique que le Premier ministre sortant reste comme député ou ministre, ce type d’accord ne serait pas valable constitutionnellement.

* En d’autres mots, votre ‘submission’ soutient qu’il ne suffit pas que celui qui remplace le Premier ministre démontre qu’il « commands a majority in the House » pour que l’exercice de passation des pouvoirs soit considéré comme étant parfaitement légale et selon les règles de la Constitution ?

Il faudrait au préalable que le Premier ministre démissionnaire soumette aussi sa démission comme membre de l’Assemblée nationale. Selon notre point de vue, ce n’est qu’à partir de là que le poste devient constitutionnellement vacant.

Ensuite, c’est à la Présidence de designer comme Premier ministre celui qui « commands a majority in the House ».

Dans le cas de figure où, comme c’est le cas ici, il n’y aurait pas eu aussi de démission comme membre du Parlement, nous estimons que ce siège de député doit être considéré comme étant vacant avec les conséquences que cela entraîne.

* Dans le cas présent, c’est évident que c’est Pravind Jugnauth qui dispose de cette majorité parlementaire, n’est-ce pas ?

C’est sans doute le cas.

* Que se passerait-il si la Cour suprême s’aligne sur le point de vue de Resistans ek Alternativ ?

Si la Cour suprême statue, sur la base de son interprétation de la Constitution, que les choses n’ont pas été faites selon les règles et qu’il y a eu un dysfonctionnement constitutionnel, l’Etat mauricien et, en particulier, le Gouvernement en place devront en prendre acte et agir en conséquence.

* N’y a-t-il pas le risque qu’une déclaration défavorable aux arguments de Resistans ek Alternativ de la Cour suprême légitimise la passation des pouvoirs ?

La Cour Suprême statuera sur la constitutionalité de cette passation des pouvoirs. C’est la raison d’être de la plainte constitutionnelle ; le reste relève de la subjectivité et de la politique.

* C’est la raison avancée par un courant dans l’opposition pour ne pas contester cette passation des pouvoirs…

On peut trouver prétexte à beaucoup de choses et les prétextes des politiciens et leurs motivations ne sont souvent pas une source d’inspiration. La démarche ici est tout à fait légitime car il est indéniable que la problématique constitutionnelle est tout à fait inédite. La saisine de la Cour Suprême s’inscrit alors dans une optique de « dire le droit ».

Cette démarche a également une autre pertinence, celle de rectifier ou d’atténuer l’image négative de notre pays et de sa démocratie sur la scène internationale, provoquée par cette passation des pouvoirs qualifiée ici même d’exercice dynastique, et qui supposerait une absence de toute contestation.

Or, Maurice est un état de droit qui permet, entre autres, les contestations judiciaires. La plainte constitutionnelle logée par Rezistans ek Alternativ constitue un tel exemple.

* Dans les circonstances actuelles, ce qui pose problème c’est la question de « legitimacy » ?

La question de « legitimacy » ou la question de « moralité » qui a été aussi évoquée relève des considérations purement subjectives, influencées trop souvent peut-être par des calculs politiciens. Ce qui pose problème, à mon avis, c’est la question de la constitutionalité de cette passation des pouvoirs et de ses conséquences en droit.

Le point de vue constitutionnel est l’unique perspective qui m’anime. Attendons donc le verdict : si la démarche de Monsieur Jugnauth père était « constitutionally in order », l’accession de Monsieur Jugnauth fils qui, s’il faut le rappeler, est un élu du peuple serait tout à fait légale, ou « légitime » constitutionnellement.

* Un courant d’opinion soutient qu’il ne faut pas voir les diverses provisions de la Constitution en isolation, mais plutôt dans leur ensemble. Dans cette optique, fait-on comprendre, la provision concernant l’obligation qui est faite à quiconque de prouver que sa majorité parlementaire devrait avoir précédence sur toute autre considération au moment de la nomination d’un Premier ministre. Qu’en pensez-vous ?

Au sein de Rezistans ek Alternativ, nous souscrivons totalement au postulat que la Constitution, tout comme d’autres textes juridiques, doivent être interprétés dans leur ensemble. Vous l’avez évoqué vous-même : une Constitution s’interprète dans sa globalité, et ce, dans une perspective qu’il n’en résulte aucune entorse à ses autres dispositions.

Mais cet exercice est intimement liée à la teneur de ses dispositions spécifiques. C’est précisément l’approche sous-jacente dans la plainte constitutionnelle de Rezistans.

Mais pour répondre plus spécifiquement à la seconde partie de votre question, il faut d’abord souligner qu’il n’existe aucune disposition constitutionnelle qui exigerait à tout Premier ministre potentiel de faire preuve de sa majorité parlementaire. Je ne peux souscrire à la proposition que la détention d’une majorité parlementaire, à elle seule, relègue au second plan les autres dispositions de la Constitution.

* Que faites-vous de la passation des pouvoirs en Grande Bretagne où David Cameron a passé la main à Theresa May – sans que Cameron ne soit appelé à démissionner – et celle intervenue dans la Nouvelle-Zélande concernant la nomination de Bill English suivant la démission de John Key ?

Il me semble que M. Cameron a effectivement démissionné du Parlement…

* Oui, sa démission est intervenue après que Theresa May a été nommée Premier ministre…

Ni la Grande Bretagne ni la Nouvelle Zélande n’a de Constitutions écrite dans le sens d’un texte contenant la loi fondamentale comme c’est le cas de la quasi-totalité des pays dans le monde, y compris le nôtre.

La pratique constitutionnelle des pays sans Constitution écrite s’inspire, au cas échéant, de ce qui est appelé des « constitutional conventions », des pratiques non écrites propres à eux.

Il est évident que la comparaison avec la pratique des Etats a des limites. Il faut se rappeler que l’organisation politique de notre société a pour fondement le principe de la séparation des pouvoirs. L’existence des différents organes du pouvoir et leur composition sont des matières, parmi d’autres, qui sont spécifiquement régies par notre Constitution.

C’est pour dire que c’est dans la Constitution elle-même, ayant en tête l’article premier qui fait de Maurice un état démocratique, que doit être recherchée la réponse à nos interrogations.

Comme tout texte juridique, la Constitution est soumise à l’interprétation de ses dispositions dès lors qu’apparait un doute ou une certaine incertitude quant à leur portée véritable. L’institution ayant juridiction à procéder à cet exercice est la Cour Suprême, d’où la question qui lui a été soumise dans la plainte constitutionnelle à l’effet que la démission du poste de Premier ministre impacte directement sur le statut du démissionnaire de membre de l’Assemblée nationale.

Permettez-moi de faire référence à l’article premier de la Constitution. Cet article est érigé par les plus hautes instances de notre système juridique, y compris le Conseil privé, au rang d’article le plus important de toute notre Constitution et consacre le statut démocratique de notre République. La démocratie, telle qu’elle est entendue par la Constitution, implique nécessairement un respect scrupuleux des dispositions constitutionnelles.

* Diriez-vous donc que, eu égard de l’Article 1 de notre Constitution et la nature démocratique de l’Etat, la passation des pouvoirs a été faite dans le respect de et selon la philosophie démocratique de la République de Maurice ?

La République de Maurice a un Président dans un système qui n’est pas un régime présidentiel. Ses fonctions s’apparentent, pour beaucoup, à celles du Gouverneur-Général avant l’accession au statut de République.

Malgré le fait que le Président soit désigné à la suite d’un vote parlementaire, on ne peut s’empêcher de penser que cela n’est, en réalité, qu’une quasi-nomination.

Cette nomination est l’œuvre de l’Exécutif effectif, c’est-à-dire théoriquement du cabinet ministériel, mais plus concrètement celle du Premier ministre, ce qui peut engendrer une certaine perception de subordination dans la pratique.

Bien que les principaux pouvoirs conférés à la Présidence par la Constitution s’exerce après ‘consultation’ et, donc, avec le ‘concours’ du Premier ministre, il existe cependant d’autres où la Présidence doit s’affranchir de tout ‘concours’ et les exercer en conformité avec les dispositions expresses de la Constitution.

La passation des pouvoirs laisse l’impression qu’elle a été effectuée avec une certaine absence d’égard et de considération envers la fonction de la Présidence.

La désignation de son successeur avant sa démission est un acte inconsidéré du Premier ministre sortant même si cette succession paraît comme une évidence.

L’exercice des fonctions de la Présidence était, dès lors, compromis et même les apparences de démocratie constitutionnelle ne pouvaient plus être sauvegardées.

La Présidence n’a pas pu exercer ses pouvoirs également dans le cadre prévu par la Constitution où il existe une indisponibilité du Premier ministre pour assumer ses fonctions pour cause de maladie.

Pour en revenir plus spécifiquement à votre question, il en résulte, dès lors, que toute interférence avec le fonctionnement démocratique de l’Etat telle que le non-respect des injonctions de la Constitution entraine objectivement une entorse à l’article 1 de la Constitution.

* Voulez-vous dire que la Présidente aurait bien pu dire au Premier ministre sortant : « Hold it ! Les choses ne se passent pas ainsi » ?

La Présidence s’est vu conférer le statut de garant de la Constitution, suite à un amendement constitutionnel. C’est une fonction que seule la Cour Suprême a en réalité la possibilité effective d’assumer.

La seule façon, alors, pour la Présidence d’assurer un certain respect de la Constitution, c’est de veiller à ce que les pouvoirs exclusifs conférés à elles soient scrupuleusement respectés.

Les circonstances connues de cette passation des pouvoirs laissent apparaitre certains doutes que tel a été effectivement le cas.

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