Le PTr et le MMM peuvent être tentés par une lutte à trois mais c’est celle qui n’aura pas lieu…

Interview : Jean-Claude de l’Estrac

Un rapprochement PTr-MSM me semble aujourd’hui plus éloigné qu’un deal PTr-MMM mais les jeux sont loin d’être faits…

… la différence de style entre les deux leaders reste un facteur de division

Homme de presse et aussi ancien ministre des Affaires étrangères, Jean Claude de L’Estrac occupe le poste de secrétaire général de la Commission de l’océan Indien (COI) depuis juillet 2012 et s’est porté candidat à la succession d’Abdou Diouf au poste de secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie. Il s’intéresse particulièrement à l’Indianocéanie et à la coopération régionale, et plus généralement aux systèmes politiques et à la gouvernance, et il s’est beaucoup investi dans la résolution de la crise politique malgache. Dans un contexte de questionnements politiques majeurs dans la République de Maurice, nous l’avons invité à nous faire part de ses analyses. S’agit-il d’équilibrer les pouvoirs au sommet de l’Etat ou serait-ce uniquement une guerre de pouvoirs entre deux leaders politiques ?

Mauritius Times : Ils étaient à deux doigts d’un accord sur la réforme électorale et le projet de Deuxième République, nous dit-on, lorsque Navin Ramgoolam a mis sur la table, lors de leur dernière rencontre à Clarisse House, son souhait en faveur de la désignation du Président de la République par une élection à deux tours au suffrage universel. Il propose que le seuil de qualification pour qu’un élu ait droit à la liste proportionnelle soit ramené à 8.5% plus un élu. Ce qui a poussé Paul Bérenger à dire que Navin Ramgoolam n’est pas sérieux. Le pensez-vous également ?

Jean-Claude de l’Estrac : Ce que je n’aurai pas trouvé sérieux, c’est que des questions de cette importance soient expédiées en une ou deux réunions entre les deux chefs de parti.

Je n’ai pas été choqué par l’expression des divergences qui se sont manifestées. C’est vrai que le débat sur la réforme électorale dure depuis un moment, mais la nouvelle république est un sujet nouveau et complexe.

Cela dit, vous faites un amalgame qu’il convient d’éviter. Il y a deux sujets distincts qui sont en débat. Le premier concerne la réforme électorale, un débat vieux de trente ans. Il me semble que sur l’essentiel un très large accord existe entre les dirigeants des deux partis sur ce qu’il convient de faire pour rendre le système plus juste. Il serait dommage que des questions étrangères au fond de la question en viennent faire capoter un projet qui est dans l’intérêt général, y compris dans l’intérêt de ceux qui au Parti travailliste ne le mesurent pas.

* Et le deuxième sujet ?

Maintenant soyons réalistes. Pour réussir cette réforme, il faut une majorité parlementaire. Elle nécessite la force conjuguée du PTr et du MMM à l’Assemblée nationale. Il n’est pas étonnant, dès lors, que la discussion débouche sur les possibilités d’un accord plus large, d’un regroupement des forces, d’une alliance même.

Et puis, ce sont les circonstances politiques objectives qui poussent les deux chefs à envisager une nouvelle alliance. S’il est vrai que le Parti Travailliste peut se représenter en 2015 dans la même configuration politique qu’en 2005, le prudent et astucieux stratège qu’est Navin Ramgoolam doit savoir que cette perspective n’est pas sans risque. Il chercherait là un quatrième mandat sur la seule force électorale du Labour. « A tall order », aurait dit sir Seewoosagur.

De son côté, le leader du MMM est mal à l’aise dans un accord qui le condamne à attendre près de cinq ans pour espérer exercer à nouveau le pouvoir. L’un et l’autre constatent qu’ils ont intérêt à trouver un terrain d’entente. Sans doute cela sert leurs intérêts politiciens, mais il se trouve que cela peut être aussi dans l’intérêt du pays. Equilibrer les pouvoirs au sommet de l’Etat est certainement un progrès démocratique. Je crois que cela est dans l’intérêt des citoyens. D’autres pays dans notre région cherchent à avancer dans le même sens. C’est le cas de Madagascar même s’il s’agit là de la situation inverse — c’est un régime présidentiel qui ajoute une dose de régime parlementaire.

* En tout cas, dans l’immédiat le « stratège » a réussi à casser la dynamique du Remake, et on se pose la question : What next ?

La rupture du Remake est une conséquence collatérale. Je ne suis pas encore convaincu que la seule préoccupation du Premier ministre était la rupture du Remake. Je crois qu’il a vraiment cherché un accord avec le leader du MMM.

La chose est extrêmement complexe entre deux partis qui se considèrent de force plus au moins égale mais surtout avec deux électorats qui se regardent en chiens de faïence. What next ? Je crois que c’est toujours « more of the same ! ».

Les jeux sont loin d’être faits. Pour l’instant, c’est le leader du MMM qui semble avoir plus de difficultés à faire accepter sa stratégie par ses troupes, mais le Premier ministre n’en aura pas moins, loin s’en faut.

* Quels que soient les vrais motifs de l’échec des discussions entre Navin Ramgoolam et Paul Bérenger, pensez-vous qu’un accord entre le PTr et le MMM soit toujours réalisable ?

Je le crois. Je viens de vous le dire, les jeux sont ouverts. Pour le Parti Travailliste la question sera sûrement analysée sous l’angle de ses options.

Au fait si les Labourites estiment qu’ils sont en position de gagner seul les prochaines législatives, avec leur allié de toujours, ils n’auront pas besoin de chercher un nouvel allié.

Mais si, en revanche, ils prennent la mesure du risque qu’encourt toujours le détenteur du pouvoir, s’ils tiennent compte de l’histoire électorale, ils pourraient se résoudre à une nécessaire alliance pour conserver le pouvoir mais ce qui implique qu’ils acceptent de le partager.

* Mais ce que recherche Paul Bérenger d’un côté et Navin Ramgoolam de l’autre, ce sont des éléments difficilement réconciliables. Le leader du MMM souhaite un partage de tickets sur la base de la parité et le ‘prime ministership’ pour 5 ans. Ce qui au fait reviendrait à réduire le PTr au statut de ‘Junior Partner’ – même si le leader du Labour disposerait en tant que Président de la République de pouvoirs accrus… mais sans majorité parlementaire. Qu’en pensez-vous ?

Je ne sais si les conditions d’un éventuel accord correspondent à ce que vous avancez. Je préfère parler du principe. Nous sommes effectivement dans un schéma qui n’est pas celui que nous vivons habituellement, une alliance entre un parti dominant et une force d’appoint. Cette fois, il s’agirait de deux partis qui se reconnaissent de forces égales et qui envisageraient de partager le pouvoir. C’est, en clair, ce que nous appelons la Deuxième République. Ce n’est pas une alliance, c’est une cohabitation. Voilà pourquoi c’est si difficile à mettre en place.

J’entends les critiques mais je suis persuadé qu’un équilibre institutionnel des pouvoirs entre un Président et un Premier ministre fera le plus grand bien à notre système de gouvernance. Présentement, tous les pouvoirs sont concentrés dans les seules mains d’un chef absolu, le Premier ministre.

* Navin Ramgoolam recherche, lui, la présidence de la République avec davantage de pouvoirs et la possibilité de présider le Conseil des ministres lorsqu’il le jugera nécessaire et le pouvoir de dissolution du Parlement. En d’autres mots, il semble vouloir cumuler à la fois les fonctions de Président de la République et celles de Premier ministre ! Bérenger pourra-t-il ‘vendre’ cela à ses militants ?

Si un éventuel accord devait aboutir à un véritable équilibre de pouvoirs entre les deux têtes de l’Etat, ce n’est pas le leader du MMM qui aura le plus de mal à obtenir l’adhésion de ses partisans, c’est plutôt le Premier ministre. Si, dans le cadre de cet accord, Paul Bérenger devait accéder au poste de Premier ministre pour un mandat de cinq ans, en ayant obtenu en plus la réforme électorale pour laquelle il milite depuis trente ans, il n’aurait aucun mal à convaincre la grosse majorité de ses troupes.

En revanche, c’est plus délicat pour le Premier ministre, il est actuellement le seul maître à bord, il va devoir abandonner une partie de ses prérogatives. Il n’est pas étonnant que certains Travaillistes renâclent à cette perspective, c’est surtout parce qu’ils ne sont pas complètement informés.

Le Premier ministre n’a pas beaucoup commenté ces tractations – il est aussi secret que Bérenger est volubile – mais on sait qu’il a estimé, un moment, que certaines divergences étaient « fondamentales ». On peut penser que si un accord intervient finalement, c’est que le Premier ministre aura réussi à les aplanir à son avantage.

Il reste que la question de fond est celle de déterminer si cette Deuxième République qui pourrait naître, dans la conjoncture que l’on sait, de la « chemistry » des deux dirigeants politiques actuels, est d’une architecture qui assurerait la durabilité et la stabilité constitutionnelle au-delà des personnes concernées aujourd’hui. Maurice est jusqu’ici considérée comme le modèle dans notre région ; son système est envié, il importe que le pays demeure un havre de stabilité politique.

* Ni Ramgoolam ni Bérenger ni Jugnauth ne sont là pour faire de la politique autrement, et puisque la question éthique ne semble pas se poser, ni l’un ni l’autre ne va fermer aucune porte, n’est-ce pas ? Un Remake II pourra toujours revenir sur le tapis pour « sauver le pays » ? Sur de nouvelles bases ?

Il n’est pas toujours juste de vilipender les dirigeants politiques qui se voient dans l’obligation de rechercher des alliances ; ils ont un problème. Jamais les électeurs n’ont donné à aucun parti, à lui tout seul, une majorité de suffrages lui permettant de constituer une majorité parlementaire. Les partis font des alliances non par choix mais par obligation électorale. Le système First-Past-the-Post en est partiellement la cause. Les deux principaux partis peuvent être tentés par une lutte à trois mais c’est celle qui n’aura pas lieu…

* Mais si Sir Anerood Jugnauth tient bon et rejette les nouvelles conditions de Paul Bérenger, le voyez-vous se remettre à ‘coz-cozé’ avec Navin Ramgoolam comme ils l’ont fait avant qu’il ne soit reconduit au poste de Président de la République en 2008 ?

Il ne faut rien exclure à partir du moment que l’on postule, comme je le fais, qu’il n’y aura pas de lutte à trois. C’est un principe de précaution qui est strictement respecté par tous les leaders politiques.

Mais objectivement un rapprochement PTr-MSM me semble aujourd’hui plus éloigné qu’un deal PTr-MMM. Toutefois, la différence de style entre les deux leaders reste un facteur de division. Il paraît que l’alchimie a ses limites. La dernière explosion de colère de Paul Bérenger n’est que l’expression d’une déception. Si vous me demandez de mettre ma tête sur le billot pour annoncer la rupture définitive des négociations, je ne le ferai pas.

* Les leaders des deux plus grands partis du pays – le PTr et le MMM – mais aussi celui du MSM se disent toutefois disposés à affronter seul les élections. Mais en sont-ils capables ?

Capables, certainement. Mais chacun fera tout pour l’éviter…

* En d’autres mots, les conditions qui auraient poussé Navin Ramgoolam à négocier avec Paul Bérenger sont toujours présentes, selon vous ?

Bien entendu. Ce n’est pas parce qu’ils ont du mal à concilier les considérations subjectives que les conditions objectives changent.

* Il se pourrait que Navin Ramgoolam soit conscient qu’un accord avec le MMM est difficilement réalisable et qu’il cherche à se donner du temps afin de surmonter les difficultés rencontrées ces derniers temps durant ce qui reste de son mandat. En d’autres mots, il ne fait que ‘bide his time’ ?

J’ai lu cette analyse, je n’en crois pas un mot. Pour deux raisons.

La première, c’est qu’un accord est tout à fait réalisable si une formule est trouvée pour répondre à la principale préoccupation de Ramgoolam, celle de sa légitimité présidentielle. Si je me fie aux déclarations publiques, le problème le plus complexe est résolu, c’est la question des pouvoirs.

Si c’est effectivement le cas, je serais étonné que cette question de légitimité politique soit la pierre d’achoppement des négociations.

L’autre raison est que je ne vois vraiment pas en quoi l’attente serait favorable au Premier ministre.

* Rééditer la performance de 2005 face à une éventuelle alliance MMM-MSM : est-ce ‘doable’ à votre avis ?

Les informations qui viennent du terrain disent que la situation n’est plus la même. Et c’est normal, le pouvoir use.

* Finalement, quelles vont être, selon vous, les conséquences politiques de l’engagement pris par le gouvernement en Cour suprême, hier, par rapport à l’affaire logée par Rezistans ek Alternativ ?

Il n’y aura aucune conséquence véritable si le gouvernement tient son engagement. Son représentant l’a bien dit : tout est tributaire de sa capacité d’obtenir une majorité parlementaire. Back to Square One !

 


* Published in print edition on 9 May 2014

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