« Les corrompus et les corrupteurs s’habituent à ne pas être inquiétés…

Interview : Jacques de Navacelle, Membre de Transparency Mauritius

… et augmentent progressivement leurs besoins »

« C’est normal que la réussite de M. Gooljaury attire l’attention ou crée des jalousies! »

« Ce qui est inacceptable, c’est quand les médias condamnent ou désignent des coupables alors que c’est à la justice de le faire »


Dans le sillage du bras de fer entre Nandanee Soornack et une section de la presse mauricienne, nous avons invité M. Jacques de Navacelle à nous donner son point de vue sur plusieurs sujets qui ont défrayé la chronique ces derniers temps. Pour rappel, notre invité a été Président de Transparency International. Sur le plan professionnel, il a côtoyé le monde des affaires, entre autres, le milieu bancaire et les assurances. Absent de Maurice en ce moment, il a bienveillamment accepté de répondre à nos questions par courriel.


Mauritius Times : Dans un courriel adressé à une radio privée, vous affirmez que vous êtes disposé à continuer à agir comme consultant auprès de Fashion Style Ltd si l’homme d’affaires Rakesh Gooljaury vous le demandait. Cette prise de position sous-entend, M. de Navacelle, que vous n’éprouvez aucun embarras à maintenir cette relation professionnelle avec Fashion Style Ltd (dont les principaux actionnaires sont Rakesh Gooljaury et Nandanee Soornack). Serait-ce parce que vous estimez que, comme vous, cette société a « agi en tout légalité et transparence » ?

Jacques de Navacelle : Toute cette affaire est née d’un article de la Lettre de l’Océan Indien qui diffuse des informations fausses. Je ne connais pas Madame Sornack et elle n’est pas actionnaire chez Fashion Style !

Vous vous rendez compte des dégâts que peuvent peuvent causer à une réputation des informations fausses ? Les journalistes mauriciens ont répété ces informations fausses sans prendre la peine de les vérifier ! Heureusement que je suis suffisamment expérimenté pour ne pas m’inquiéter et rester tout à fait serein.

* Ce courriel nous apprend également que cette relation professionnelle avec Fashion Style Ltd date de « quelques mois ». La Lettre de l’Océan Indien, par contre, parle d’une durée de « 7 ans ». Quelle que soit la durée de votre association avec Fashion Style Ltd, vous avez sans doute pu voir de près cette société grandir…

Je connais Monsieur Gooljaury depuis quelques mois. Une fois de plus, La Lettre de l’Océan Indien se trompe !

* Vous avez été Managing Director de la Barclays Bank avant de diriger la Mauritius Union Assurance Co Ltd. Je suppose que – fort de votre expérience de banquier – – vous auriez certainement décelé quelque irrégularité ou anomalie sur la manière dans laquelle cette société a grandi en quelques années. Les chiffres parlent d’eux-mêmes, n’est-ce pas ?

Si vous avez remarqué des anomalies, je vous serais reconnaissant de bien vouloir me les communiquer.

* Ces chiffres n’ont donc pas éveillé chez vous quelque soupçon de « abnormal growth » de Fashion Style Ltd en quelques années ?

De quels chiffres parlez-vous ? C’est normal que la réussite de M. Gooljaury attire l’attention ou crée des jalousies!

* Ni le fait que cette société ait pu obtenir un mandat de représentation pour une brochette de prestigieuses griffes vestimentaires telles que Mango, Armani, Celio, Hugo Boss, Ralph Lauren, Gant, Hackett, Spirit, Zara ?

Croyez-vous que ces grandes marques présentes dans le monde entier prendraient le risque de donner des mandats de représentation à des personnes en qui elles n’ont pas confiance ? Je vous suggère de les contacter directement pour obtenir leurs commentaires.

* Ce n’est pas à la portée de tout le monde ou de n’importe quelle société de représenter des griffes vestimentaires aussi prestigieuses que je viens de mentionner , n’est-ce pas ? Faut-il avoir la bonne main ? Ou les bonnes connexions ? Ou un bon consultant ?

Je pense qu’il faut avoir les qualités d’un bon professionnel de ce genre de produits.

* Vous voulez dire que les bonnes connexions ne comptent pas ?

Pour réussir dans le commerce, il faut savoir développer des relations de confiance avec ses fournisseurs et ses clients. Ce sont les seules connexions utiles qui permettent à une entreprise de se développer dans la durée. Les connexions politiques peuvent parfois et ponctuellement être utiles tant qu’il n’y a pas de corruption.

* Cependant la presse et l’opposition ne se sont pas fait prier pour taper fort sur « l’axe Soornack-politique-Goooljaury » — avec l’objectif, sans doute, de démontrer que les bonnes connexions des Soornack et Goooljaury avec le pouvoir, principalement avec le Premier ministre, auraient facilité bien de choses. Vous n’y croyez pas ?

C’est une explication possible.

* L’édition du Week-end du 20 janvier dernier rapporte ceci par rapport au « Jackpot de Rs 600 m » : « La SICOM rachète en catimini la Gooljaury Towers… », « En 24 heures… le partenaire d’affaires de Nandanee Soornack obtient le clearance de BPML… » La SICOM est venue de l’avant pour démentir ces « allégations fausses, non fondées… frivoles ». En tant que membre de Transparency Mauritius, pensez-vous qu’il faut quand même mener une enquête approfondie sur toute cette affaire et aussi dans tout ce qui a rapport avec la ‘Nandanee Soornack saga’ pour reprendre les termes de la presse ?

Je pense que les mises au point de la SICOM donnent un certain nombre d’informations utiles sur ce projet de construction. On peut, bien sûr, essayer d’en savoir plus si on juge que ces informations sont insuffisantes.

* Une lecture des journaux, ces dernières semaines, par rapport aux cas de passe-droits allégués crée une perception que la corruption est encore plus ancrée dans la société et prend de l’ampleur année après année. Toutefois, Maurice obtient de bonnes notes lors du classement Mo Ibrahim et Transparency International. Vous trouvez que ces classements sont suspects ?

La notation de Transparency International n’est pas bonne pour Maurice. Elle est médiocre. Nous devons nous ressaisir avant que cela ne devienne intolérable. Il faut une forte volonté politique pour arrêter ces pratiques qui appauvrissent le pays.

Le problème avec la corruption, c’est qu’elle a une tendance naturelle à augmenter avec le temps. Les corrompus et les corrupteurs s’habituent à ne pas être inquiétés et augmentent progressivement leurs besoins.

* Vous trouvez aussi l’attitude et la couverture que donne la presse mauricienne à certains faits et événements suspecte des fois ?

Parfois la presse ne va pas assez loin dans la vérification des informations qu’elle publie. C’est dommage car cela met à mal sa crédibilité et cela met injustement en cause des innocents.

* Vous pensez que certains titres agissent comme « des opposants et agents politiques » ?

La presse, dans tous les pays, a un rôle très important dans le maintien d’un bon niveau de débat public, ce qui est indispensable dans une démocratie. De ce fait, il est normal qu’elle challenge le pouvoir en place et joue un peu un rôle de contre-pouvoir. C’est sain pour la démocratie, à condition – bien sûr – que les informations soient scrupuleusement vérifiées avant d’être diffusées.

* Certains commentateurs soutiennent que ce à quoi nous assistons, c’est un lynchage sélectif de certaines personnes dont Nandanee Soornack et Rakesh Gooljaury. Qu’en pensez-vous ?

Je pense que ce qui intéresse la presse actuellement c’est la proximité de ces personnes avec le Premier ministre.

* Mais lorsqu’on se met de l’avant pour réclamer une injonction de la Cour pour interdire toute publication sur ses ‘business dealings’, cela éveille les soupçons du journaliste, de l’enquêteur de l’autorité fiscale ou même de Transparency Mauritius, n’est-ce pas ?

Absolument. Ce qui est inacceptable, c’est quand les médias condamnent ou désignent des coupables alors que c’est à la justice de le faire.

* Transparency Mauritius déclare dans son communiqué émis cette semaine que « la loi-cadre sur la corruption, à savoir la Prevention of Corruption Act, semble limitée. La législation, telle qu’elle est actuellement, ne prévoit pas les agents politiques ou ami(e)s parmi ceux cités dans la définition des proches (relatives). Ces failles peuvent laisser la porte ouverte à des abus… » Or, la POCA prévoit dans la section 7 : « … any public official who makes use of his office or position for a gratification for himself or another person shall commit an offence and shall, on conviction, be liable to penal servitude for a term not exceeding 10 years…” Voyez-vous quelque limite dans cette loi-cadre, M. de Navacelle?

Cela fait plusieurs années que Transparency, comme l’ICAC, demandent que la loi soit modifiée pour élargir son champ d’action.

* En 2010, vous étiez Président de Transparency Mauritius. Dans le cadre du forum de la fondation Mo Ibrahim, vous avez dit lors d’une interview que Maurice est un pays très corrompu… Nous nous basons sur les informations recueillies de gens qui ont été confrontés à des actes de corruption. La corruption existe tant dans le secteur public que dans le secteur privé. Mais dans le secteur public, c’est tout le système bureaucratique qui est ancrée dans la corruption jusqu’au plus haut niveau… » Avez-vous changé d’avis depuis?

Non, je n’ai aucune raison de changer d’avis.

* Les contrats gouvernementaux pour la fourniture des biens et des services représentent un « très, très gros morceau » pour le secteur privé. Estimez-vous que les bonnes connexions pèsent lourd dans l’allocation de ces contrats gouvernementaux, ce qui expliquerait votre appréciation de l’étendue de la corruption à Maurice ?

Il y a des procédures très précises pour l’allocation des grands contrats d’infrastructures. Ces procédures ont été mises au point justement pour éviter les décisions non transparentes.

Malheureusement, il arrive que des personnes malhonnêtes arrivent parfois à détourner ces procédures pour satisfaire leurs intérêts personnels. Il faut, en permanence, surveiller l’application des règles et les faire évoluer au fil du temps.

* Lors de cette interview, vous avez aussi dit que « l’un des actes de corruption les plus importants dans le secteur public, c’est le financement des partis politiques et des campagnes électorales… » Le gros du financement vient sans doute du secteur privé. Et vous avez ajouté : « Bien sûr qu’il faut poursuivre les corrupteurs et pas seulement les corrompus. C’est pour ça que Transparency a demandé à plusieurs reprises que la POCA soit modifiée pour permettre à l’ICAC d’enquêter sur le secteur privé… » Le statu quo semble convenir à la fois aux hommes politiques et aux intérêts du secteur privé ?

Dans tous les pays, la question du financement des partis politiques est un sujet très important pour la démocratie. Chaque pays trouve sa solution.

Un des problèmes, à Maurice, c’est que les partis politiques n’ont pas d’existence légale et ne peuvent donc pas publier des comptes.

Il faut changer la règlementation pour obliger les partis politiques à s’enregistrer comme association ou société. Cela fait de nombreuses années que cette question est posée mais pour l’instant rien n’a été fait.


* Published in print edition on 25 January 2013

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