« La motivation principale des électeurs, c’est l’ethnicité et de très loin »

Interview : Dr Rama Sithanen, Ancien ministre des Finances et Spécialiste des élections

« Plus le temps passe, plus ce sera difficile pour une alliance entre le PTr et le MMM »

Economie : «Il y a du bon, du gérable, du moins bon, du mauvais et du très mauvais ».

« Certaines réformes sont indispensables pour notre économie et ne sont pas difficiles politiquement… Le grand problème, c’est que tout le monde veut aller au paradis, mais personne ne veut mourir. »

Economie, croissance et chômage. Trois mots qui reviennent sans cesse dans l’actualité locale.

Notre invité cette semaine est Dr Rama Sithanen. Economiste chevronné et aussi Spécialiste des élections, nous lui proposons de faire le point sur la situation économique de la République de Maurice et de la nécessité de mener un certain nombre de réformes dans divers secteurs, et aussi au niveau électoral.

Mauritius Times : Les conclusions du rapport du ‘2014 IMF Article IV Consultation Mission’ indiquent que le déficit budgétaire provisoire pour l’exercice 2013 serait de 3,5% du PIB, soit un chiffre assez proche des estimations révisées de 3,7% annoncées dans le discours du budget ; l’investissement total du gouvernement pour 2013 s’élèverait à 5,6% du PIB, contre 4,2% en 2012 ; l’économie mauricienne a progressé à un rythme modéré en 2013 malgré « difficult external developments »; le système bancaire est bien capitalisé et connaît une bonne santé financière ; la croissance devrait s’établir à 3,7% en 2014, et l’inflation est faible et les pressions inflationnistes semblent être contenues. En termes de performance économique, ce n’est pas si mauvais que ça, non ? Qu’en pensez-vous ?

Rama Sithanen : La performance économique est en dents de scie. L’inflation est maîtrisée pour un pays comme le nôtre et les risques sont très contenus. Quelques secteurs comme le TIC, les services financiers et le seafood hub ont une bonne performance. Les banques sont bien capitalisées et profitables même si nous avons un problème de faible demande de crédit. La croissance en 2014 sera légèrement meilleure qu’en 2013.

Le déficit budgétaire et la dette sont gérables sur un cycle de 5 ans, même si les deux indicateurs vont se dégrader cette année. Il faut aussi prendre en considération les ‘extra budgetary funds’ qui financent plusieurs projets d’infrastructures.

La croissance a été résiliente mais elle baisse. Evidemment, ce qui se passe en Europe a un impact sur notre performance économique étant donné notre forte dépendance sur l’Europe dans plusieurs secteurs tournés vers l’exportation. Il faut aussi souligner qu’au niveau sectoriel, le tourisme et la construction font face à des problèmes structurels.

Le taux de chômage est en hausse depuis quelques années. Plus grave est le chômage des jeunes, des diplômés, des femmes et de ceux qui sont sans formation. Aggravé par le sous-emploi de ceux qui font un job qui ne correspond pas à leurs qualifications. Sans une croissance de 5.5% à 6% et des réformes structurelles dans l’éducation et le marché du travail pour résoudre l’inadéquation entre l’offre et la demande, ce sera difficile de résorber ce fléau économique et social.

Les très mauvais indicateurs sont l’investissement, l’épargne et le déficit du compte courant. Les deux premiers sont trop bas pour relancer la croissance et le troisième est largement déficitaire, et affecte le financement de la balance des paiements. L’investissement a continuellement chuté pour atteindre 21% du PIB en 2013 avec un niveau très bas de l’investissement privé. L’épargne a dégringolé à 14% du PIB et continue sa pente descendante. On sait que l’investissement d’aujourd’hui détermine la croissance et les emplois de demain. Et l’épargne est indispensable pour financer l’investissement.

* Si le rapport du FMI confirme la solidité des éléments économiques fondamentaux, est-ce toutefois suffisamment solide pour être ‘vendable’ à l’électorat dans le cadre d’une campagne électorale?

Comme je vous le dis, sur le plan économique, il y a du bon, du gérable, du moins bon, du mauvais et du très mauvais. Au niveau de la croissance, on fait bien par rapport aux pays développés mais moins bien que les pays émergents. Et nous évoluons en dessous de notre potentiel qui, lui-même, est bas à 4.8%. De plus, des pays comme les Seychelles, le Sri Lanka et les Maldives, qui subissent les mêmes effets que nous sur la marché européen, font beaucoup mieux que Maurice dans le tourisme. C’est clair qu’on ne peut pas tout mettre sur le compte de la crise économique et financière en Europe. Il y a aussi des problèmes structurels qui freinent notre croissance. Par ailleurs, les élections ne dépendent pas uniquement du bilan économique car il y a d’autres facteurs qui sont aussi, sinon, plus importants.

* En tant qu’ancien ministre des Finances, quels sont les dangers qui guettent l’économie mauricienne dans le court terme et dans les années à venir?

Les dangers sont à trois niveaux – international, régional et local. La reprise est fragile et volatile, surtout dans la zone Euro sur laquelle on dépend beaucoup. Puis, il y a plusieurs risques dont la fin d’une politique monétaire très souple aux Etats-Unis avec ses conséquences sur les pays émergents, les risques de déflation en Europe, une décélération de la croissance dans des pays comme la Chine et l’Inde.

Au niveau régional, l’Afrique du Sud passe par une phase très difficile avec une croissance faible, une inflation forte et une devise en ‘free fall’. Cela représente un problème potentiel. C’est un partenaire important pour le commerce, le tourisme et l’investissement. Cela risque d’affecter notre tourisme, nos textiles et les investissements directs.

Localement, à une année des élections, il y a un risque de ‘policy stasis’. C’est toujours difficile de réformer à un an des élections. Il faut toujours le faire au début d’un mandat. Le secteur offshore pourrait aussi être affecté par un changement dans le traité de non-double imposition avec l’Inde. Il y a l’excès de liquidité à absorber. Il faut aussi une plus grande coordination et plus de cohérence entre la politique fiscale et monétaire.

Sur le long terme, on a besoin de réformes structurelles pour résoudre les problèmes liés à une faible croissance, un investissement et une épargne très bas, et un chômage en augmentation.

* Le FMI a proposé un certain nombre de réformes structurelles nécessaires en vue d’améliorer les perspectives de croissance dans le moyen et le long termes. La question qui se pose toutefois, c’est : ‘What is doable’ dans l’immédiat et le moyen terme? C’est sûr que c’est le ‘short-termism’ qui va prendre le dessus cette année-ci en prévision de 2015 ?

Il faudrait de nouvelles réformes pour donner une nouvelle impulsion à l’économie avec quatre buts très définis : augmenter la croissance, stimuler l’investissement, améliorer la compétitivité et rehausser la productivité, surtout à l’exportation et générer des emplois pérennes.

Il faudrait des réformes dans l’éducation et le capital humain, dans la qualité et la compétitivité des infrastructures comme l’eau, l’énergie et les connectivités, dans la capacité d’exécution de l’Etat, dans l’efficacité du secteur public, dans le marché du travail et le ‘cost of doing business’.

Et il faudrait revoir le système de pension pour éviter que le vieillissement de la population ne pénalise les prochaines générations avec une fiscalité trop lourde.

Certaines de ces réformes sont indispensables pour notre économie et ne sont pas difficiles politiquement. La révolution numérique nécessite une vitesse plus rapide des bandes passantes et des coûts moins élevés pour que les TIC jouent un rôle plus important dans notre économie. L’accès aérien peut être résolu, tout comme les problèmes de l’eau, de l’énergie, et de la capacité d’exécuter les grands projets publics.

Bien sûr, d’autres réformes sont plus compliquées mais nécessitent des explications comme la réforme du système de pension et celle de l’efficacité du secteur public. Le grand problème, c’est que tout le monde veut aller au paradis, mais personne ne veut mourir.

J’ai aussi des soucis sur la pauvreté et l’inégalité. La révolution technologique et numérique, la mondialisation du système de production des biens et des services, et la financiarisation de l’économie ont créé des inégalités qui deviennent inacceptables et peuvent menacer un tissu social déjà fragile.

Tout le monde n’a pas les mêmes capacités à tirer avantage de ces développements. Certains restent au bord de la route et ont besoin du soutien de l’Etat. Il faut de meilleurs investissements pour soutenir les pauvres dans l’éducation, la formation, l’employabilité, l’empowerment ou l’autonomisation, et les infrastructures. En même temps, il est nécessaire que les subventions bénéficient plus aux pauvres. Et il s’agit aussi de revoir certaines politiques qui accentuent l’inégalité. L’écart ‘in both income and wealth’ devient trop grand et comporte des risques sociaux. Il faut aussi être inventif et innovateur fiscalement pour l’atténuer.

* Vous disiez lors d’une intervention à la radio que ce qui vous embête ce sont les opportunités ratées en termes de réformes dans le port, l’ICT, etc. Pourquoi n’arrive-t-on pas à prendre les décisions qui s’imposent au moment opportun, M. Sithanen ? Est-ce un problème relevant de la lourdeur administrative, des moyens de financement… ?

These are low hanging fruits with little political risks. Augmenter la bande passante, la vitesse de l’Internet et réduire le coût seront très bénéfiques pour tout le monde. Il faut libéraliser le ‘last mile’ dans ce secteur clé. Un partenaire stratégique dans le port qui fera de Maurice un véritable port d’éclatement et un ‘trading, logistic et warehousing hub’ entre l’Asie et l’Afrique. C’est dans notre intérêt.

Cependant, je concède que certaines réformes sont plus difficiles pour des raisons de ‘political economy’. Là aussi il faut voir plus grand et adopter une approche ‘holistique’ et non restrictive.

Le secteur privé peut faciliter certaines réformes qui sont difficiles pour n’importe quel gouvernement. Je pense aux réformes du secteur public et para public. Le secteur privé a beaucoup à gagner d’une bonne réforme dans ce secteur avec plus d’efficience et d’efficacité et une meilleure gouvernance. Mais il faut des contreparties pour rassurer ceux qui pensent qu’ils seront sacrifiés dans cette réforme. Il faut plus d’ouverture dans le secteur privé à un certain niveau pour encourager la réforme du civil service et des corps para-étatiques.

Je le dis à certains dans le secteur privé : ‘If the ownership, control and management are done by the same people’ dans le secteur privé, on ne crée pas suffisamment d’espace pour nos meilleurs éléments. Et, souvent, ils n’ont pas d’autres choix que de dépendre du secteur public. A un certain niveau, le secteur privé est trop renfermé sur la structure familiale, ce qui empêche une plus grande ouverture pour attirer des talents et des compétences.

Il faut trouver un équilibre entre les impératifs de la mondialisation, de la réforme et de la modernisation, et les intérêts des familles qui contrôlent ces entreprises. Sinon on évolue vers une société bloquée avec, d’un côté, un capitalisme familial dépassé et, de l’autre, un capitalisme étatique inefficace et coûteux.

Cela s’applique à toutes les communautés même si on à tendance à penser à une seule d’entre elles. Elles sont toutes pareilles. Certains ont franchi le pas et sont sortis gagnants. Il ne faut pas oublier que le secteur privé compte pour 80% des emplois à Maurice. Il est donc nécessaire de réformer les deux en même temps : une réforme du secteur public et une plus grande ouverture dans le secteur privé, sinon chacun va continuer à montrer l’autre du doigt.

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« In Mauritius, the politics of identity and presence is much more important than the politics of substance and ideas »

* Ce qui détermine la victoire lors d’une consultation électorale à Maurice, ce n’est pas toujours le projet politique des partis ou l’arithmétique électorale des alliances politiques qui s’affrontent; c’est dû parfois au bilan économique. Pensez-vous que c’est l’économie qui sera le ‘determining factor’ en 2015?

Je ne suis pas d’accord. J’ai étudié en profondeur toutes les élections depuis 1959 pour comprendre les motivations derrière le choix des électeurs. Circonscription par circonscription sur 12 élections générales. Les trois raisons que vous citez sont importantes. L’arithmétique électorale, l’économie et le projet politique. Et peut-être dans cet ordre.

Mais mes analyses démontrent très clairement que le facteur déterminant n’est aucun de ces trois. La motivation principale, c’est l’ethnicité et de très loin. Surtout dans les élections normales, ou la différence n’est pas grande en termes de pourcentage de voix entre les deux blocs qui s’affrontent comme en 1967, 1983, 1987, 2005 et 2010. C’est le cas surtout pour trois communautés. La quatrième a changé complètement sa stratégie de voter depuis les élections de 2000. Il y a aussi le choix du Premier ministre, le facteur ‘usure du pouvoir ’ et l’élément ‘anti-incumbency ’.

Ne soyons pas naïfs. Le facteur crucial demeure l’ethnicité pour au moins 65% à 70% en moyenne. Avec des hauts de plus de 85% en 1967,1983 et 2005. Et des bas de 50% à 55% en 1982 et 1995. Cela a toujours été le cas et ne changera pas.

Ce n’est pas unique à notre pays. Voyez l’Ukraine aujourd’hui. L’Est du pays soutient la Russie tandis que l’Ouest est en faveur de l’Union européenne. En Belgique, c’est entre les Wallons et les Flamands. En Irlande du nord, c’est entre les Catholiques et les Protestants. En Iraq, c’est entre les Sunnis et les Shias.

* On n’a pas évolué, donc ? Kher Jagatsingh avait-il raison lorsqu’il s’interrogeait sur cette « bébête » qu’est le « Mauricien » ?

‘In Mauritius, the politics of identity and presence is much more important than the politics of substance and ideas.’

Prenons deux récents exemples des dernières élections municipales. A Quatre-Bornes, le PTr gagne à Bassin et Palma à cause de la sociologie de l’électorat tandis que le MMM remporte les sièges dans le Centre Ville pour les mêmes raisons. Ce n’est pas de la rocket science. Egalement le MMM gagne largement à Rose Hill et Beau-Bassin mais il perd à Vacoas.

En général, dans une élection générale normale (1967, 1983, 1987, 2005, 2010), le PTr remporte presque tous les sièges dans les circonscriptions rurales, tandis que le MMM (ou le PMSD avant lui) gagnent toujours au numéro 1, 17, 19 et 20. Et dans des circonscriptions très mixtes, la joute est toujours serrée. C’est le cas au 4, 14, 15, 16 et 18. Encore une fois, ‘it is a no-brainer’.

* Le leader de l’alliance gouvernementale a déclaré durant le week-end dernier que « les gens savent que je serai candidat » et « qu’on va remporter les élections – c’est une garantie que je donne… » Au fait, il est en train de dire deux choses : premièrement, il compte diriger le PTr dans la prochaine bataille électorale et probablement au-delà de 2015. Deuxièmement, même en face de la force conjuguée du Remake 2000, l’alliance dirigée par le PTr saura faire la différence. Qu’en pensez-vous ?

La grande question est la suivante : est-ce que les prochaines élections seront comme celles de 2005 ou 2010 ou celles de 1991 ou 2000 ? Quel sera l’écart en pourcentage de voix ? Un maximum de 5 à 6% ou plus de 8 ou 10% ?

Le PTr a intérêt à ce que ce soit comme en 2005 ou 2010 tandis que le Remake souhaite que ce soit comme en 1991 or 2000. Il y a bien sûr l’élément ‘anti-incumbency’ et l’usure du pouvoir car le PTr a été aux affaires pendant 10 ans de suite. Si l’on se base sur les élections municipales de 2012, elles peuvent être très serrées, surtout que le PTr s’est bien défendu dans trois villes. Et les régions rurales seront une autre paire de manches.

Si on isole le poids de l’économie, la joute se jouera, à mon avis, sur trois éléments : d’abord, combien d’Hindous ayant voté pour le PTr en 2005 et 2010 vont s’abstenir or le déserter pour le Remake ? Cela dépend du poids de Jugnauth et du MSM dans au moins 10 circonscriptions à majorité hindoue. Ce qui explique l’extrême générosité de Bérenger vis-à-vis du MSM avec 30 tickets pour un poids électoral très faible par rapport aux mauves. Ce qui compte, c’est la complémentarité entre les deux partis.

Ensuite, est-ce que l’électorat musulman fera un retour partiel vers le MMM ? Ce ne sera jamais comme en 1983 et 1987. Si le PTr préserve son électorat musulman, la lutte sera très serrée dans au moins 10 circonscriptions (comme 2, 3, 10, 13, 15, 4, 8, 16, 18). Ici, l’effet Jugnauth joue contre le MMM d’où la stratégie de Bérenger d’amadouer les Musulmans avec Uteem non seulement comme le numéro 3 du gouvernement mais probablement aussi comme vice-Premier ministre et ministre des Finances. C’est un positionnement ethnique pour émuler celui de Ramgoolam avec Beebeejaun comme vice-Premier ministre en 2005.

Il y a aussi des annonces symboliques comme Soodhun à la vice-Présidence et l’ouverture d’une ambassade en Arabie Saoudite avec un Musulman déjà désigné pour occuper ce poste. Et son mea culpa que le MMM a été injuste envers une communauté en 2000 et la position du MMM sur l’Amicale. Les deux principaux partis vont tout faire pour conquérir cet électorat. Et, enfin, le choix du Premier ministre : entre Ramgoolam et le tandem Jugnauth/Berenger. On vote parfois pour un Premier ministre d’abord.

* Il se pourrait que le message de Ramgoolam par rapport à la garantie d’une victoire certaine lors des prochaines législatives ne soit pas nécessairement adressé aux électeurs flottants ni aux « traîtres » et autres « Judas » dans son entourage, mais principalement au leader du MMM qui se trouve en ce moment même à méditer sur la justesse d’une « reconfirmation » de la confirmation du Remake 2000. Message reçu, pensez-vous ?

C’est évident qu’une alliance PTr-MMM remportera très facilement les élections. Je ne sais pas ce que feront le PTr et le MMM. Je pense que Bérenger fait de son mieux pour avoir un très bon deal avec le MSM pour surtout rassurer ceux qui ne sont pas convaincus par l’accord de 50 %-50 % des tickets.

Le choix des candidats sera une torture pour le MMM car il y aura beaucoup de sacrifiés. Est-ce que le jeu en vaut la chandelle? Le MMM a besoin du MSM dans au moins 10 circonscriptions à forte concentration hindoue et l’apport de SAJ pourrait être déterminant. SAJ n’a pas abandonné Le Réduit pour être un figurant.

Par rapport au poids électoral du MSM, la répartition est très injuste, mais c’est le prix à payer pour rassurer une composante importante de l’électorat et se donner la chance de gagner. Le choix des candidats sera un enfer pour le MMM. Les mathématiques sont implacables.

Je vous donne un simple exemple. Si le MMM insiste pour avoir trois candidats aux 1, 19 et 20 et deux candidats aux 2, 3 et 17, et peut être au 14, il est évident que le MMM n’aura qu’un seul candidat aux 4, 15, 6 et 18 avec des conséquences que l’on sait.

Mon analyse démontre aussi que le Remake prend un risque énorme en alignant un candidat MSM à Plaine Verte. Si ma mémoire est bonne, Plaine Verte n’a jamais voté pour élire un député MSM. Et, si pour parer à cette éventualité, le MMM impose trois de ses candidats au numéro 3, la situation se corsera davantage dans d’autres circonscriptions. C’est un jeu à somme nulle.

J’ai l’impression que Bérenger est très divisé. A mon avis, il fera une alliance avec Ramgoolam que s’il ne travaille pas sous sa tutelle. Il faut une réforme électorale et une réforme constitutionnelle pour que cela soit possible. Je pense aussi que plus le temps passe, plus ce sera difficile pour une alliance entre le PTr et le MMM, surtout si Bérenger pense qu’il peut gagner les élections avec le Remake et devenir Premier ministre en 2018. Le seul attrait d’une alliance avec le PTr est d’avancer cette date car il aura 70 ans en 2015.

* Au-delà de la « reconfirmation » ou non du Remake 2000, Paul Bérenger nous apprend aussi que les dirigeants du Remake vont aborder des discussions sur la réforme électorale. Or, nous savons que ce qui éloigne le MSM du MMM, c’est, entre autres, la question de la proportionnelle. Pensez-vous que l’exigence électorale prendra le dessus sur ce qui sépare ces deux partis ?

Je pense que oui. L’attrait du pouvoir va prévaloir. Non seulement pour la réforme électorale, mais aussi pour d’autres sujets comme on l’a vu récemment pour la peine de mort, quitte à se chamailler après les élections comme cela a été le cas entre 2000 et 2005.

Effectivement le MMM est très loin du MSM sur les réformes électorales. Le MSM est un parti traditionnellement attaché au ‘First Past The Post’ (FPTP) pour des raisons plus émotionnelles que rationnelles.

Il y a plus de rapprochement entre Bérenger et Ramgoolam sur ce dossier. D’ailleurs, les deux ont dit qu’ils sont à 99% d’accord et qu’il reste un petit macadam à résoudre. Mais il faut attendre la publication du White Paper pour en savoir plus.

Pour maintenir le Remake, le MSM n’a pas d’autre choix que de s’aligner sur la position du MMM. Apres les élections, ce sera un autre son de cloche. C’est pour cela que Bérenger souhaite un accord dans les détails avant les élections. Le MSM est pour le maintien du système actuel et, s’il change, c’est uniquement pour des raisons stratégiques, sinon tactiques.

* Au fait, Ramgoolam est passé par là également en affirmant que la réforme électorale est toujours pertinente et la parution du livre blanc n’est qu’une question de « timing ». Dans un autre ordre d’idées, il a déclaré à ceux qui ont la nostalgie du PTr d’autrefois que « le monde de 1923 n’est pas le même qu’aujourd’hui, il faut évoluer… » Doit-on comprendre que le PTr à aussi évolué par rapport à la question de la réforme électorale ? Autre message également reçu par Bérenger, pensez-vous ?

Je ne sais pas si le PTr a évolué sur ce sujet. Ramgoolam oui. Je pense même qu’une grande partie de son électorat est émotionnellement attaché au FPTP et il y a aussi les séquelles des débats avant l’Indépendance sur le mode du scrutin où le PTr était viscéralement contre la proportionnelle pure qui était proposée par le PMSD. Je ne sais pas ce que contient la dernière mouture du White Paper. Ce que va proposer Ramgoolam est uniquement une dose de proportionnelle. On est donc loin des réalités des années 60.

Il me semble qu’il y aura trois points importants qui seront déterminants pour avoir un consensus entre le PTr et le MMM. D’abord, le nombre de députés à la proportionnelle. A mon avis, il y a un minimum qui sera acceptable pour Bérenger, surtout pour ‘subsume’ les huit sièges de Best Loser. Si c’est trop bas, je pense qu’il n’y aura pas d’accord. Ensuite la formule mathématique pour déterminer le nombre de députés qui iront à chacun des partis éligibles et enfin comment choisir ces mêmes députés PR.

* Au cas où il y a une réforme électorale, pensez-vous que le MMM pourrait aller seul dans une lutte à trois comme semble le souhaiter une aile importante du MMM ?

C’est une question très intéressante et pertinente. Je l’ai étudiée. Il y a un scénario qui pourrait devenir très intéressant pour le MMM dans le cadre d’une réforme électorale avec une dose de proportionnelle. J’ai fait des simulations, circonscription par circonscription, même si je dois concéder que la dynamique et la réalité d’une élection à trois sont différentes de celle d’une joute à deux.

Malheureusement, on n’a pas beaucoup de données pour tester la robustesse des prévisions. Il n’y a eu que les élections de 1976, la partielle à Flacq entre Faugoo du PTr, SAJ du MSM et Dulloo du MMM. Et trois élections entre 2000 et 2010 dans deux circonscriptions (2 et 3) avec le FSM comme troisième parti. Et peut être Dayal au 10 en 2000.

Je fais toujours trois hypothèses de base par circonscription dans mes analyses : bonne, moyenne et basse. Prenons le cas d’un bon scénario pour le MMM dans une lutte à trois et utilisons les résultats de 1976 et de 2010 comme référence. A mon avis, ce sera mieux que 1976 car une bonne partie de l’électorat du PMSD a bougé vers le MMM.

Mes chiffres indiquent que les mauves peuvent remporter à eux seuls entre 35 et 38 députés FPTP, ce qui est largement supérieur que le nombre de députés qu’ils auront dans le cadre du Remake. Mais il y a toujours un risque de ne pas être au gouvernement. Regardons cette situation de plus près.

A cause de la sociologie électorale, ils gagneront avec certitude les 4 circonscriptions historiques qu’ils remportent même quand le PTr est avec le MSM et le PMSD (1, 17, 19 et 20). Je constate un petit effet Guimbeau à Curepipe dans certaines simulations. Cela fait un départ avec douze sièges. Il y a quatre autres circonscriptions où ils ont plus de 75% de chance de rafler les trois sièges.

Avec une marge de victoire de l’Alliance PTr-MSM-PMSD entre 2% au 16, 3% au 14, 4% au 4 et 5% au 18 aux élections de 2010, le MSM – seul – n’a réussi qu’à obtenir qu’un petit score de 5 points de pourcentage de ces votes pour que le MMM remporte les douze sièges dans une lutte à trois dans ces 4 circonscriptions. Cela fait 24 députés.

Ensuite il y a 6 circonscriptions où le vote de la communauté musulmane sera déterminante (2, 3, 8,10, 13 et 15). Ils ont déjà une base de 42% au 15, et de 40% aux 8 et 13. Ajay Gunness a fait 47% au 10. Et les deux circonscriptions de Port Louis à forte concentration musulmane sont très jouables dans une lutte à quatre, même si le MSM existe à peine dans ces deux circonscriptions. Les deux candidats hindous à Plaine Magnien/Mahebourg ont un ‘reasonable fighting chance’ comme cela a été le cas en 1976, avec une base de 37% en 2010.

Par contre, il faut oublier cinq circonscriptions. Les trois du Nord, Flacq/Bon Accueil et Rose-Belle/Vieux Grand Port. Ce sera difficile, sinon impossible. C’est ce que mes simulations indiquent. Quoique qu’un candidat du MMM a un ‘outside chance’ au 7. Le candidat MMM Koonjul a eu 39% de votes en 2010. Cela pourrait être juste pour décrocher une troisième place si SAJ joue au trouble-fête en grignotant des votes personnels au PTr mais sans se faire élire.

Avec un score national de 42 à 45% des votes, le MMM va aussi récupérer au moins 50% des sièges à la proportionnelle, surtout si le seuil d’éligibilité est à 10%. Cela fait un total de 45 à 48 sièges à l’Assemblée nationale. Même si le MMM ne remporte pas ce nombre de sièges (le scénario moyen), il serait peut-être d’une courte tête, le principal parti comme en 1976 et peut négocier une alliance électorale dans de bonnes conditions avec le PTr. C’est une possibilité qui n’est pas inintéressante pour le MMM. Ce parti va aussi bénéficier de l’effet ‘usure de pouvoir, anti-incumbency et vote sanction contre le PTr. Et avec un candidat hindou MMM au poste suprême, les chances augmentent même s’il y aura une campagne contre le paravent de Bérenger. Evidemment, le PTr cherchera à convertir ces élections en un duel entre Ramgoolam et Bérenger et à demander à un électorat en particulier de voter utile en ignorant le MSM qui n’aura aucune chance d’enlever même un seul siège.

Mais le MSM n’a besoin que de prendre pas plus de 5% des votes dans 4 circonscriptions marginales et 10% dans 4 à 6 autres circonscriptions rurales pour que le jeu soit fait pour le MMM. C’est identique à l’effet Front National en France dans les triangulaires. Il pénalise l’UMP et favorise les Socialistes. Voilà ce que démontre cette simulation.

Soyons clair. Je ne passe pas un jugement sur ce que doit faire le MMM. Comme chercheur en système électoral qui a étudié en détail toutes les élections de Maurice depuis les années 50, je ne fais qu’indiquer les résultats de mes simulations. Bien sûr, je peux me tromper avec une nouvelle dynamique électorale avec les réformes. Mais la probabilité est assez grande en faveur du MMM pour passer les ‘sensitivity tests’ et le modèle est assez robuste.

Mais est-ce qu’il y aura une réforme électorale et une lutte à trois? Est-ce que Bérenger ne voudra pas prendre une assurance supplémentaire avec le MSM ? Comme il l’avait fait en 1982 avec le PSM et plus cher cette fois-ci. Ou voudrait-il utiliser la réforme pour avoir un meilleur accord avec le MSM ? Je ne sais pas.

 


* Published in print edition on 28 February 2014

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