Deuxième République: « Le Président doit disposer d’une majorité parlementaire forte »

Interview: Dev Virahsawmy

« Bérenger a besoin de faire une nouvelle alliance rapidement pour redynamiser son parti et pour s’assurer que son électorat ne le lâchera pas »

 

 


Dev Virahsawmy nous donne son avis sur les développements politiques cette semaine, notamment le refroidissement des discussions entre le MMM et le MSM. Paul Bérenger, encore une fois, décide de prendre du recul et demande un temps de réfl… Est-il un fin stratège ou en déroute ? Dev Virahsawmy nous en parle…

Mauritius Times: En tant que vieux routier de la politique, M. Dev Virahsawmy, qu’est-ce qu’une période de « cooling off » et l’autre demande d’un « temps d’une réflexion » signifient pour vous ? Et ce, lorsque c’est votre allié du moment qui l’impose, nous dit-on, de façon unilatérale ?

Dev Virahsawmy : Je vais vous répondre par une boutade : c’est comme si le dulha qui vient de se marier décide soudainement de réclamer à la dulhine un temps de réflexion juste au moment où les deux allaient pénétrer dans la chambre de noces !

Toute réflexion, autant utile soit-elle, doit se faire avant le mariage, pas après. Paul Bérenger en est parfaitement conscient, et c’est pourquoi j’estime que derrière ces mots qui paraissent anodins se cache une tactique politique. Je m’explique : à un certain moment, le MedPoint 2 était perçu par Bérenger comme un moyen lui permettant de déstabiliser le gouvernement et le pays, l’objectif recherché étant de forcer le Premier ministre à organiser des élections anticipées. Mais cette tactique a connu un effet boomerang. Pour deux raisons : premièrement, le peuple ne suit pas les agissements de Bérenger, et deuxièmement, au sein même de son parti, nous constatons un rejet de cette alliance avec la famille Jugnauth. Donc, cette période de « cooling off » ou de « réflexion » n’est uniquement qu’une façon de dire que le Remake 2000 ne marche pas et qu’il faut chercher ailleurs.

A mon avis, Bérenger est en train de réfléchir dans ce sens puisqu’il a compris que même avec Anerood Jugnauth, il n’a aucune chance d’obtenir une majorité confortable. Son Remake 2000 est battu d’avance, et c’est cela qui explique les agissements de Bérenger ces jours-ci. D’une part, il se montre agressif envers le Premier ministre, mais d’autre part, il laisse entrevoir par certaines actions qu’il garde la porte ouverte pour de futures négociations avec les Travaillistes.

* On met cette période de « cooling off » dans les relations MMM-MSM sur le compte des coups fourrés qu’auraient joués les Soodhun et Hanoomanjee aux dépens du MMM. Manœuvre malhabile, de toute évidence, puisqu’elle offre au leader du MMM l’occasion de se débarrasser du MSM. Qu’en pensez-vous ?

Je crois que Bérenger est, en vérité, en train de chercher des boucs émissaires. Il a l’habitude de faire cela pour effectivement détourner l’attention de ses propres manquements, de ses erreurs politiques. Donc au lieu de procéder par une autocritique de sa démarche politique, de toute évidence mauvaise et qui n’a pas donné les résultats escomptés, il se lance – fidèle à lui-même – à la recherche de boucs émissaires et jette de la boue sur les autres. C’est son habitude à lui, il n’a pas changé sur ce plan-là.

Permettez-moi d’ouvrir une parenthèse pour dire mon étonnement devant le silence de ces journaux dits indépendants qui ne réagissent pas et ne réclament pas la démission de Bérenger lorsqu’il perd les élections ou qu’il commet des gaffes politiques monumentales. On ne lui rappelle pas la nécessité de démissionner afin de permettre à un autre militant plus capable de prendre le leadership du parti. Ces mêmes journaux, dits indépendants, n’ont pas réagi comme ils l’avaient fait lorsque Navin Ramgoolam avait perdu les élections en 2000. Allez voir les titres de ces journaux dits indépendants en 2000 et vous comprendrez…

Ce qui se passe au sein du parti MMM et au niveau des journaux dits indépendants démontre clairement qu’il y a des gens qui ne sont pas disposés à faire face aux problèmes réels et choisissent toujours des échappatoires. Bérenger, par exemple, aurait dû faire son autocritique et dire que son alliance avec le MSM était une erreur politique et qu’il va falloir revoir toute sa stratégie politique. Or, que fait-il ? Il saute d’une situation à une autre et fait comme si tout était normal ; il fait semblant que nous sommes dans le meilleur des mondes possibles. Tel n’est pas le cas ; nous sommes dans une situation extrêmement difficile pour le pays, mais Bérenger lui se comporte comme un vulgaire aventurier.

* Ce n’est pas nécessairement vrai qu’il ait fait une erreur monumentale en contractant cette alliance avec le MSM. Au fait, en se servant de cette tactique, il a réussi son coup pour forcer le leader du PTr à venir à la table des négociations, ne le pensez-vous pas ?

Il croyait qu’il allait devenir le maître du jeu en faisant une alliance avec le MSM, et en créant une situation où Sir Anerood était obligé de démissionner comme Président de la République. Il a cru que cela allait provoquer une dynamique politique pouvant paralyser le gouvernement et la gouvernance de l’Etat pour éventuellement bouger dans le sens d’un changement de régime.

Or, tout ceci ne s’est pas réalisé. Le gouvernement a démontré qu’il est fort et qu’il contrôle la situation, ce qui lui permet de poursuivre son programme de développement malgré les meetings et autres conférences de presse du camp MSM-MMM. Que constatons-nous à présent : un jeu politique complètement brouillé et contradictoire : l’un boycotte l’Assemblée qui va élire un Speaker, l’autre fait les éloges du nouveau Speaker ; même chose pour la nomination du nouveau Président de la République… il n’y a plus cette unity of purpose and action. L’alliance MedPoint 2 a foiré ; Bérenger est complètement embrouillé, il n’a pas de vision claire de l’action à suivre. Et je me demande comment les autres députés du MMM sont en train de réagir devant les ‘coustiks’ de Bérenger.

* Ce que vous qualifiez de ‘coustiks’, ce sont peut-être les calculs d’un joueur d’échecs qui maîtrise l’art de jouer le chaud et le froid avec ses adversaires autant qu’avec ses alliés…

Non, il a maîtrisé l’art d’imposer sa volonté sur son parti : il ne peut y avoir de contestation de ses décisions. Et, il a tellement l’habitude de faire cela, qu’aujourd’hui il peut faire n’importe quoi et c’est accepté par son parti comme la vérité absolue, comme parole d’évangile. C’est grave pour la démocratie à Maurice surtout que Bérenger ne parle que de l’approfondissement de la démocratie alors que son action au sein de son parti démontre que c’est un petit dictateur qui ne fait qu’imposer sa volonté sur tous les membres du MMM.

* Quelle opinion faites-vous de la dernière prise de position de Sir Anerood Jugnauth, qui dans une déclaration de presse mercredi après-midi, affirme qu’il sera candidat au poste de Premier ministre quelque soit le scénario pour les prochaines législatives ?

Je l’ai écouté à la télévision et à la radio, et encore une fois j’ai vu Sir Anerood en train de dire n’importe quoi ; on a l’impression qu’il est complètement dépassé par les événements. Il ne comprend même pas la réalité dans laquelle se trouve notre pays. Je ne vous cite qu’un exemple. Quand le Premier ministre, à travers sa diplomatie, a pu faire un deal avec les Seychelles, nous donnant la possibilité d’exploiter 2.3 millions de kilomètres carrés de mer, mais aussi un accord de cogestion avec les Seychellois, tout ce que Anerood Jugnauth a pu dire : « Aster zot pe al rod kitchoz dans la mer ». Il n’a rien compris, notamment que Maurice est une République maritime. Un leader politique digne de ce nom aurait compris cela tout de suite. Et c’est ce même Anerood Jugnauth qui affirme qu’il va être candidat au poste de Premier ministre…

* Par ailleurs, il est du domaine public que des négociations ont été engagées entre le MMM et le PTr concernant la réforme électorale et l’instauration d’une Deuxième République. Quelle opinion faites-vousà ce propos, M. Virahsawmy ?

A mon avis, ces deux partis ont besoin d’une alliance. D’une part, le PTr et ses alliés ont besoin d’un renforcement de leurs forces parlementaires afin d’amender la Constitution pour rendre obligatoire la présence féminine au niveau de chaque circonscription — il ne faut pas oublier que dans le cadre d’une réforme électorale ce qui est indispensable, c’est qu’un minimum d’un tiers des candidats devraient être des femmes. Deuxièmement, si nous voulons bouger du régime westminstérien vers un système présidentiel, là également cela nécessitera une majorité de trois quarts au Parlement. C’est tout à fait normal qu’un chef de gouvernement qui souhaite introduire des réformes d’une telle importance cherche à construire une majorité de trois quarts pour y parvenir. Je peux donc comprendre la démarche du Premier ministre.

* Et quelles sont les motivations du leader du MMM ?
Bérenger cherche à limiter la casse ; la base électorale du MMM est en train de s’effriter. On rencontre des militants purs et durs qui sont aujourd’hui des gens désenchantés. Par ailleurs, disons les choses comme elles sont, puisque c’est ainsi la réalité à Maurice : l’ethnie majoritaire, c’est-à-dire les Hindous soutiennent dans leur grande majorité l’alliance au pouvoir ; les musulmans aussi, ils accordent leur soutien au gouvernement de Navin Ramgoolam, la grande majorité, du moins. Ceux qui soutiennent encore le MMM, ce sont les Créoles. Il faut savoir que cette ethnie est constituée de deux groupes distincts : les Euro-créoles qui appartiennent à la grande bourgeoisie, ceux qui sont dans les affaires et qui ont compris très vite que le gouvernement d’aujourd’hui a des idées claires sur ce qu’il faut faire pour accélérer le développement du pays. Ces Euro-créoles se disent qu’ils ne peuvent plus faire confiance à Bérenger parce qu’il n’a pas de projet dans une situation très difficile.

Difficile parce que, premièrement, le capitalisme occidental se trouve face à des difficultés très graves. Le taux de chômage en Europe est très élevé ; en Espagne c’est à peu près 25% de l’active population… c’est immense. Une lecture des publications européennes telle que The Guardian vous informera que l’Angleterre court le risque de connaître une double dip recession. En France, la situation y est également catastrophique, même chose en Italie. Voilà la situation de nos principaux marchés d’exportation. Et ceux qui contrôlent l’économie mauricienne, la grande bourgeoisie blanche, savent très bien qu’il faut chercher ailleurs. Ils sont conscients que cette économie néo-coloniale que nous avons héritée ne peut pas perdurer et qu’il faut trouver une autre solution. Ils savent très bien que l’actuel gouvernement a des idées et surtout les contacts qui vont nous permettre précisément de « ride above » cette crise qui menace le monde. Il y aussi le fait que le monde scientifique dispose des preuves que le changement climatique va devenir un problème phénoménal et, pour nous, il va falloir trouver une solution de survie. Le MMM et le MSM n’ont rien à offrir. Donc, déjà il y a le désenchantement au niveau des Euro-créoles qui commencent à se rendre compte que c’est dans leur intérêt de soutenir l’actuel gouvernement qui saura promouvoir le développement du pays en établissant des liens avec l’Afrique du Sud et l’Afrique en général, avec la Chine et l’Inde.

Il ne faut pas oublier qu’au MMM il y a des gens, certains grands experts en matière économique, qui font du India bashing… A chaque fois qu’une société indienne désirant investir à Maurice se présente, il y a toute une cabale qui est montée par le MMM. Ce parti ne comprend pas l’importance d’établir des liens solides avec l’Inde et la Chine, et les détenteurs du pouvoir économique en sont conscients, et ils souhaitent donc avoir un gouvernement qui va agir comme facilitateur pour qu’ils puissent faire du business avec ces pays.

La seule tranche de la population qui soutient encore le MMM, ce sont les Afro-créoles, surtout ceux de la classe ouvrière créole qui croient toujours que le MMM va pouvoir trouver des solutions miracles pour eux. Or, ceux qui comprennent l’économie, eux, savent très bien que le MMM aujourd’hui n’a pas de réponse aux problèmes auxquels nous faisons face.

Donc voilà les raisons qui expliquent les motivations de Bérenger : son électorat s’effrite, le désenchantement gagne son parti, il a grandement besoin de donner un second souffle à son parti. Et lorsqu’il se met à organiser des fuites dans la presse sur ses contacts avec Navin Ramgoolam, il ne le fait que pour sauver sa peau. C’est tout.

* Donc, par opportunisme politique ?

Non, par tactique politique pour ne pas perdre son électorat parce qu’il est parfaitement conscient que son électorat de base – le core electorate — qu’il avait depuis 1976 commence à s’effriter et qu’il ne lui reste aujourd’hui que 20-25%. On peut dire que trois quarts de la population comprend que le gouvernement d’aujourd’hui dispose des solutions aux problèmes qui nous guettent. Il y a qu’un quart de la population qui pense que c’est le MMM qui a la solution.

Il ne faut pas oublier que Bérenger et consorts avaient même essayé de faire un coup d’Etat constitutionnel à la suite de la démission des ministres MSM en essayant de débaucher certains parlementaires de l’alliance au pouvoir. Quand il a vu que cela et son Remake 2000 n’allaient pas réussir , il change de tactique.

* On aurait cru que son alliance avec le MSM, malgré l’échec de déstabilisation de la majorité gouvernementale dans un premier temps, aurait pu éventuellement faire la différence aux prochaines législatives…

Bérenger est très pressé parce qu’il sait que le temps va jouer contre lui. Malgré les difficultés que connaît le monde, à Maurice et à Rodrigues, nous pouvons nous estimer heureux que le matin quand nous nous réveillons pour aller acheter notre pain, notre pain est disponible et le prix du pain n’est pas exorbitant.

Avec le temps, les gens vont se rendre compte que les slogans du MMM ne rapportent rien et ils vont lâcher ce parti. Bérenger a besoin de faire une nouvelle alliance rapidement pour redynamiser son parti et pour s’assurer que son électorat ne le lâchera pas.

Mais là, il y a un autre problème : lorsque l’Iznogoud de la politique mauricienne se trouve dans une alliance gouvernementale, chaque matin quand il se réveille, il se met à table pour réfléchir sur les moyens à mettre en place pour déstabiliser son partenaire. Ce n’est pas un monsieur qui peut travailler avec les autres, et sa présence dans une alliance va poser pas mal de problèmes au gouvernement et surtout au Premier ministre Navin Ramgoolam.

* Les mêmes problèmes vont se poser dans le cadre d’une Deuxième République ?

Tout dépend de la formule qui sera adoptée. Premièrement, si vous avez un système présidentiel où le Président est non seulement le chef d’Etat mais aussi le chef du gouvernement, donc c’est lui qui va présider le Conseil des ministres. Là, il pourra « taille palto Bérenger » même si ce dernier est un super ministre au sein du gouvernement. Mais si nous avons un système qui fait de la place pour un Président et un Premier ministre qui dispose de beaucoup de pouvoirs…. « Bérenger pou faire Ramgoolam danse tigre ».

D’une part, je comprends pourquoi les leaders politiques veulent discuter et trouver des formules d’alliance, d’autre part je crois que Bérenger avec sa mentalité d’Iznogoud, va créer une situation où notre pays connaîtra en permanence une situation d’instabilité.

* Là, telle que la situation se présente, le Premier ministre mauricien dispose d’un pouvoir immense. Cela n’a pas empêché Paul Bérenger, dans le passé, de rendre la vie dur au Premier ministre lorsqu’il était au gouvernement avec le PTr. Qu’est-ce qui va changer ?

Je crains qu’il y ait toujours un danger de coup d’Etat qui se fait à l’intérieur d’un gouvernement. S’il y a un Premier ministre et un Président qui ne sont pas sur la même longueur d’onde, où il y a un de ses membres qui veut démolir l’autre, à ce moment il y a l’instabilité qui s’installe. Et cette instabilité peut bloquer tout processus de développement et, finalement, créer une situation où l’un va utiliser les moyens illégaux pour renverser l’autre. Bien que je sois partisan d’un système présidentiel avec un Président qui a le pouvoir exécutif, avec Bérenger dans le gouvernement, je crains fort qu’on aura des problèmes.

* Dans ce cas, il faudrait un Président qui dispose d’une majorité parlementaire confortable ?

Effectivement. Une majorité parlementaire forte. Je pense également que le leader du PTr ne doit pas lâcher pas ses alliés d’aujourd’hui. Il lui faut construire son alliance sur la base de la présente alliance, c’est-à-dire qu’il ne faut pas qu’il se rende vulnérable en perdant des alliés. C’est là que le Premier ministre va marcher sur la corde raide. Peut-être qu’il va réussir mais je crains qu’avec Bérenger, il risque de se trouver dans une situation extrêmement difficile. Mais il y a une chose où il est sûr de gagner : Bérenger n’aura jamais le courage de se présenter comme candidat pour les élections présidentielles. C’est pour cela qu’il veut que le Parlement élise le Président parce qu’un Président élu au suffrage universel, c’est quelque chose que Bérenger ne souhaite pas affronter…


* Published in print edition on 27 July 2012

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