« Nous allons poursuivre l’opération de nettoyage…

Interview: Anil Gayan

… parce que nous avons devant nous un vaste chantier de nettoyage »
« Il n’y a pas eu d’intimidation…  Maurice est un Etat de droit. Toute personne qui se sent lésée peut frapper aux portes de la police ou du judiciaire pour chercher réparation »
« C’est le rôle et la responsabilité d’un gouvernement de prendre les décisions. Ce n’est pas à la presse de dicter ou de prendre ces décisions »

Ces derniers temps, l’opération « nettoyage » et les nominations par le truchement de la classe politique semblent poser un certain nombre de problèmes déontologiques. Pour beaucoup, cette manière de procéder mettent en danger la méritocratie, la démocratie et les institutions. Pour mieux comprendre les perceptions et éclairer nos lecteurs, nous avons invité Anil Gayan, juriste de profession et aussi ministre du gouvernement, à nous donner son avis.

Mauritius Times : Fait rarissime: un ministre du gouvernement qui porte plainte contre le responsable d’une institution de l’Etat, en l’occurrence, le président de l’Equal Opportunities Commission, après qu’il ait été sommé de comparaître devant cette Commission pour s’expliquer sur certaines charges dont il fait l’objet? Fait rare, mais ça n’a pas l’air, en tout cas, d’intimider M. Brian Glover…

Anil Gayan : Loin de vouloir intimider M. Glover, c’est lui qui m’intimide en allant à la presse écrite et parlée et en me condamnant sans m’avoir donné l’occasion de lui dire ce que j’ai à dire. La vérité, c’est que je n’ai reçu qu’une seule lettre de l’Equal Opportunities Commission (EOC) pour que j’aille donner ma version, le vendredi 3 avril, sur un article paru dans le quotidien l’express avant les dernières élections générales, c’est-à-dire en mars 2014. Cela n’a donc aucun lien avec mes fonctions ministérielles.

La nouvelle a été véhiculée, et je l’ai appris à partir d’une journaliste de Radio One que M. Glover aurait initié trois enquêtes, mais je ne suis au courant au moment où je vous parle (ndlr : mardi 31 mars 15) que d’une seule enquête. Je vous signale aussi que jusqu’ici je n’ai rien reçu rien d’autre en termes de communications de la part de l’EOC. Or, quand M. Brian Glover se met à parler à une radio pour dire que, selon lui, il y a “false and malicious denunciation in writing” – il aurait déclaré que si mon article ne relève pas de “false and malicious denunciation”, qu’est-ce qui serait “false and malicious denunciation in writing” ? – j’ai décidé qu’il fallait consigner une plainte contre M. Glover.

Ce n’est pas parce que j’éprouve quelque crainte devant la convocation de l’EOC, mais c’est parce que je trouve scandaleux et inacceptable que celui qui est censé mener une telle enquête semble avoir déjà mené son enquête, et qu’il m’aurait déjà poursuivi et rendu un jugement – tout cela sans avoir écouté mes explications !

Je trouve cela condamnable alors qu’il a fait le serment lors de sa nomination d’être impartial et intègre, et qu’il n’allait pas divulguer les informations concernant les enquêtes menées par l’EOC. Je me suis rendu au CCID afin qu’une enquête soit menée sur la démarche de M. Glover.

* Donc, c’est la marche à suivre dans de telles circonstances, c’est-à-dire loger une plainte auprès de la police pour réclamer que justice soit faite, pas vraiment pour intimider le président de l’EOC, dites-vous ?

Ecoutez, je n’ai aucun problème pour donner des explications à l’EOC. Ce que je trouve inacceptable, c’est que celui qui a été nommé pour présider sur le bon fonctionnement de cette Commission a agi, à mon avis, contre les principes de cette institution. Sa démarche frise une forme de discrimination contre mes intérêts car il s’est permis de me juger avant même qu’il ait pris la peine d’écouter mes explications.

Nous ne devons pas tirer de conclusions hâtives, mais il faut que je souligne que M. Glover n’a pas lui-même caché ses affinités travaillistes, et le précèdent gouvernement l’avait nommé à ce poste sans passer par quelque exercice d’appel de candidature.

* Peut-on dire que c’est principalement la médiatisation de cette affaire qui vous dérange?

Ce n’est pas la médiatisation qui me dérange. Il peut médiatiser autant de choses qu’il le souhaite, mais certainement pas ce qui n’a pas fait l’objet d’enquêtes officielles, sinon tout cela se résumera à un procès d’intention.

D’autre part, je me demande si la Commission a le droit de faire des enquêtes sur des décisions prises par le gouvernement. De toute façon, pour qu’elle puisse initier une enquête, il faut – au préalable – qu’íl y ait une plainte officielle à la Commission. Or, on ne sait pas si tel est effectivement le cas.

* Est-ce également la médiatisation de l’affaire de recrutement — qui frise le “népotisme” selon les commentaires des uns et des autres dans le monde politique et dans les médias — qui vous a surtout offusqué ?

Cette double nomination de Mlle Sumputh est une décision du gouvernement. Je vous signale que Mlle Sumputh est avocate ; elle a agi comme conseiller juridique de la State Bank pendant des années, et elle a aussi exercé les fonctions de directrice de la Tourism Authority dans le passé. Je trouve vraiment offensant que le leader de l’opposition, M. Paul Bérenger, l’attaque en tant que femme et aussi en tant qu’avocate.

Je ne suis pas en train de communaliser le débat, mais ce qui est d’autant plus grave, c’est cette attaque personnalisée et brutale contre une femme hindoue faite à la fois par Paul Bérenger – à la manière des colons vis-à-vis des coolies dans un autre temps — et Shakeel Mohamed…

Ceci est le reflet d’une mentalité rétrograde, et on peut comprendre que ce n’est pas sans raison que Steve Obeegadoo a fini par reconnaître que le MMM est devenu le parti de l’arrogance, imperméable aux critiques et qu’il va droit dans le mur. N’oublions pas aussi les critiques de Kavi Ramano qui s’est plaint de l’absence de la liberté de parole au sein du MMM ; celles de Jean-Claude Barbier concernant l’existence d’une mentalité esclavagiste qui détruit ce parti, ou de Joe Lesjongard qui parle lui d’une mentalité de colons, ou de Lysie Ribot qui s’est plaint de la dictature au sein du parti…

Je le répète : je ne suis pas en train de communaliser le débat, mais qu’on nous donne les raisons pour lesquelles elle a été attaquée.

En ce qui concerne les allégations de népotisme, il semblerait que – dans l’optique du leader du MMM – le fait qu’elle porte le nom de Vijaya Sumputh la disqualifie pour occuper de telles fonctions. En tout cas, ces paroles blessantes de Paul Bérenger à son égard, notamment en se référant à Mlle Sumputh en termes de « Madame-là », seront certainement utiles lors de la prochaine campagne électorale.

On aurait pu comprendre une telle attaque si Mlle Sumputh était trafiquant d’armes ou qu’elle était empêtrée dans de sales affaires de corruption. Je n’ai pas pu comprendre les raisons qui ont motivé cette attaque dégradante, mais tout cela reflète une constante chez le leader du MMM et ses suiveurs dans le parti ou dans une certaine presse : dégrader, salir et traîner dans la boue, et maintenir la pression jusqu’à ce que leur proie craque et abandonne la partie pour qu’ils puissent crier victoire par la suite. Cela étant dit, « we are made of sterner stuff ».

Malheureusement la presse soi-disant indépendante persiste à publier à la manière nazie de Goebbels des mensonges et la répétition verrait ces mensonges prendre une vie à eux et par conséquent deviennent des vérités.

* Toutefois votre réaction par rapport à cette affaire de recrutement — “Government is Government. Government decides…” n’aide pas à consolider le capital de confiance dans le gouvernement et a été diversement commentée dans la presse et sur les réseaux sociaux. Vous en êtes conscient, n’est-ce pas?

Ils sont libres de commenter comme ils veulent, mais il faut bien comprendre que c’est le rôle et la responsabilité d’un gouvernement de prendre les décisions. Ce n’est pas à la presse de dicter ou de prendre ces décisions. Dans toute démocratie qui se respecte, la pratique veut que « the opposition has its say, but government has its way ». Il appartient donc au gouvernement de gouverner ; on ne va pas abdiquer au profit de l’opposition ou de la presse.

La presse qui est libre doit agir avec fair play et ne pas agir comme ayant des agendas politiques non-declarés. Si une presse est honnête et déclare son agenda ouvertement, je n’ai pas de problème. Mais j’ai de gros soucis avec ‘les colourable schemes’.

* Et qu’en est-il de la transparence et de la méritocratie, telles que proclamées et soutenues durant la dernière campagne électorale par l’Alliance Lepep et dans son programme gouvernemental ? Ne porte-t-on pas ainsi atteinte aux principes de méritocratie, de transparence… ?

Absolument pas. On avait prôné plus de transparence dans l’exercice de recrutement au niveau des ‘Service Commissions’ dont le recours à des enregistrements sur vidéo lors des interviews des postulants. Il n’y a pas eu de changement de politique à ce sujet.

Par contre, la loi ne prévoit pas la même procédure en ce qui concerne les postes de direction au niveau des corps para-étatiques, et on n’est pas en train d’aller contre ce que nous avions prôné lors de la campagne électorale. Rien n’a changé pour les corps para-publics. Nous n’avons rien inventé et toutes les nominations faites par le gouvernement de l’Alliance Lepep ont reçu l’aval du Conseil des ministres, ce qui engage donc une responsabilité collective.

Par ailleurs, pourquoi chercherons-nous à jouer sur le terrain de l’opposition qui de toute façon ne va pas nous faire de cadeaux ? D’ailleurs, c’est une opposition hypocrite, malhonnête et qui trahit. N’est-ce pas Paul Bérenger, lui-même qui a fait manger le gâteau à Sir Anerood Jugnauth la dernière fois… pour le trahir le même soir ? Est-ce cette opposition qui va nous faire la leçon aujourd’hui ? N’est-ce pas Alan Ganoo qui a démenti son leader sur les raisons de la cassure du Remake ? Bérenger voulait devenir Premier ministre tout de suite alors qu’avec le Remake, il aurait attendu trois ans.

* C’est Brian Glover qui a évoqué la question d’intimidation suite à votre plainte au CCID contre lui…

Il faut faire bien attention. Je ne suis pas allé au CCID pour faire une déclaration en tant que ministre, par rapport à une décision ministérielle. J’y étais en raison de l’article publié par l’express en mars 2014. De quelle intimidation parle-t-il ?

* La perception d’intimidation que je voulais évoquer…

Non, je récuse cette référence à quelque intimidation. Au contraire, c’est l’institution de Brian Glover qui cherche à m’intimider.

* Laissez-moi vous poser la question : cette pratique d’intimidation semble devenir une habitude chez le gouvernement de l’Alliance Lepep: l’arrestation de l’avoué Pazany Tandrayan à sa descente d’avion et la saisie des documents relatifs au cas de son client — “privileged information” d’un homme de loi; la rencontre entre trois VVIPs et deux responsables du Dufry et des allégations de menaces telles que contenues dans un affidavit juré par ces derniers…

De quelle intimidation parle-t-on ? Allons commencer par le Dr Ramgoolam. Allons-nous mettre son arrestation sur le compte de l’intimidation ? S’il n’avait pas été arrêté, est-ce que nous aurions su quoique ce soit sur la somme d’argent retrouvée dans ses coffres-forts et valises ? Les questions sur la provenance vont sans doute suivre…

Mais, pour revenir à cette propagande à l’effet que le gouvernement serait en train d’utiliser l’intimidation pour garder au pas ses adversaires, on doit se poser la question : est-ce de l’intimidation que de rechercher des explications auprès de Anil Baichoo ou de tout autre responsable politique ou administratif sur l’affaire Betamax ou par rapport aux projets routiers qui ont coûté des sommes faramineuses aux contribuables ? Il faut faire la part des choses quand même…

* Ok, mais en tant qu’homme de loi, vous n’allez quand même pas approuver l’arrestation de l’avoué Pazany Tandrayan à sa descente d’avion et la saisie des documents de son client ?

Mais il n’y a pas eu d’intimidation. D’ailleurs, M. Tandrayan a été en Cour… Maurice est un Etat de droit. Toute personne qui se sent lésée peut frapper aux portes de la police ou du judiciaire pour chercher réparation. Quand je me suis senti lésé par la démarche de M. Brian Glover, j’ai été au Central CID pour faire une déclaration.

* N’empêche que c’est quand même dommage qu’on en soit arrivé là, car M. Tandrayan a été contraint de frapper à la porte de la Cour suprême pour que ses droits et privilèges en tant qu’homme de loi soient respectés ?

Je vous le répète : Maurice est un Etat de droit, et la Cour suprême est là pour rendre justice à toute personne qui se sent lésée. Où est le problème ?

* Cette affaire ne vous a pas choqué alors ?

Non, pas du tout.

* Et que faites-vous de la rencontre entre trois VVIPs et deux responsables du Dufry, et des allégations de menaces ?

Posez-vous la question : pourquoi n’ont-ils pas été à la police ? C’est un Etat de droit, et s’ils se sont sentis lésés ou menacés, ils auraient dû frapper à la porte de la police, non ? Par ailleurs, ils auraient affirmé qu’ils détiennent un enregistrement audio des discussions lors de cette soirée. Mais la question qui se pose : pourquoi n’ont-ils pas annexé cet enregistrement à leur affidavit ?

* Ça viendra en temps et lieu, probablement…

Je maintiens : pourquoi n’ont-ils pas annexé cet enregistrement à leur affidavit le jour même quand ils ont juré cet affidavit ? Pourquoi ont-ils mis dix jours pour jurer cet affidavit ? Et, pourquoi ne reviennent-ils pas à Maurice pour chercher réparation s’ils estiment qu’ils ont été lésés dans leurs droits ?

* L’autre affaire, celle visant à placer le DPP sous le contrôle administratif de l’Attorney General… une grande partie de vos collègues du barreau seraient contre cette démarche…

Mais, cela a toujours été le cas. Quand j’ai rejoint la fonction publique en tant que ‘Crown Counsel’, le Parquet tombait déjà sous le contrôle administratif de l’Attorney General, et cette disposition a été maintenue avant qu’elle ne soit modifiée sous le précédent gouvernement.

Par contre, il faut aussi savoir que ses pouvoirs tombant sous la section 72 de la Constitution ont été maintenus. Ce qui fait, par exemple, que le 12 décembre dernier, c’est-à-dire le lendemain de la proclamation des résultats des élections générales et avant même que le gouvernement ne soit formé, le DPP a décidé de ne pas poursuivre l’affaire par rapport au trafic d’armes : ‘No Further Action’ a-t-il apposé dans le dossier. C’est son pouvoir.

* Le ministre Gayan défend aujourd’hui les mêmes positions et principes que l’homme de loi ou même que celui qui faisait connaître ses opinions dans une rubrique du journal l’express, il n’y a pas si longtemps ?

Il n’y a aucune distinction. Je reste la même personne et je défends les mêmes principes, et avec les mêmes arguments.

Permettez-moi de revenir sur la question de méritocratie. Supposons que le poste de directeur-général de la MBC soit vacant, et que l’ancien directeur , M Dan Callikan, qui connaît bien le dossier de la MBC pour avoir dirigé l’institution postule parmi tant d’autres candidats et soit le premier de la liste de ceux éligibles : le gouvernement est-il tenu de le recruter ?

* Dans une telle situation, vous allez probablement décider autrement ?

«La reponse est evidente.

* Comment cela se passe-t-il au niveau du gouvernement ? La fin de l’opération “nettoyage” n’est pas pour sitôt, semble-t-il? On fera appel au Karcher, si besoin est, nous disait durant le week-end dernier le Premier ministre…

Laissez-moi d’abord vous parler de la sérénité qui prévaut au sein du gouvernement. Je peux vous dire que cela se passe très bien ; il n’y a aucun problème.

* On a l’impression que chacun évolue dans son coin et les leaders des partenaires du MSM gardent le silence…

Le Conseil des ministres se réunit tous les vendredis, et on évolue comme une équipe sous le leadership de Sir Anerood Jugnauth.

En ce qui concerne l’opération “nettoyage”, vous avez raison. Nous allons poursuivre avec cela parce que nous avons devant nous un vaste chantier de nettoyage. D’ailleurs, n’est-ce pas Paul Bérenger lui-même qui disait que Maurice avait été transformée en un pays de la pourriture… « Ena bézé-la ! » s’était-il exclamé.

C’est ce qu’on est en train de faire – le nettoyage, mais encore faut-il qu’on ait des gens occupant des postes à responsabilité qui nous inspirent 100% confiance. On va certainement mettre de l’ordre et les résultats ne vont pas tarder…

* On n’a jamais eu un parti aussi dominant, électoralement parlant, c’est-à-dire le MSM — dans un gouvernement. C’est bon pour la santé et la stabilité de cette alliance gouvernementale?

C’est une équipe qui travaille avec l’esprit d’équipe.

* L’après Jugnauth — on n’en songe pas pour le moment?

Nous avons cinq ans devant nous… On verra. Jugez-nous sur une période de cinq ans.

 

 

* Published in print edition on 3 April  2015

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