“L’alliance Ptr-MMM est en train de dénaturer ‘the democratic nature of Mauritius’ »

Interview: Anil Gayan

“La loi sur la 2e République ne sera jamais votée parce que Ramgoolam va rester comme Premier ministre »

Un certain nombre de questions préoccupe beaucoup de Mauriciens depuis que les deux leaders ont décidé de contracter une alliance PTr-MMM. Est-ce que cette nouvelle configuration politique aura une incidence sur la démocratie, la bonne gouvernance et le fonctionnement de nos institutions ? De quelle manière la population pourra-t-elle se défendre contre toute forme d’abus de pouvoir ? Notre invité, Anil Gayan, apporte quelques éclaircissements.

Mauritius Times : On dit que le pouvoir s’exerce, cela ne se partage pas. Or, il semble que Navin Ramgoolam ait choisi de le partager avec Paul Bérenger. Existe-t-il des conditions objectives qui expliqueraient la raison de ce choix ?

Anil Gayan : Je crois que c’est un partage fait uniquement pour les besoins personnels du Premier ministre et de l’ancien leader de l’opposition. Il n’y a pas de justification objective pour ce qui se fait, car c’est totalement contre la déontologie politique et le respect des institutions. C’est donc condamnable pour toutes ces raisons.

* Quelle opinion faites-vous des propositions envisagées et qui ont été rendues publiques jusqu’ici ? Dans l’ensemble, pensez-vous qu’elles sont positives ou avez-vous des appréhensions ?

Je ne comprends pas pourquoi, selon les propositions faites et annoncées, le mandat du Premier ministre va durer cinq ans alors que celui du Président le sera pour sept ans. Pourquoi donc cette disparité ? Existe-t-il une logique pour expliquer cette disparité ?

On dit que Maurice est un pays moderne. Or, que voit-on de par le monde mais surtout dans les pays vraiment modernes ? Ce sont des initiatives en vue de réduire la durée du mandat des Présidents. En France, on a bougé du septennat au quinquennat. Même chose au Sénégal. A Maurice, on se vante de notre ‘modernité’, et on vient de l’avant avec cette proposition dépassée.

Mais ce n’est pas tout. L’autre problème qui se pose, c’est qu’on va se retrouver avec un Président qui aura des pouvoirs mais qui ne sera pas « accountable » ! Cela, à mon avis, pose un gros problème. Nous aurons un Président avec des pouvoirs importants, qui va s’asseoir au Réduit, qui pourra présider les réunions du Conseil des ministres, qui pourra nommer plusieurs hautes personnalités dans les institutions, qui s’occupera des Affaires intérieures et de notre politique étrangère, des Finances, etc., et qui n’aura pas à répondre à l’Assemblée nationale.

Est-ce que c’est cela, la démocratie, la modernité ? Est-ce ainsi qu’on va consolider la démocratie ? J’affirme que les propositions du tandem Ramgoolam-Bérenger représentent un grand danger et sont précurseurs de la naissance d’une dictature à Maurice.

* Comment ça?

La démocratie est synonyme de « accountability ». Au-delà de la disparité par rapport à la durée des mandats respectifs du Président et du Premier ministre, ce qui est tout à fait illogique, c’est l’existence d’un Président avec des pouvoirs accrus et qui n’est pas redevable à qui que ce soit qui n’est pas acceptable.

On a vu comment ils ont traité les journalistes lors de leur conférence de presse, samedi dernier, ce qui nous aide à comprendre pourquoi les gens ont peur. Ils ont peur, et c’est avec raison, parce que c’est la dictature qui s’installe dans la vie des Mauriciens.

Les journalistes sont devenus, selon Bérenger, des mercenaires ! Si on fait peur aux journalistes, comment est-ce que le Mauricien moyen va réagir ? Tous les Mauriciens qui réfléchissent ont l’obligation de combattre cette dictature qui est en train de s’infiltrer dans le pays.

* L’instauration d’une dictature ‘in this day and age’, est-ce réellement possible avec la montée en puissance des différents réseaux sociaux, le social media et les agences des surveillance internationales de par le monde?

Mais pourquoi pas ? On n’a qu’à voir ce qui se passe en Turquie : le Premier ministre qui s’est présenté pour être Président consolide ses pouvoirs et met tout le monde au pied du mur ; la même chose se passe au Moyen Orient…

Non, ce n’est pas impossible : le peuple a peur et devient mouton. Personne n’a le courage de s’exprimer publiquement, c’est cela la dictature, pas nécessairement d’une façon légale mais plutôt sinistre.

* Le peuple a-t-il vraiment peur ou devient-il de plus en plus opportuniste ? Ce qui explique d’ailleurs la raison pour laquelle des formations, comme la vôtre, n’arrivent pas à avoir un grand impact…

C’est probablement l’une des raisons, mais la raison principale c’est parce que les gens ont peur d’aller contre les forces en présence. Pour que leurs enfants aient un emploi ou une bourse, il faut qu’ils soient dans les « good books » de l’Etat. Ce qui fait que la méritocratie fout le camp ; c’est tout simplement le « lèche-bottisme », encouragé par le pouvoir, qui se pratique.

D’ailleurs, n’est-ce pas le Premier ministre lui-même qui a déclaré à Kewal Nagar que son rôle en tant que Premier ministre, c’est de protéger et d’agir dans l’intérêt de ceux qui ont voté pour le PTr ? Il n’est donc pas le Premier ministre de toute l’île Maurice, mais de ceux qui ont voté pour le PTr. C’est ce qu’il a dit et il ne l’a jamais démenti. Est-ce cela la démocratie ? N’a-t-il pas prêté serment pour être le Premier ministre de tous les Mauriciens ?

* Cette nouvelle alliance PTr-MMM a l’intention d’apporter des amendements à notre Constitution afin de mettre en place une nouvelle ‘governance structure’ ? Qu’est-ce que cela va produire à la fin de la journée : une nouvelle Constitution, une Deuxième République ou allons-nous nous retrouver tout simplement avec la même Constitution qui aura, dès lors, subi un certain nombre d’amendements ?

Ce sera un panier de crabes. Si cela se concrétise, on aura un Président à Réduit qui sera totalement « unaccountable », un Premier ministre qui gère les affaires courantes du pays et deux comités de prévention de conflits impliquant les dinosaures des deux partis… c’est rigolo…

Soit on a un système de gouvernance basée sur le “rule of law”, ou on va se retrouver avec le “rule of men and the rule of committees” ! Ce qui n’est même pas un semblant de gouvernance. On est en train de tromper le peuple.

D’ailleurs, vous savez ce que Bérenger avait dit par rapport à Dan Callikan, et voilà que le Dr Ramgoolam fait avaler un gros boa à Bérenger en renouvelant le contrat de Dan Callikan à la MBC pour trois ans alors, qu’au même moment, celui de Ashok Kumar Bakshi à la Tertiary Education Commission est renouvelé sur une base mensuelle.

Si Ramgoolam était sincère dans cette alliance avec Bérenger, il aurait pu renouveler le contrat de Callikan pour deux ou trois mois jusqu’à la tenue des prochaines élections. L’instabilité est déjà présente, et Bérenger aura à avaler tout ce que Ramgoolam va cracher.

* Mais Paul Bérenger aurait déjà fait comprendre que Dan Callikan va partir aussitôt le nouveau gouvernement installé ?

Est-ce que Ramgoolam a approuvé ce que Bérenger a déclaré par rapport à Dan Callikan ? Pourquoi est-ce que cela n’a pas été discuté ?

* Pour que Ramgoolam puisse faire avaler tous les boas du monde á Bérenger, cela dépendra du rapport de forces qui va émerger après les élections générales, n’est-ce pas ?

Ces temps-ci, Bérenger est tellement amoureux qu’il semble perdre les pédales. Voyez vous-même : à chaque fois qu’il a souhaité prendre la parole lors de leur dernière conférence de presse, il a demandé la permission à Navin Ramgoolam alors que c’est ce même Paul Bérenger qui arrachait les micros aux temps de Sir Anerood Jugnauth.

* En politique, M. Gayan, on ne tombe pas amoureux, c’est plus une question d’intérêts …

Mais l’intérêt de Bérenger, c’est de devenir le vassal soumis de Ramgoolam ! Pour un leader historique qui devait entrer dans l’Histoire avec tous les honneurs, c’est incroyable…

* Vous voulez dire que Ramgoolam aura la haute main dans toutes les décisions majeures ?

Prenons un scénario : les élections arrivent. S’il y a 60-0, pas de problème, mais disons qu’il n’y a pas de 60-0, et le PTr remporte plus de sièges que le MMM. Ils amendent la Constitution, Ramgoolam va au Réduit. Ce dernier, en tant que Président de la République, déclare qu’il va demander au PTr de former le prochain gouvernement vu que ce parti contrôle la majorité au sein de l’Assemblée nationale, comme le prévoit la Constitution. Où est Bérenger dans tout cela ? S’appuiera-t-il sur son accord écrit avec Ramgoolam ? « It’s not even worth the paper on which it is written… » C’est la Constitution qui va primer.

* Mais l’inverse de ce scénario pourrait également se produire ? C’est-à-dire que le MMM exerce une majorité parlementaire et décide de former le gouvernement…

Si tel est le cas, le Président Purryag aura à demander à Bérenger de former le gouvernement et non pas à Ramgoolam. Kailash Purryag sera tenu de le faire selon la Constitution. Mais Paul Bérenger est soumis, il pourra demander à Ramgoolam, même dans une telle éventualité, de former le gouvernement comme il avait laissé le poste de Leader de l’Opposition à Ramgoolam dans le passé.

Je vous le répète : en ce qui concerne le rapport de Bérenger avec Ramgoolam, c’est la soumission totale, l’amour aveugle quoi…

* Si les deux partis obtiennent font force égale, que se passera-t-il ?

Quel que soit le scénario, il y aura l’instabilité. Supposons que Ramgoolam est au Réduit et Bérenger est à l’Hôtel du gouvernement. Le Président a le droit de révoquer le Premier ministre : Ramgoolam révoque Bérenger.

Quel est le recours de ce dernier ? Il n’a aucun recours… même pas ce papier qu’ils ont signé au Hennessy Park parce que le pouvoir de dissolution de l’Assemblée ou de révocation des ministres revient au Président. Il sera un Premier ministre pantin, une marionnette. En ce qui concerne les consultations par rapport à la nomination des hauts officiels, on va vers une paralysie des institutions. Si le Président porte son choix sur le candidat X et le Premier ministre sur le candidat Y : alors que va faire l’institution?

* Elle va pencher en faveur de celui qui contrôle la majorité ?

Il se pourrait bien que l’institution décide de pencher en faveur de celui qui est hiérarchiquement plus fort – c’est-à-dire le Président. On ne parle pas là de « acting on the advice of the Prime Minister » mais plutôt de « acting after consultations with the Prime Minister ». « Consultations means nothing ».

Il y a eu dans l’Histoire de Maurice des précédents où le Premier ministre a consulté le Président sur papier en envoyant une note à ce dernier. Il y a eu des années durant lesquelles Ramgoolam n’a pas rencontré Sir Anerood Jugnauth lorsque ce dernier occupait les fonctions de Président de la République. De quelle consultation parle-t-on ?

* Sir Anerood Jugnauth a aussi nommé des gens sans l’accord du Premier ministre ?

Non, lorsque la Constitution prévoit qu’il doit agir avec l’accord du Premier ministre, il faut qu’il ait son accord. Mais si c’est fait sur la base des « consultations », il n’est pas tenu de prendre en considération l’avis du Premier ministre.

* D’un point de vue très objectif, pensez-vous que le partage de pouvoirs tel qu’envisagé par Ramgoolam et Bérenger pourra marcher ?

Allons prendre un cas: “The Financial Secretary…and any supervising officer shall be appointed by the PSC after consultation with the President and the Prime minister.”

Le PSC consulte le Président, ce dernier dit qu’on peut nommer A, le Premier ministre est d’un avis contraire. Que se passera-t-il ? Ne fallait-il pas accorder le pouvoir à la PSC de décider sur la base de la méritocratie ? Pourquoi faut-il permettre cette intervention des hommes politiques ? « Instead of having the rule of law, we are having the rule of men ! »

* Bouger d’un système westminstérien vers un système semi-présidentiel pose-t-il un problème, M. Gayan ?

Le problème, ce n’est pas le système semi-présidentiel ou westminstérien ; le problème c’est la politisation à l’excès des institutions de notre pays. On a une Equal Opportunity Commission présidée par M. Brian Glover, et qui a été nommé sans même un appel de candidatures. Mais où est l’ « equal opportunity » dans tout cela ? « Even in the case of the Equal Opportunity Commission, there has been lack of opportunity ». Et on apprend que cette personne sera candidat travailliste à Quatre Bornes. De quelle bonne gouvernance parle-t-on alors ?

« Equal opportunity must mean equal opportunity. You cannot have equal opportunity when it’s the Prime Minister who decides who is going to be the head of the Equal Opportunity Commission », et cela sans un appel de candidatures…

* Certaines démocraties ont mis en place des commissions des lois constitutionnelles constituées d’experts en la matière avant de procéder avec des changements majeurs à leurs structures de gouvernance. Pensez-vous qu’il fallait impérativement passer par cela avant de modifier notre Constitution ?

En Grande Bretagne, il y a eu le referendum en Ecosse. Les Conservateurs de même que les Travaillistes et le parti Libéral ont dit qu’il faut donner plus de pouvoirs à l’Ecosse. Ed Miliband a soutenu la dévolution du pouvoir mais il faut avant tout qu’on ait une convention constitutionnelle pour écouter l’avis du peuple.

Ici, deux personnes s’assoient à Clarisse House, décident du partage des pouvoirs, d’un système électoral et disent qu’ils vont présenter cela à l’électorat et l’implémenter sans passer par un référendum. Tout cela est anti-constitutionnel.

* Lorsque vous faites mention de l’anti-constitutionnalité de cette démarche, vous voulez dire qu’elle pourrait faire l’objet de contestation ?

Contestations juridiques naturellement… tout à fait. Parce que la Section 57 de la Constitution est claire là-dessus. Quelle que soit la décision de la Cour suprême, il y a aussi le Privy Council auquel on pourrait avoir recours.

* Qu’en est-il si l’alliance PTr-MMM obtient un vote massif lors des prochaines élections générales en faveur de leur programme gouvernemental incluant les propositions constitutionnelles qui seront connues et débattues publiquement avant la tenue des législatives ? Un vote massif en faveur de ces propositions fera fonction de référendum ?

Non. Un référendum, c’est sur un sujet précis où on demande de voter « oui » ou « non ». Une élection générale, ce n’est pas la même chose. Au cas contraire, on n’aurait pas besoin d’un référendum.

Le référendum, c’est un mode de scrutin spécial qu’on utilise pour décider du destin d’un pays dépendant de la gravité du choix qu’on demande à l’électorat de faire. Là, nous avons deux personnes qui pensent pouvoir contourner la Constitution… ils pensent qu’ils vont réussir, mais je crois que « they are in for a big shock ».

* Et si Ramgoolam et Bérenger choisissent de faire voter pour des pouvoirs additionnels à l’actuel Président de la République en attendant que Ramgoolam ‘steps in’ comme Président après les élections ? Comment réagissez-vous à cela ?

Cela dépend de la manière dont ils vont le faire mais il me semble que pour l’étendue des pouvoirs qu’ils souhaitent accorder au Président, il faut passer par le biais d’un référendum.

Un Président est nommé pour 5 ans, selon la section 28 de notre Constitution. Or, ils sont en train de dénaturer la Constitution parce que si on accorde un mandat de 7 ans au Président, cela va affecter le système électoral. Il faut, à mon avis, passer par un référendum. « Democracy means accountability, and we are here going to have a President who is unaccountable during his term of office… », ce qui vient dénaturer « the democratic nature of Mauritius » alors que la section 1 de la Constitution parle du « democratic sovereign state ».

* Mais à partir de quel moment viendront les contestations légales ?

Une fois que la loi est votée. Mais, moi, je crois que la loi ne sera jamais votée parce que Ramgoolam va rester comme Premier ministre. Il ne va pas permettre á Bérenger de devenir Premier ministre parce qu’il avait dit que pouvoir pe sappe dans nou lamain en parlant de Bérenger quand il s’était présenté comme candidat pour le poste de Premier ministre en 2005. C’est Ramgoolam qui avait dit cela. Et s’il le fait, il va être condamné par la population.

Il joue avec Bérenger comme on peut jouer avec un bébé.

* Combien de temps allons-nous prendre pour construire cette nouvelle République et nous occuper de ce partage de pouvoir? On parlerait de as soon as possible…

Pour faire le mini-amendement, on a pris trois mois ; pour faire un texte de loi de plusieurs milliers de mots, cela va prendre sûrement plusieurs années.


* Published in print edition on 26 September 2014

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