L’IMPASSE

Réforme électorale

By D.E.V.

L’étude que nous avons présentée dans les colonnes de Mauritius Times du 20 janvier dernier liste les déficiences et dysfonctionnements de notre système électoral sur le plan de la justice et de la stabilité. Sur l’équité sont répertoriés trois principaux déséquilibres :

  1. la disparité partisane: l’écart important entre les suffrages recueillis d’un parti et le nombre de sièges obtenus ;
  2. la disparité au niveau des circonscriptions: des circonscriptions représentant une population soit largement inférieure en nombre à la moyenne soit supérieure, et
  3. la sous-représentation féminine. Nous avons également abordé la problématique du dispositif de représentation de la diversité ethnique.

Nous avons examiné attentivement, -à l’appui des simulations à partir des élections de 1967 à 2010, des deux principaux rapports sur la réforme électorale : le rapport Collendavelloo-Sachs (Modèle C) et la proposition du Professeur Carcassonne. Ces rapports ont le mérite de fournir une réponse satisfaisante aux questions relatives à la disparité partisane et à la sous-représentation féminine. Le modèle Carcassonne présente cependant deux avantages par rapport au modèle Sachs : (1) le nombre de députés n’augmente pas, et (2) le système de représentation proportionnelle (RP) intégrale facilite l’élaboration d’une carte électorale plus juste.

Pour autant, les solutions préconisées par ces deux rapports par une représentation plus juste nous ont paru constituer un risque certain à la stabilité gouvernementale, plus évident avec le modèle Carcassonne, car débouchant sur un écart trop fragile entre majorité et minorité parlementaires. Nous avons fait remarquer que l’application de l’un ou l’autre modèle aurait entraîné, par exemple, la chute du gouvernement Ramgoolam en 2011 lorsqu’une dizaine de députés avaient quitté la majorité. (voir Tableau comparatif).

A la place d’une représentation proportionnelle intégrale (Carcassonne) ou une dose de RP accolée au First Past The Post (FPTP) actuel pour réduire la disparité partisane (écart votes-suffrages obtenus par un parti) et résoudre le problème de la sous-représentation féminine, nous avons préconisé – pour notre part – de transformer le FPTP plurinominal actuel en un FPTP de liste bloquée (sans possibilité de panachage) avec l’obligation d’aligner au moins une candidate. Nous avons également proposé l’instauration d’un « variable corrective » partisan, inspiré d’une proposition de Banwell de 1966: des sièges correctifs, ne dépassant pas 25% de la totalité des sièges FPTP au Parlement, attribués à un parti obtenant au moins 10% des suffrages pour compenser raisonnablement le manque à gagner.

Il est vrai que ce dispositif vise les cas extrêmes de 1982, 1991, 1995 et 2000. Nous estimons que l’écart majorité-minorité parlementaire issu des élections de 1967, 1983, 1987, 2005 et 2010 s’inscrit dans la logique du mode FPTP dont l’objectif premier, notamment pour un petit pays, de surcroît complexe comme le nôtre, est d’assurer une solide stabilité gouvernementale.

La stabilité gouvernementale protégée

Le souci de stabilité gouvernementale se dégage de toute évidence dans le rapport de Rama Sithanen qui reprend le rapport Collendavelloo (le modèle C de Sachs) et le corrige. La proposition initiale de Sachs conservait le FPTP actuel de 62 députés, rajoutait 30 députés élus à la RP, selon un mode de calcul compensatoire pour les partis lésés par le FPTP. Le MMM, qui avait repris le modèle C de Sachs dans le rapport Collendavelloo, a tenu à conserver le BLS et a ramené le nombre d’élus RP à 20, ce qui n’est pas surprenant puisqu’après l’allocation du 20ème siège, selon nos simulations, la compensation n’a plus de raison d’être.

La correction apportée par Rama Sithanen touche le mode de calcul pour la désignation des 20 élus RP. Le calcul est assis sur les « wasted votes », plus simple à opérer que le mode du rapport Collendavelloo. Plus significative est la réduction de la compensation accordée aux partis minoritaires désavantagés par le FPTP, à condition que ces partis recueillent 10% des suffrages ou 5% s’ils ont 3 députés FPTP. Au final, la formule ramène la compensation à un niveau favorisant la stabilité, même si au demeurant nous considérons cela comme insuffisant pour assurer une solide stabilité gouvernementale (voir Tableau comparatif) au regard, par exemple, des événements politiques de 2011.

La représentation de la diversité ethnique dans l’impasse

Précisons d’abord que la définition du terme « ethnie » a évolué de sorte qu’elle englobe aujourd’hui, au sens large du terme, l’appartenance religieuse. La représentation ethnique est un sujet sensible et pas seulement à Maurice. Certes, ici, elle revêt un caractère plus délicat et plus compliqué. C’est une question émotionnellement et historiquement chargée, ancrée dans la mémoire collective de ceux les plus directement concernés. L’étude que nous avons menée sur le rapport des Mauriciens avec la politique révèle une part très importante de l’émotionnel et de l’irrationnel dans leur comportement si bien qu’il y a une tendance à tout mélanger et dramatiser, d’un côté comme de l’autre. Aussi toute démonstration rationnelle, aussi brillante et pédagogique soit-elle, devient un exercice périlleux.

Il convient de souligner que la majorité des mauriciens sont favorables à la représentation ethnique, y compris certains groupes classés à l’extrême-gauche. Le leadership MMM a confirmé son attachement à la représentation ethnique et son mécanisme actuel : le Best loser system (BLS). Un dispositif qui est contesté notamment par sa constitutionnalisation dans les moindres détails figeant ainsi le système. Le leadership du PTr tout en reconnaissant la nécessité d’une juste représentation de la diversité ethnique ne s’est pas encore prononcé sur l’outil approprié.

Les professeurs Sachs et Carcassonne n’ont pas non plus préconisé la suppression de tout mode de représentation ethnique. Sur la question du BLS qu’ils trouvent imparfait ou « curieux » pour reprendre l’expression du Professeur Carcassonne, ils ont exprimé leur préférence pour son absorption par la dose RP (Sachs) ou la RP intégrale (Carcassonne), laissant le soin aux partis de régler le problème lors de la composition de leur liste PR.

Rama Sithanen se place dans la même démarche. Il insiste sur son attachement à la représentation ethnique et précise qu’il entend conserver « l’objectif du BLS ». Cela consiste en une représentation adéquate par le biais de la dose de PR annexée au FPTP actuel, lequel mode comporte déjà un mécanisme « officieux » et implicite que les partis mettent en œuvre pour assurer une représentation de la diversité plus ou moins équitable. Il convient de souligner que l’évolution du comportement électoral que nous avons observé et décrit dans ces mêmes colonnes, notamment avec le déclin de ce que l’on qualifie de « fixed deposits » , tend à renforcer la vocation nationale des principaux partis politiques.

Au fond, le mécanisme d’absorption du BLS par la dose de RP est un transfert de responsabilité de la Constitution à la discrétion des partis politiques. Ce qui suscite bien des doutes et d’inquiétudes dans les milieux concernés, la minorité musulmane en particulier pour des raisons historiques. On y décèle une méfiance certaine vis-à-vis de la classe politique.

La quasi-unanimité des points de vues exprimés sur le sujet par les ‘opinion leaders’ de cette communauté, tous bords confondus, est très révélatrice. Cette indépendance se traduit par le rejet de tout ce qui est perçu comme une atteinte à un « droit acquis », qui plus est au niveau constitutionnel.

Il faut dire que les minorités – même chez les hindous — ont été victimes d’un procédé électoral répréhensible : le panachage sectaire (coupé tranché) qui a fait plus de mal que le BLS en soi. Dans certaines circonscriptions, on n’aligne plus certains « profils » par crainte du panachage « communaliste » ou l’inverse pour en profiter. Nous avons donné moult exemples dans notre étude du 20 janvier.

Il faut aussi dire que nous nous attendions à ce sentiment de rejet, de nature à plomber toute réforme bien intentionnée. C’est la raison pour laquelle nous avons proposé un FPTP de liste bloquée –– l’électeur vote une liste et non les personnes. Ce mode de liste bloquée a le mérite d’éliminer le panachage sectaire et de favoriser une composition de liste plus ouverte et plus juste à la fois. Nous avons également proposé comme garantie légale de préserver le BLS sous une forme variable à utiliser s’il y a lieu après la désignation des élus FPTP.

Rama Sithanen a soulevé quatre problèmes liés d’une manière ou une autre au système actuel de représentation ethnique.

  • Le recensement de 1972 sert encore (en 2012) de base de désignation des parlementaires. L’absorption du BLS n’évacue pas pour autant ce problème. Car si l’objectif du BLS, comme l’a précisé Rama Sithanen, est maintenu à travers un autre dispositif de représentation ethnique (la composition des listes FPTP et RP et le découpage des circonscriptions), la question de transparence impliquant une base de référence se posera. Nous pensons qu’il faut aller au bout de la logique de la représentation ethnique, et effectuer une mise à jour du recensement qu’il importe bien entendu de revoir et d’adapter à l’évolution de notre société. 
  • La disparité flagrante de représentation au niveau des circonscriptions n’a pas échappé à Rama Sithanen. Mais ce qui est pour le moins surprenant, c’est qu’il la justifie au nom de la représentation ethnique et propose même de l’assimiler à un mécanisme supplémentaire pour « subsume » le BLS. Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit bel et bien d’un « gerrymandering » de fait, de surcroît contraire à la Constitution qui n’autorise en aucun cas le redécoupage selon le critère de l’ethnicité. D’ailleurs, l’Electoral Boundary Commission ne se prive pas de souligner régulièrement ce manquement dans ses rapports. Si cette suggestion est acceptée, une modification de la Constitution incluant le critère ethnique pour l’élaboration de la carte électorale s’impose.
  • L’obligation pour un candidat de déclarer son appartenance ethnique, est en effet le point le plus contestable du BLS. Ce qui est particulièrement gênant dans le modèle actuel, c’est la constitutionnalisation de tous les détails concernant les modalités d’application du BLS. En règle générale, une Constitution définit les grandes lignes d’une mesure et renvoie à la loi les modalités d’application, ce qui a pour intérêt d’adapter les modalités d’application à des contextes nouveaux.
    En tout état de cause l’obligation pour un candidat de déclarer son appartenance ethnique n’est pas acceptable, aujourd’hui comme hier, car contraire au principe fondamental de liberté individuelle. Principe qui dans la hiérarchie des normes juridiques est supérieure à une disposition inscrite dans une annexe de la Constitution.
    Cela dit, une modification de la Constitution pour extirper cette obligation est nécessaire. Le cas échéant, il va de soi que le candidat concerné ne peut être éligible au BLS. La responsabilité sera entre lui et son parti.
  • La fausse déclaration alléguée d’appartenance ethnique a également été évoquée par Rama Sithanen. Il s’agit de la controverse sur la déclaration de Sik Yuen. En l’espèce il était reproché à Sik Yuen d’avoir fait une fausse déclaration quant à son appartenance « communautaire ». Cependant il convient de rappeler que la Constitution a prévu ce cas de figure dans le First Schedule. Elle permet à un électeur de saisir la Cour suprême de toute question relative à l’exactitude de la déclaration d’un candidat. S’agissant d’une contestation portant sur l’appartenance ethnique déclarée par un candidat, la Cour suprême statuera après avoir examiné son « way of life ». Il existe bel et bien un recours. La publicité des déclarations mérite certainement d’être améliorée.

An final, les problèmes de recensement et de disparité de taille des circonscriptions subsisteront quel que soit le système de représentation ethnique en place — BLS ou autre dispositif maintenant l’objectif du BLS.

La représentation féminine laissée aux partis

Afin d’assurer une meilleure représentation des femmes au Parlement plus conforme à leur poids électoral, Rama Sithanen propose deux mécanismes spécifiques : (1) un nombre de places éligibles d’au moins 1/3 sur la liste RP, et (2) obligation d’aligner dans le FPTP actuel au moins une femme dans chaque circonscription.

Sur le dispositif relevant de la dose de RP, nous aurions préféré la parité, à savoir l’obligation d’alternance des deux sexes lors de la composition des listes.

S’agissant de l’obligation d’aligner au moins une femme par circonscription, Rama Sithanen en laisse la responsabilité aux partis. Nous aurions choisi plutôt une disposition légale en ce sens, ce qui présente une garantie claire. Et mieux : nous proposons de rendre obligatoire le vote d’au moins une candidate par circonscription.

En définitive, la proposition de Rama Sithanen, inspirée du modèle C de Sachs, règle de manière satisfaisante le problème de disparité suffrages-sièges obtenus par un parti. Par sa formule de désignation des 20 élus de la dose RP, afin de ne pas porter une sérieuse atteinte à la stabilité, il ramène la compensation accordée aux partis lésés par le FPTP à un niveau plus raisonnable que la proposition Collendavelloo-Sachs. Même si nous estimons cet effort insuffisant pour une solide stabilité gouvernementale — type 2005-2010 — que nous privilégions, compte tenu des réalités du pays.

Sur la représentation féminine la proposition de Rama Sithanen est intéressante même si, à notre avis, il ne va pas assez loin en termes de garantie.

En revanche, en ce qui concerne la représentation ethnique, sujet extrêmement délicat, Rama Sithanen malgré une brillante démonstration ne s’est pas montré particulièrement convaincant quant à la mise en œuvre de son nouveau dispositif qui sauvegarde, comme il l’a précisé, « l’objectif du BLS », notamment sur la maîtrise du procédé par la seule classe politique et le recours au « gerrymandering » , au demeurant, illégal des circonscriptions.

Cela étant, nous réitérons notre demande du 20 janvier dernier pour la mise en chantier, tout de suite, de trois mesures :

  1. La suppression de l’obligation pour un candidat de déclarer son appartenance ethnique.
  2. Une loi pour combattre le transfugisme.
  3. L’obligation légale pour un électeur de voter au moins une candidate dans chaque circonscription.

D.E.V.

* * *

L’Assemblée régionale de Rodrigues et la représentation proportionnelle

Rodrigues comporte six régions élisant chacune deux représentants selon le mode de scrutin majoritaire (FPTP). Une dose de RP de six élus s’ajoute au FPTP destinée à compenser le parti défait.

En l’espèce, aux élections de 2002, l’OPR avait obtenu du FPTP 8 sièges contre 4 au MR. Alors que dans l’ensemble du territoire l’OPR avait recueilli 55,8% des suffrages et le MR 44,2 %. En guise de compensation le MR, désavantagé par le FPTP, a bénéficié à travers la RP 4 sièges supplémentaires et l’OPR 2 sièges.

Au final, l’OPR détenait 10 sièges à l’Assemblée contre 8 au MR.

En 2006, un « crossing of the floor » de 2 élus OPR a fait basculer le pouvoir de l’OPR au MR, entraînant Rodrigues dans une instabilité qui perdure avec des crises successives.

* * *

Commission Banwell (1966)
Ses principales propositions

  1. FPTP : 20 circonscriptions élisant 3 députés plus 1 circonscription (Rodrigues) de 2 députés.
  2. Un « constant corrective » de 5 députés – best losers — désignés en guise de compensation des communautés sous-représentées après désignation des élus FPTP, sous réserve qu’ils appartiennent à un parti recueillant un minimum de 10% des suffrages.
  3. Un « variable corrective » ne dépassant pas 25% de la totalité des parlementaires destiné à compenser les partis qui recueillent au moins 25% des suffrages.

Le FPTP a été acceptée par la majorité au Conseil législatif de l’époque, mais le « variable corrective » de compensation a été vivement contestée par le Parti travailliste soutenu par ses alliés – le CAM et l’IFB. La compensation du rapport Banwell était pourtant moins large que ce qui est aujourd’hui proposée par Sachs, Collendavelloo ou Sithanen. Banwell précisait que cela impliquerait dans la pratique peu de sièges supplémentaires. En effet, les résultats de 1967 à 2010 démontrent que ce « variable corrective » n’aurait joué qu’en 1982, 1991 et 2000. Soit les seules élections où le parti défait avait recueilli plus de 25% des suffrages et moins de 25% de sièges.

Mais pour comprendre la réaction de rejet du Parti travailliste, il faut se mettre dans le contexte de l’époque. C’était beaucoup plus une question de principe. En effet le Parti travailliste de Rozemont, Seeneevassen, Ramgoolam père, avait mené un combat épique contre toute forme de Représentation Proportionnelle, ce « diabolical system », un « rape of democracy » (sic).

Cette proposition de « variable corrective » avait ainsi été contestée. Le BLS de Banwell avait été modifié par la suite en nombre et en modalités de mise en œuvre et le seuil d’éligibilité pour un parti prétendant bénéficier du BLS avait été supprimé.


* Published in print edition on 3 February 2012

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