Travailleurs engagés indiens et nutrition à l’île Maurice (1834-1900)

A la fin du 18e siècle, selon D’Unienville, la population est composée de trois groupes principaux à l’île Maurice : 6,237 blancs, 3,703 libres et 49,080 esclaves. Ces derniers forment 83% de la population servile pour 59,020 habitants. Mahé de La Bourdonnais apporte plusieurs développements dans l’île, notamment le chantier naval à Port Louis qui facilite les activités portuaires et commerciales. Il construit un moulin à blé et des aqueducs pour l’eau potable. Quant à l’alimentation, les esclaves cultivent la terre, plantant du maïs, de la canne à sucre et du café, de l’orge, des grains et du manioc. Certains esclaves ont des terres pour planter des légumes et ils élèvent du bétail, notamment des chèvres et des vaches. La loi fixe deux livres de maïs et une livre et demi de riz ou de manioc, et du tapioca pour les esclaves. La traite négrière est étroitement associée à un traitement inhumain, aux maladies et à la mortalité qui les affectent pendant le trajet en mer.

En 1835, l’esclavage est aboli. C’est Adrien d’Epinay qui propose l’immigration d’une main-d’œuvre indienne afin de limiter le manque de main-d’œuvre servile. Contrairement aux esclaves, les travailleurs engagés ont un statut administratif. Mais qu’en est-il de la satisfaction des besoins de base tels qu’une alimentation équilibrée ? Est-ce que les préjugés esclavagistes affectent la vie de ces nouveaux immigrants ? A partie de quel moment y a-t-il une amélioration de leurs conditions de vie ?

Long et périlleux voyage des immigrants indiens

Les immigrants indiens proviennent de différentes parties de l’Inde et ils voyagent pendant 35 jours pour une nouvelle destination sous les tropiques, une île nommée Mauritius. Selon des chercheurs tels que S. Deerpalsing, J. Ng Foong Kwong, V. Govinden et V. Teelock, plusieurs travailleurs engagés souffrent du mal de mer, du manque d’exercice physique et aussi du mal du pays. Ils supportent privations et misères. La mortalité à bord du paquebot est importante. Par exemple, plusieurs d’entre eux se jettent à la mer et se noient. En 1837, trois paquebots sont placés en quarantaine à cause de maladies et d’un taux élevé de mortalité. Quelques exemples du nombre de décès par paquebot avant l’arrivée au port : William Wilson – 31 ; Indian Oak – 6 ; Adelaide 24. Le Secrétaire Colonial émet des critiques sur les conditions de la traversée et déplore l’absence de confort sur les paquebots. Les recherches basées sur la tradition orale démontrent que les Mauriciens se souviennent encore des conditions de vie à bord de ces paquebots et aussi de l’insuffisance de nourriture et d’eau, mais plus particulièrement du non-respect des tabous alimentaires des végétariens.

En 1842, l’Ordre de la Reine en Conseil émet des règlements concernant l’espace de vie et la quantité de nourriture quotidienne comprenant « riz, pain, biscuit, farine, flocons d’avoine, ou pain, d’un poids de sept livres par semaine » par passager [Recueil des Lois, Ordonnances, Proclamations, Notes et Avis du Gouvernement Publiés à l’île Maurice]. Dix-huit ans plus tard, les contrats réglementent les soins médicaux et les médicaments, l’usage des ventilateurs, des cuisines et des toilettes à bord. La nourriture comprend du riz, des grains secs – dholl, du poisson salé, des oignons, du piment, du curcuma, du sel, du sucre et de l’eau. Les enfants ont la moitié de la ration d’un adulte. Si les femmes alimentent leur enfant, elles reçoivent du lait et du sagou, ou de l’arrowroot. Les nourrissons ont du lait. Lorsque le temps est mauvais, le repas n’est pas préparé et les passagers consomment uniquement des biscuits. Il demeure que les services offerts et les rations sont insuffisants durant la traversée.

La vie à bord des paquebots apporte son lot de problèmes d’hygiène. Les malades sont isolés sur l’îlot Gabriel ou l’île Plate dans des conditions déplorables. Par exemple, en 1856, ils n’ont ni abri ni matériaux pour fabriquer une hutte. Selon le Révérend Patrick Beaton, la nourriture y est insuffisante et l’eau est fétide. Pendant la période de quarantaine, les malades ont uniquement un repas par jour, composé de « choorah, bhoot gram and sugar ». Des produits naturels comme des plantes sont utilisées pour soigner la toux.

Quatre ordonnances sont élaborées, revues et corrigées pour améliorer les conditions de vie des immigrants pendant la traversée. Vers la fin du 19e siècle, la situation s’améliore nettement et la majorité des immigrants jouissent d’une bonne santé à leur arrivée à destination. Ainsi, en 1869, 275 Coolies sont envoyés sur l’île Plate pendant 12 jours. Il y a sept décès : six adultes et un enfant, représentant un taux de mortalité de 0.53 pourcent.

Conditions de vie des travailleurs engagés sur les plantations

Vers le milieu du 19e siècle, Bihar est en proie aux sécheresses. Les cultures agricoles sont perdues provoquant famine et exode. Plusieurs décident de tenter l’aventure comme travailleurs engagés, et nourrissent l’espoir de mener une vie meilleure.

Sur les habitations, les immigrants indiens se heurtent à un traitement à peine différent de celui des esclaves d’autrefois. Ils éprouvent des difficultés à s’adapter aux habitudes alimentaires locales. Nagapen souligne que les « barons sucriers détenaient une influence et une puissance insoupçonnées. La législation du travail était littéralement inexistante (…) Le fouet restait en usage. (…) ». En 1834, en ville ou dans les villages, les travailleurs engagés sont mal logés, dans une pièce étroite sans aucune ouverture pour la ventilation et les lieux sont sales. Outre un salaire mensuel fixe de cinq roupies, chaque travailleur engagé homme a droit à deux livres de riz, et chaque femme, une livre et demi ; demi-livre de dholl, et deux oz. de sel, de l’huile et des tamarins et parfois, de la moutarde.

Certaines sources indiquent une ration officielle en conformité avec leurs croyances : riz, mantègue, sel, et soit dholl ou poisson salé. Mais un certain nombre de colons sont malhonnêtes : ils ne leur donnent qu’un vêtement par an, et uniquement du riz et du sel pour leur ration alimentaire quotidienne. Les salaires ne sont pas versés ou les travailleurs en reçoivent moins que stipulé dans leur contrat de travail. Les rations alimentaires sont insuffisantes : toutes les deux catégories de travailleurs : les apprentis et les travailleurs engagés souffrent de malnutrition ou de sous-alimentation. La majorité est anémique.

Plusieurs années après l’abolition officielle de l’esclavage, la mentalité esclavagiste continue de dominer l’île. Les travailleurs engagés représentent une marchandise. La Commission d’Enquête de 1840 déplore le non-respect des règlements et ne souhaitent pas que le « commerce des Coolies » continue de ressembler au « commerce des Esclaves ». Pour cette raison, la Commission propose de stopper le recrutement des travailleurs engagés de l’Inde. Par l’Ordonnance No. 11 de 1842, le gouvernement britannique crée un nouveau poste, celui de « Protecteur des Immigrants ». Des jeunes femmes, représentant une main-d’œuvre moins chère, sont recrutées. Elles s’occupent de travaux légers, de culture de légumes et de plantes, et aussi de l’élevage des animaux. La culture du manioc est encouragée.

Le grand morcellement et la naissance des villages

Suite au grand morcellement, des villages voient le jour et ressemblent à ceux du Bihar, d’Andhra Pradesh, de Maharashtra et d’Uttar Pradesh. Les logements des immigrants indiens sont améliorés. Les huttes sont carrées et recouvertes d’herbe ou de paille, et comportent une ou deux chambres et une véranda ouverte. Certaines paillotes sont en rondins et recouvertes de feuilles de canne sèches ; le sol et les murs sont enduits de bouse de vache et le coin-cuisine, avec un foyer, se trouve dans une encoignure de la pièce.

Vers 1872, les femmes indiennes sont responsables de toutes les tâches ménagères et elles maintiennent un niveau d’hygiène élevé. Habituellement, elles se lèvent tôt le matin, nettoient la maison et répandent une mixture de bouse de vache et d’eau sur l’âtre. Puis, elles préparent les aliments que les hommes emportent au champ, sachant que l’Ordonnance No. 31 de 1867 stipule que tout laboureur a le droit à une heure pour son petit-déjeuner, avant 10H00.

Dans la première moitié du 20e siècle, selon la tradition orale, les ustensiles de cuisine, nommés hanrhia bartan comprennent les éléments suivants : belna & chowki – rouleau à pâtisserie et base, carahi – marmite en fonte, chalni – tamis, dekchi – marmite en aluminium, chonga – objet culinaire en bambou pour conserver sel et sucre, kalchool – louche, gilas et katori – récipients en cuivre ou aluminium, kuiyer sinoi – cuillère en bambou pour se servir, lota – récipient en cuivre, marmit troi pye – marmite en fonte soutenue au moyen de trois pieds, tawa – cercle épais en fonte, thali – assiettes en cuivre, émail ou aluminium. Certains équipements servent à affiner les aliments : janta et sil lodha – pierre basaltique à gros grains pour piler. Un reso – réchaud ou un feu de bois dans ou hors de la maison est employé pour préparer les repas avec du charbon. Le phoukni – objet cylindrique en métal – sert à contrôler le feu de bois et le charbon. Le bois et la bouse de vache sont utilisés comme combustibles. Un machaan est une sorte d’étagère fabriquée au-dessus du foyer de la cuisine pour y entreposer le bois et certains aliments afin de les protéger de l’humidité.

Les femmes, aidées des enfants, s’occupent de l’étable. Quelques-unes élèvent des poulets, une vache ou quelques chèvres, et vendent des œufs et du lait, à l’aube et au crépuscule. Lorsqu’il en reste, toute la famille en consomme aussi. Lorsqu’une vache met un veau au monde, c’est une période de fête car le phenus est préparé et partagé avec les amis, la famille et les voisins. C’est un moment de joie pour les enfants. C. Chummun décrit la préparation du phenus. Le premier lait est bouilli jusqu’à son épaississement. On y ajoute du sucre, de l’anis, de la cannelle, de la cardamone. Le lait cuit jusqu’à l’évaporation de l’eau. On mange le phenus froid. Certaines plantent du manioc, des patates douces et des légumes. Toutefois, la propriété sucrière sanctionne toute personne qui cherche du fourrage en confisquant la serpe et le fourrage, et la personne doit aussi payer une amende de Rs 2 à Rs 5 à la Cour.

De plus, la consommation alimentaire varie en fonction des capacités financières de chaque famille et aussi du fait de disposer d’un terrain pour le jardinage. Par exemple, pour le petit-déjeuner, certains boivent uniquement du thé sans lait et d’autres du thé avec du lait ; certains consomment de l’arrowroot, des bananes vertes ou demi-mûres, de la farine de maïs, du fruit à pain, du maïs, du manioc, du pain, du riz, du satwa – un mélange de 7 types de grains moulus. Le déjeuner et le dîner incluent le roti – galette indienne à base de farine, mince, sucrée ou salée ; le “litti” – galette indienne épaisse à base de farine ; farine de riz, manioc râpé, dholl ou pois cassé moulu ; le pain avec ou sans beurre et avec ou sans sucre ; le bouillon ou soupe de brèdes; le riz ou le roti avec du dholl, chatini de coco – noix de coco pilé agrémenté de sel, tamarin et feuilles de menthe -, du poisson salé et d’un légume. Pour les aliments non-végétariens, les familles consomment du poisson salé, des œufs, du bomli – de la pieuvre séchée et salée.


* Published in print edition on 31 October 2013

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