Commission d’enquête sur l’affaire Betamax: ‘Ça va être saignant !’

‘Je vois au peloton d’exécution : Ramgoolam, Jeetah, SAJ, Duval, Bhadain…’

Interview: Jean-Claude de l’Estrac

* ‘Le challenger de Pravind Jugnauth aux prochaines élections législatives ne peut émerger que des rangs du PTr.’

* ‘Je ne crains pas une explosion sociale parce que l’offre politique alternative n’est toujours pas crédible, les syndicats sont peu représentatifs…’


Tant que le Parti Travailliste gardera une certaine opacité sur la question de leadership du parti, le gouvernement en place est certain de ne faire face à  aucun problème politique. Les élus peuvent donc se concentrer sur les difficultés économiques du moment et les solutions à envisager pour le proche avenir. Bien entendu, la question sanitaire demeure omniprésente. Il reste à savoir si le PM optera pour le principe de réalisme comme Singapour ou décuplera ses efforts pour maintenir le principe de précaution. Jean-Claude de l’Estrac, nous en parle.

Mauritius Times: Nous ne sommes pas encore au bout de nos peines eu égard à une nouvelle menace virale, le variant « Delta Plus », qui serait présent déjà dans 78 pays, et qui est soupçonné d’être plus résistant aux anticorps que les autres, et dont le taux de contamination serait trois fois plus rapide… Cela alors que la réouverture de nos frontières est prévue dans les prochains jours. L’état de notre économie n’offre pas d’alternative, paraît-il?

Jean-Claude de l’Estrac: Faisons d’abord une distinction entre les deux enjeux : il y a l’enjeu sanitaire et il y a le défi économique. Comme je ne suis pas un infectiologue, je vais m’aventurer avec prudence sur la question sanitaire. Mais je pense que la communication sur ces virus, au niveau mondial, est mal fondée. Elle est terriblement anxiogène et paralysante.

Si la Covid-19 et ses variants sont là pour durer, si les virus tuent très rarement les contaminés, si tous ont été vaccinés, je ne vois pas l’intérêt de ces statistiques quotidiennes sur le nombre de contaminés. Comme si les contaminés sont tous destinés à mourir… Apprendre à vivre avec ces virus voudra dire relativiser ses effets mortifères et vacciner le plus grand nombre.

La contrepartie, toutefois, doit être l’assurance que les services hospitaliers publics sont parfaitement équipés pour faire face à une éventuelle situation de crise. La seule vertu que je trouve à cette stratégie de la peur, c’est qu’elle incite la population à respecter les protocoles sanitaires.

En ce qui concerne l’ouverture des frontières, je n’ai pas cessé de penser que le principe de précaution et l’excessive prudence des gouvernants nous condamnent à mourir en bonne santé… Je constate que le bon sens revient, les frontières sont graduellement rouvertes alors que l’on continue à recenser de nouveaux contaminés. Il faut se préparer à dénombrer encore plus de contaminés sans parler de reconfinement.

* Singapour vient d’annoncer un changement radical de stratégie face à la Covid-19. L’objectif n’est plus de ne plus avoir d’infection, mais plutôt de vivre avec le virus, tout en poursuivant son programme de vaccination pour atteindre les deux tiers de sa population. C’est une stratégie qui paraît fiable pour Maurice également, mais sommes-nous réellement prêts pour la réouverture ?

La nouvelle stratégie de Singapour part d’un principe de réalisme plutôt que de précaution. Les autorités singapouriennes estiment que les virus de la Covid-19 – comme tant d’autres dans nos vies – sont là pour durer : il faut donc apprendre à vivre avec ces virus. Mais il faut protéger la population.

La réponse que nous offre la science, c’est la vaccination. Les vaccins qui protègent les humains contre un large éventail de maladies sontl’une des grandes avancées de la médecine depuis des décennies. Ils sont considérés comme l’une des mesures sanitaires les plus économiques et les plus efficaces. Il faut donc accélérer la campagne de vaccination, c’est ce que ce fait le gouvernement avec raison ; il lui reste à mettre au pas les inconscients antivaccins qui prennent des risques inutiles.

* Pour ce qui est de l’économie, des doutes ont été exprimés sur la capacité du budget 2021-2022 de remettre l’économie sur une trajectoire de croissance plus élevée. Il y a aussi les critiques du FMI sur la politique monétaire du gouvernement, le financement du budget par les transferts de la Banque de Maurice et le rôle de la MIC. Rien n’indique si le gouvernement tiendra compte de ces commentaires du FMI, et à bien voir le gouvernement n’a peut-être pas beaucoup de choix, non ?

La stratégie économique du gouvernement est illisible pour le plus grand nombre de nos concitoyens.

Les spécialistes, économistes et financiers, les institutions financières internationales telles le Fonds monétaire international, les agences de notation, ont exprimé des critiques sinon des doutes, sur la capacité du gouvernement d’atteindre les objectifs fixés. Plus grave encore sa comptabilité créative est dénoncée, cette semaine encore, par le FMI.

Le ministre n’en a cure, il est resté droit dans ses bottes lors des débats sur le budget. Nous verrons bien où cela nous mène, le budget 2022 n’est pas loin… Ce prochain rendez-vous budgétaire sera son litmus test, son test de vérité.

* Certains observateurs soutiennent que le pire est encore à venir, avec les fermetures de nombreuses entreprises jusqu’ici soutenues avec l’aide publique – ce qui ne pourra pas durer indéfiniment. Il y a aussi les difficultés de trouver un emploi pour beaucoup de Mauriciens et le coût de la vie qui grimpe en raison de la forte dépréciation de la roupie depuis début 2020… Avez-vous des craintes pour le social ?

Il ne fait pas de doute que les prochains mois seront dramatiques pour un grand nombre de Mauriciens, et pas seulement pour ceux qui se trouvent au bas de l’échelle. La conjonction de la dévaluation délibérée de la roupie, de l’augmentation colossale du coût du fret, de l’augmentation à la source des prix des produits alimentaires importés sont autant de coups de massue.

Mais, en même temps, beaucoup de nos concitoyens espèrent que les choses finiront par aller mieux, si ce n’est pas demain, peut-être après-demain. Ils n’ont pas tout à fait tort. L’échec n’est pas une fatalité. Ce pays conserve malgré tout une grande capacité de rebond.

C’est pourquoi je ne crains pas une explosion sociale, aussi parce que l’offre politique alternative n’est toujours pas crédible, parce que les syndicats sont peu représentatifs, parce que personne ne voudra mettre en péril l’existant. 

* Le gouvernement doit être conscient des menaces qui guettent le pays et des challenges auxquels il sera confronté dans les mois à venir et durant le reste de son mandat – des défis plus énormes à relever sur le plan économique que sur le plan politique. Voyez-vous l’équipe gouvernementale capable de relever ces défis ?

Cette équipe gouvernementale, ces nouveaux ministres, ont eu à faire face, au cours des derniers mois, à des situations particulièrement contraignantes.

Il faut espérer qu’ils auront appris une ou deux leçons fondamentales. Et d’abord que l’on ne gouverne pas dans l’arrogance ou avec l’esprit de représailles en bafouant la continuité de l’Etat même quand on subodore des maldonnes ; que l’on obtient de meilleurs résultats dans le dialogue et la concertation ; que l’on ne viole pas indument les règles internationales de transparence et de justice ; qu’une fourmi est plus avisée qu’une cigale, qu’un leader s’isole s’il ne travaille que pour son camp.

Compte tenu de l’ampleur des défis à relever, je sens comme une aspiration à tendre vers plus d’unité nationale.

* Quelle est votre opinion sur la façon de faire de Pravind Jugnauth et de son équipe quand ils dirigent les affaires de l’État?

Si par « façon » vous entendez la forme, je n’hésite pas à dire que Pravind Jugnauth émerge de ces derniers mois de pandémie et de cataclysmes répétés comme un Leader. Il s’est affirmé, il est à la manœuvre, il est présent, il est pédagogique, il parle clairement.

Ensuite, il y a le fond : j’ai du mal à attribuer, dans la gestion des affaires de l’Etat, ce qui relève de ses choix personnels et autoritaires, et ce que les médias et l’opposition attribuent à son entourage.Il aurait intérêt à clarifier cette ambiguïté.

* En tout cas, il ne devrait pas se faire beaucoup de soucis avec l’éparpillement des forces de l’opposition sur le terrain. Et, par ailleurs, certaines institutions qui normalement devraient jouer un rôle clé sur le plan de ‘law and order’ semblent être sous contrôle. Cela va durer, selon vous?

La division de l’opposition, c’est un problème politique. C’est grave mais bien moins grave que le délitement des institutions censées assurer, en toute indépendance, le bon fonctionnement du système démocratique.

Nous sommes, en effet, dans une spirale que des organismes internationaux désignent déjà comme un risque d’autocratisme. C’est une sacrée déculottée pour le pays qui faisait figure d’exemple démocratique.

Ce pays qui veut s’ouvrir au monde, qui a besoin impérativement de s’ouvrir, qui sollicite l’investissement étranger, qui veut retrouver ses visiteurs étrangers, a, aujourd’hui, un gros problème d’image à l’étranger. Ce n’est pas une question de branding, cela a tout à voir avec le modèle de société que nous sommes en train de construire, parfois de déconstruire, à la face du monde.

* On ne comprend pas trop la démarche du leader de l’opposition et leader du PMSD de rechercher une commission d’enquête sur l’affaire Betamax. Le PTr est contre le principe d’une commission d’enquête, qui pourrait éventuellement l’embarrasser, et Xavier Duval en est sûrement conscient. Que recherche-t-il, à votre avis?

Je ne suis pas certain que cette initiative soit bien pensée. C’est un classique chez l’opposition de réclamer la nomination d’une Commission d’enquête à chaque fois qu’elle veut surfer sur une perception de corruption.

L’affaire Betamax réunit toutes les conditions, mais je suis mal à l’aise à l’idée que cette Commission pourrait être perçue comme une remise en cause du jugement du Privy Council.

En tout cas, si un juge indépendant devait présider cette Commission d’enquête, je vois au peloton d’exécution : Ramgoolam, Jeetah, SAJ, Duval, Bhadain… Ça va être saignant !

* Les prochaines élections municipales ne vont pas tarder, semble-t-il, et on peut envisager le PMSD et le MMM unissant leurs forces dans cette perspective. Mais ces deux partis vont devoir compter sur le PTr en ce qui concerne les élections générales. Qu’en pensez-vous?

Mon expérience politique m’incite à penser que le challenger de Pravind Jugnauth aux prochaines élections législatives ne peut émerger que des rangs du Parti Travailliste. J’aurais voulu me tromper mais je veux rester réaliste. Je n’attache qu’une importance relative aux élections municipales parce que ce n’est pas l’électorat urbain qui choisit le locataire de l’Hôtel du gouvernement.

* Voyez-vous Xavier Duval ou Paul Bérenger envisager leur avenir politique dans une énième lutte à trois lors des prochaines législatives, ce qui pourrait donner le même résultat que 2019? Ils devront tôt ou tard se décider en ce qui concerne le leadership d’une alliance de l’opposition… sauf si l’un ou l’autre envisagerait d’autres options?

La seule alternative crédible à Pravind Jugnauth aux prochaines élections générales est une alliance de l’opposition menée par un parti Travailliste qui aura résolu son problème de leadership. Tout le reste est illusoire.

Voilà pourquoi l’on aurait tort, à ce stade, de write-off Jugnauth… Les « autres options » auxquelles vous faites allusion ne sont absolument pas farfelues. Des forces occultes y travaillent. Nous verrons plus clair lorsque nous aborderons la deuxième partie du mandat de Pravind Jugnauth. C’est bientôt.

* Par ailleurs, il semblerait que le Parti Travailliste soit toujours en hibernation, laissant le champ libre à l’Alliance L’Espoir. Avez-vous des doutes quant à la capacité du PTr à se remettre sur pied ?

L’appareil du parti est paralysé par l’absence de visibilité sur la question cruciale du leadership.

C’est Navin Ramgoolam, et lui seul, qui déterminera l’avenir immédiat du parti. Il ne peut pas ne pas mesurer l’importance capitale de sa décision, pour lui-même, pour son parti, pour le pays.


* Published in print edition on 2 July 2021

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