C.Jeeroburkhan

Des réformes politiques, pourquoi faire ?

 

— Chafeekh Jeeroburkhan

 

En ce 12 mars 2010, la question des Chagos (tout comme celle du Tromelin, quoique dans une moindre mesure), nous rappelle l’étroite marge de manœuvre dont nous disposons pour faire valoir notre souveraineté sur toute l’étendue du territoire de l’Etat mauricien et il serait convenu que cette question soit traitée en priorité. Toutefois, dans ce qui suit, je vais plutôt me pencher sur des enjeux d’ordre interne et qui vont prendre les devants de la scène, une fois les élections générales de 2010 terminées.

 

 

Dans le contexte qui prévaut, et en dépit, voire à cause de l’incertitude qui plane sur la configuration politique qui va se dessiner en vue des prochaines élections et après, il importe de s’interroger sur les réformes politiques dont il a été question ces derniers temps et dans lesquelles nous risquons d’être entraînés selon toute probabilité en 2010 et au-delà. Sans une réflexion approfondie en la matière, nous ne pourrons ni juger de la justesse ou de la sagesse de ce qui aura été avancé en guise de réformes constitutionnelles et électorales ni décider de toute action à mener pour ou contre de telles réformes.

Le dévoiement de la dynamique de la lutte pour l’émancipation politique

Il est en général admis qu’à Maurice prévaut un système de démocratie parlementaire à la « Westminster ». C’est-à-dire qu’on dispose d’un régime parlementaire multi partis (avec une majorité qui gouverne et une opposition pouvant prétendre à l’alternance en cas de faillite du gouvernement en place et/ou capable de devenir majoritaire à son tour lors d’une consultation ultérieure) avec un Premier ministre, chef de l’exécutif et du parti majoritaire au Parlement (l’Assemblée législative), et un chef d’Etat sans pouvoir exécutif (car non élu au suffrage universel et n’appartenant à aucun parti politique spécifique), les institutions (gouvernement, parlement, judiciaire) fonctionnant selon les principes de la séparation des pouvoirs et de la prééminence des règles de droit. Un tel système se caractérise par sa stabilité et son efficacité avec les garanties nécessaires quant à la protection des libertés fondamentales et l’« accountability » des responsables des organes de l’Etat.

C’est ce vers quoi le pays devait s’acheminer depuis l’avènement du suffrage élargi en 1947 et du suffrage universel en 1958. Par contre, les luttes populaires qui ont scandé la vie politique mauricienne de 1947 à 1967 se sont soldées par une double partition de la majorité populaire (population indo-mauricienne v/s population générale d’une part et population hindoue v/s population musulmane (à l’intérieur du bloc indo-mauricien) de l’autre. Le pays fut littéralement fragmenté en deux sur la question de l’indépendance (l’unité du bloc indo-mauricien s’étant, quant à elle, reconstituée à cette occasion) et la tentative de raccommodage qui s’ensuivit, surtout sous le coup de la pression étrangère, n’eut pour résultat que de constituer un vide politique d’où émergea le MMM avec un nouveau discours unificateur national.

Sur cet arrière-fond, les partis les plus importants qui sont apparus sur la scène politique (le PMSD dans les années ’60, l’UDM et le PSM dans les années 1970 et le MSM après la cassure du MMM en 1982) ne purent qu’être le représentant (en majorité au moins) de tel ou tel groupe ethnique. Le PTr post 1967 ainsi que le MMM post 1982 se sont trouvés logés à la même enseigne. La toute dernière tentative de reconstitution du PMSD d’antan se situe dans la même logique : se donner un ancrage plus solide au sein de la population générale pour mieux rivaliser avec le MMM d’une part et pour réduire la menace que l’emprise du FCM sur ce même électorat peut représenter de l’autre.

Il n’est pas étonnant, dès lors qu’aucun des partis en présence n’ait pu (et ne puisse) prétendre accéder au pouvoir tout seul. Les alliances faites, défaites et refaites (et apparemment en cours de négociation actuellement) ne sont que l’expression de cette réalité du terrain. Loin de tenter de renverser la vapeur pour reconstituer des partis nationaux, les responsables politiques ne se sont évertués qu’à capitaliser sur un système dont ils sont maintenant prisonniers. Lorsqu’elles regroupent majoritairement les deux principaux blocs ethniques en présence (le bloc « indo-mauricien » et le bloc « population générale »), ces alliances conduisent (et ont conduit) à la disparition pure et simple de toute opposition digne de ce nom, allant même jusqu’à réduire le nombre de sièges à attribuer en vertu du « Best Loser system » à 4 ! Sachant qu’on peut s’acheminer vers une telle éventualité, les tenants d’une alliance PTr-MMM tentent de légitimer un tel exercice en s’appuyant sur l’argument du « patriotisme » et de la nécessité de mettre l’unité nationale et l’intérêt supérieur du pays au-dessus de tout. Que certaines des parties prenantes aux négociations en cours se hâtent de rassurer les électeurs qu’un résultat à la 60-0 ne comporte aucun risque pour la démocratie participe de la même démarche. (Faut-il rappeler que les « entrenched » clauses de notre Constitution ne peuvent être modifiées que si l’on dispose du vote favorable de trois-quarts de l’Assemblée ?)

Dans de telles circonstances, toute ressemblance du dispositif politique mauricien avec un système à la « Westminster » ne peut être que fortuite, selon la formule consacrée de mise en garde figurant dans les génériques de films de fiction ! Bien entendu, il ne s’agit pas de nier qu’une forme de démocratie est à l’œuvre à Maurice, mais ce n’est qu’abusivement qu’on pourrait la désigner comme un système à la « Westminster ». Par contre, il ne s’agit pas de sombrer dans un fétichisme du système « Westminstérien » mais d’en jauger la pertinence pour la société mauricienne.

La logique et la portée des réformes proposées

Sur cet arrière-fond trois des réformes (régime semi-présidentiel, deuxième chambre, « dose » de représentation proportionnelle) dont ont fait état les protagonistes de l’alliance/des alliances en cours dans les journaux et qui méritent qu’on s’y attarde, concernent notre régime politique d’abord et notre système électoral ensuite.

 

Il va de soi qu’on ne peut opposer à l’idée de la mise en place d’une deuxième chambre le fait qu’il serait contraire au système à la « Westminster ». Par contre, on ne voit pas où se situe la nécessité de multiplier nos instances de délibération par deux, sauf si ce n’est pour gonfler outre mesure le personnel politique aux frais du contribuable sans que cela apporte une quelconque amélioration à la marche démocratique de notre société. Il est clair qu’une instance pareille ne pourra être élue au suffrage universel direct car il entrerait alors en conflit avec le Parlement. Si elle ne l’est pas, elle ne pourra être que de nature consultative et donc entraîner un coût non seulement difficile à justifier mais encore plus difficile à supporter. (Voir l’analyse et les recommandations du Professeur A. de Smith à ce sujet dans le document C.O./2529/64).

A l’inverse, l’idée de transférer tout ou une partie du pouvoir du Premier ministre au Président est manifestement contraire à l’esprit de « Westminster » et constitue un abandon de notre système républicain à l’indienne, comportant un unique fondé de pouvoir (le Premier ministre) dont la légitimité tient au fait qu’il dirige le parti le plus important à l’Assemblée, élu au suffrage universel. Déjà le principe du partage du mandat du Premier ministre pour satisfaire des velléités sectaires doublées d’ambitions personnelles gourmandes, introduit en 2000, a porté un coup à l’autorité et à la fonction du Premier ministre en en faisant l’objet d’un « musical chair » très peu ludique et pas du tout « Westminstérien » ! Si, pour résoudre des problèmes surgissant au niveau du poste du Premier ministre, on transfère le pouvoir exécutif au Président, on passe purement et simplement du régime parlementaire au régime présidentiel en transférant le(s) problème(s) avec. Si au contraire on tente de partager le pouvoir exécutif entre ces deux personnages, on introduit un facteur de conflit pouvant conduire à la paralysie des institutions.

Lors des tractations pour la mise sur pied de la République, les discussions avaient achoppé, entre autres, sur la question de certains pouvoirs exécutifs dont serait doté le Président. Après un intervalle d’environ dix ans, un système républicain à l’indienne avec un chef d’Etat symbolique, sans pouvoir exécutif mais incarnant la continuité de l’Etat et garant du bon fonctionnement des institutions, fut adopté en toute sagesse en 1992 et s’est révélé plus qu’adéquat pour la bonne marche de notre démocratie. Après les élections de 2005, précisément à cause du partage du mandat de Premier ministre en 2000, on s’est retrouvé avec un Président en déphasage temporel avec son Premier ministre. Mais le conflit qui avait apparemment vu le jour à l’époque tenait plus aux personnes en question qu’aux attributs des fonctions en cause. Que les choses soient rentrées dans l’ordre par la suite est un signe que le dispositif actuel remplit correctement son rôle et plaide pour son maintien en place ! Chercher à l’améliorer ne pourrait que produire des résultats pervers, permettant de vérifier que le mieux peut être l’ennemi du bien !

Dans la foulée des résultats de type 60-0, l’idée que notre système électoral « First Past The Post (FPTP) » comporte un défaut exigeant correction a fini par s’imposer comme une évidence : le système met la représentativité en défaut dans la mesure où on se retrouve loin de la proportionnalité entre sièges auxquels certains partis pouvaient (peuvent) prétendre et nombre de votes recueillis. La correction consisterait alors en l’« injection » au malade d’une « dose » de proportionnelle, le but étant d’« approfondir » la démocratie !

Le raisonnement s’arrête là. Il n’y de remise en cause ni des « voting patterns » issus de la dérive sectaire décrite plus haut et conséquence directe, dans certains cas, des alliances interethniques conclues de part et d’autres, ni du fait que la « dose » de proportionnelle ne pourrait en fin de compte que conforter ces « voting patterns ». En fait, cette formule a été accueillie avec d’autant plus d’empressement qu’elle permet de faire d’une pierre deux coups : on peut se donner bonne conscience en optant pour l’abolition du Best Loser System (BLS) (on tord le coup au communalisme !) tout en intégrant le choix des candidats sur une base ethnique dans le dispositif de liste ainsi ouvert ! On peut à ce titre citer le rapport Banwell, p2 §8 «  They [le PMSD] were opposed to the reservation of seats for any community because they held that under the system which they advocated, parties would be obliged to include in their lists candidates from all communities if they were to have any hope of attracting votes from them all ». Que le BLS puisse faire vase communicant avec le Party List ne comporte aucun mystère !

 

Que ce même système électoral puisse donner des résultats plus équilibrés (comme en 2005) quand le facteur ethnique passe au second plan est adroitement passé sous silence car il peut tout sauf apporter de l’eau au moulin des tenants de la « dose » de RP ! Qu’un travail colossal est à entreprendre pour bâtir des partis nationaux, capables de hisser le débat au niveau des exigences de l’intérêt général et de l’adéquation autant que possible entre intérêts locaux et intérêt général, que la recherche d’une dynamique féconde d’un « nous » politique, supra-communal s’impose à la place d’expédients techniques qui non seulement n’apportent pas de solution même temporaire au problème posé mais aussi aggravent les choses à long terme, voilà autant d’« évidences » qu’on préfère mettre sous le boisseau car elles vont à l’encontre de la démarche consistant à mettre le système en défaut.

De plus, nul ne semble gêné par le fait qu’on nage en pleine contradiction d’une part en affirmant vouloir « approfondir » la démocratie et de l’autre en renforçant le pouvoir des chefs de parti en leur donnant des moyens de contrôle supplémentaires sur les candidats éventuels devant figurer sur la liste du parti et en les soustrayant à toute homologation ou contestation de la part des mandants locaux identifiés et identifiables. Sans compter, comme je l’ai indiqué plus haut, que dans le cas de coalition entre partis dominants, l’effet « thérapeutique » de la « dose » de RP s’évanouit purement et simplement ! On peut peut-être trouver des solutions techniques pour un financement des partis pour ne pas fausser le jeu démocratique, on peut peut-être limiter la corruption en imposant la déclaration des avoirs des candidats en début de mandat (la commission Goburdhun l’avait préconisé en 1985), mais on ne pourra jamais combler un déficit « démocratique » par un dispositif technique quelconque. La Commission Sachs ne pourra pas faire de miracle (métamorphoser le plomb de la volonté de puissance en or du bien commun) là où la culture et l’exigence démocratiques font défaut.

 

Conclusion

Aux problèmes politiques on ne peut apporter que des solutions politiques. Des solutions techniques ne pourront en aucun cas en tenir lieu. Laissons encore une fois la parole à la Commission Banwell dont les propos prennent tout leur sens quand on considère que ce qu’il est convenu d’appeler le phénomène communal n’a fait que s’aggraver depuis que les mots qui suivent ont été couchés sur papier (février 1966), p4 §16 :

“Secondly, we wish to put on record our conviction that whatever the short-run influence on party political fortunes which an electoral system may have, it seldom affects greatly the long-run trends of a country’s politics. This is particularly relevant to the problem of communalism in a country like Mauritius, where the natural social cohesion of communities is apt to be used as a basis for political competition. There is a disposition in some quarters to look to a new electoral system to overcome this tendency. In our view, after considering carefully the possible political implications of a wide range of possible systems, no electoral system can of itself prevent or eliminate the tendency to communal politics. An electoral system – such as communal electoral registers — may certainly aggravate such a tendency; but none is capable of reversing it. The best that can be hoped for is that the electoral system will allow political leaders and voters to organise on non-communal lines, and offer as much encouragement as possible for them to do so…”

En d’autres termes, il n’y a pas de substitut à la maturité politique et au vouloir-vivre ensemble. Là où ces facteurs font défaut, loin d’apporter les remèdes recherchés, les réformes institutionnelles préconisées risquent fort de ne produire que des effets pervers.

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