« Caution-minorités: quelles minorités ? Le MMM vit encore dans les années 1970-1980 »

Interview : Cader Sayed-Hossen


‘Le MSM sait très bien que la seule alternative possible à Pravind Jugnauth est Navin Ramgoolam. Donc il faut l’abattre politiquement’

 

‘Ce ne sont pas les commentateurs politiques, ni les journalistes, ni les faiseurs d’opinions qui décident du choix du leader d’un parti politique. Ce sont les adhérents des partis’

 


« Ce ne sont pas les commentateurs politiques, ni les journalistes, ni les faiseurs d’opinions qui décident du choix du leader d’un parti politique. Ce sont les adhérents des partis, les activistes, les militants, etc., qui le font…» nous déclare Cader Sayed-Hossen, dans l’interview de cette semaine. Il enchaîne pour déclarer que « la remise en question du leadership de Navin Ramgoolam n’est venue que de quelques éléments mineurs du parti, lesquels éléments mineurs s’étant d’ailleurs très vite tus… Le leadership de Navin Ramgoolam est donc non seulement légitime. Il est presque unanimement reconnu et accepté. » Il commente aussi la dernière enquête que mènerait l’ICAC par rapport à des versements de Rs 35 millions qu’aurait effectués le leader du PTr sous son troisième mandat comme Premier ministre :  « Cette affaire, comme la douzaine d’autres charges provisoires que la police avait logées contre Navin Ramgoolam depuis février 2015, n’est que politique, purement politique. Le MSM sait très bien que la seule alternative possible à Pravind Jugnauth est Navin Ramgoolam. Donc il faut l’abattre politiquement à tout prix… »

 

 Mauritius Times : Danielle Selvon se pose la question: “Qu’est-ce qui se passe au MMM ? A en rire ou à en pleurer… » Bonne question, mais potentiellement nuisible pour la députée mauve, comme pour les autres précédemment – ceux qui avaient élevé la voix contre la façon de faire de la direction du parti. Que devient le MMM, à votre avis ?

Cader Sayed-Hossen : C’est une question difficile pour moi. Je ne suis pas journaliste, ni analyste ni commentateur politique. Mais la question que se pose Danielle Selvon est tout à fait justifiée. En fait, le MMM fait face à trois problèmes.
Premièrement, une perte d’une partie considérable de son électorat aux élections de 2014 et dans le sillage de ces élections, en bref, une perte exponentielle de popularité.

Deuxièmement, une remise en cause soit du leadership de Paul Bérenger, soit de son style de leadership, suivi de nombreux départs de membres historiques et importants du MMM – pratiquement un remake de ce qui s’est passé au sein du MMM dans les années ’70.
Troisièmement une incapacité (ou serait-ce un refus ?) de Paul Bérenger de faire face aux constats précités.

Alors, que devient le MMM ? Il ira aux prochaines élections en alliance avec le MSM et se retrouvera avec son partenaire dans l’opposition avec une dizaine de députés. Les “coaltars” qui malheureusement y croient encore se retrouveront encore plus empêtrés dans le “coaltar”.

* Il n’y a donc rien à faire : Paul Bérenger comme d’autres dirigeants politiques resteront aux commandes de leurs partis respectifs jusqu’à ce que l’électorat décide de les sanctionner. C’est ça ?

Ce ne sont pas les commentateurs politiques, ni les journalistes, ni les faiseurs d’opinions qui décident du choix du leader d’un parti politique. Ce sont les adhérents des partis, les activistes, les militants, etc., qui le font en suivant des procédures institutionnalisées et bien établies.

En effet, il y a un deuxième examen à passer, celui de l’électorat. Mais aussi longtemps que les adhérents des différents partis choisiront, en suivant des procédures acceptées et établies, le leader de leur parti, ce leader est légitime. La légitimité: c’est la chose la plus importante en la matière, n’est-ce pas ?

* Y compris au Parti Travailliste ?

Surtout au Parti Travailliste. Je vous rappelle qu’après la défaite de 2014, Navin Ramgoolam a soumis sa démission comme leader au Bureau politique du parti – laquelle démission a été refusée à l’unanimité. La position du Bureau politique a été soutenue par celle du Comité exécutif.

Arvin Boolell a publiquement exprimé son souhait de devenir leader du parti – ce qui est légitime. Autrement, la remise en question du leadership de Navin Ramgoolam n’est venue que de quelques éléments mineurs du parti, lesquels éléments mineurs s’étant d’ailleurs très vite tus, espérant toujours se faire oublier. Le leadership de Navin Ramgoolam est donc non seulement légitime. Il est presque unanimement reconnu et accepté.

* Mais à bien voir le dernier coup de Paul Bérenger avec l’installation de la nouvelle équipe que constitue le Bureau politique du MMM et le choix des hommes occupant des postes de responsabilité dans le parti, il paraît que le leader a pu renverser la situation en sa faveur pour positionner le parti comme un allié incontournable du MSM en vue des prochaines législatives. C’est encore le MMM qui apportera la « caution-minorités » … Qu’en pensez-vous ?

Vu la composition du nouveau Bureau politique du MMM, il est évident que la stratégie du parti est telle que vous l’avez décrite. C’est la lecture que nous avons faite au Parti Travailliste depuis longtemps.

Caution-minorités: quelles minorités ? Le MMM vit encore dans les années 1970-1980 – époque à laquelle effectivement les minorités se ralliaient derrière Paul Bérenger et le MMM. C’était il y a 40 ou 50 ans de cela ! Même Bérenger devrait savoir que les choses ont changé et que les allégeances politiques des minorités ont changé. Par ailleurs, au moins une minorité, la communauté musulmane, a depuis longtemps abandonné le MMM et se positionne massivement derrière le Parti Travailliste.

De toute façon, l’électorat ne se conjugue plus en majorité et minorités. Il y a la majorité avec ses différentes composantes, les minorités, les femmes, les jeunes, les groupes d’intérêts spécifiques, entre autres. Cela fait que la composition ainsi que le discours des partis politiques doivent se renouveler de manière radicale afin de trouver les dénominateurs communs où ces différentes catégories bien définies de l’électorat pourraient se retrouver. Attendons voir comment le couple Jugnauth-Berenger compte s’y prendre de manière crédible…

* Vous pouvez sans doute imaginer la désaffection du public à l’égard de la chose politique faute d’alternative crédible. Mais «le plus grand danger, c’est l’indifférence, n’est-ce pas ?

En effet. Mais c’est pire que de l’indifférence, nous assistons à une abdication de la conscience publique qu’il est par ailleurs difficile d’imaginer dans une démocratie stable et pluraliste comme la nôtre. Alors que l’Histoire de notre pays est jalonnée d’efforts pour élargir l’espace démocratique pour permettre à la population de s’exprimer, la société mauricienne semble, depuis 2014, paralysée dans une acceptation passive de la situation: corruption à grande échelle, népotisme, non-respect flagrant des lois par les élus de l’Alliance Lepep et leurs proches, proximité alléguée de certains élus avec les parrains de la drogue, politique économique catastrophique débouchant sur des hausses massives du coût de la vie, opacité totale de toutes les transactions financières du gouvernement Jugnauth.

C’est évidemment un constat bien pessimiste que je n’arrive pas à m’expliquer, celui de la confiscation du pouvoir par le parti au pouvoir, laquelle confiscation semble consentie par le public. Est-ce dû à de l’indifférence, à la crainte de la répression par un gouvernement qui s’est montré champion en répression, ou à une déliquescence de notre capacité de revendication ? Peut-être que les sociologues et les spécialistes des affaires sociétales pourraient nous éclairer.

En ce qui concerne ce que vous appelez la « désaffection » du public par rapport à la chose politique et aux consultations électorales, je dois souligner le fait que nous avons eu depuis décembre 2014 une seule possibilité de consultation électorale – la partielle à Quatre-Bornes que nous avons remportée haut la main, écrasant le MMM et le PMSD. Mais il n’est pas pertinent de parler d’alternative crédible qui pourrait assurer l’alternance: l’alternance ne peut s’effectuer que dans le cadre des élections générales, pas dans celui d’une partielle. Et l’électorat s’accorde à dire que la seule alternative crédible est Navin Ramgoolam et le Parti Travailliste.

* Pourtant les conditions politiques sont réunies pour que l’opposition fasse preuve d’initiatives vigoureuses pour contrer le pouvoir. Qu’est-ce qui freine la contestation et la mobilisation de l’opposition ?

Je suis entièrement d’accord sur votre analyse des conditions politiques, mais pas sur le reste. L’opposition – Travailliste, MMM et PMSD – est très active à l’Assemblée nationale, comme tout le monde le sait, et cela en dépit de nombreux ‘I order you out’… de la Présidente de l’Assemblée nationale. La majorité Lepep a fait de notre Assemblée nationale une parodie burlesque. Et en ce qui concerne le Parti Travailliste, notre action (ce que vous appelez contestation et mobilisation) se complémente par un travail assidu sur le terrain, dans toutes les circonscriptions et par des manifestations régionales telles que les congrès de Saint Pierre et de Fond du Sac – tous deux ayant récolté des succès d’affluence retentissants.

* Sir Anerood Jugnauth en tant que Premier ministre et son ex-ministre de la Bonne Gouvernance ont été les meilleurs agents de l’opposition durant les trois premières années du présent mandat… L’ex-ministre Soodhun, qui est désormais le meilleur agent de l’opposition, fournit aussi de bonnes raisons de contestation par l’opposition avec ses transactions immobilières ou son dîner ‘male-only’ en l’honneur des princes arabes, non ?

Oui, et il y en a d’autres. Jugnauth père, Jugnauth fils, la catastrophe Bhadain, Soodhun, Dayal, Lutchmeenaraidoo, Mme Jadoo, Gayan et d’autres encore. Mais honnêtement, j’aurais préféré que ce ne fût pas le cas et que ce gouvernement fût plus efficace, plus patriotique, plus décent.

Jamais nous n’avons, au Parti Travailliste, souhaité que le gouvernement des Jugnauth enfonce le pays dans un tel gouffre économique et s’enfonce lui-même dans un tel marasme moral – même si nous en tirons un capital politique. Nous n’avons jamais voulu ni ne voulons un capital politique quelconque au détriment du pays et de la Nation. Et je répète ce que j’ai dit plus tôt: la seule alternative crédible à ce régime est Navin Ramgoolam et le Parti Travailliste.

* En ce qui concerne l’économie, le budget – « irresponsable, mais intelligent politiquement » selon Alan Ganoo – a été voté, et le gouvernement s’investit pour se donner les meilleures chances en 2019-20. Le pari pourrait être gagnable en l’absence d’un challenger redoutable et crédible, non?

Je passe évidemment sur l’opinion d’Alan Ganoo, mais un budget ne peut pas être bon ou intelligent si vous n’avez pas les moyens (ou peut-être même l’intention) de le mettre en marche. C’est clairement le cas du dernier budget Pravind Jugnauth.

Vous savez autant que moi qu’un budget annuel de l’Etat n’est jamais un exercice « stand alone », mais qu’il se situe dans une continuité, avec un avant et un après. Mais voyons le « avant », c’est-à-dire dans quel contexte se situe ce Budget 2018-2019. Taux de chômage élevé, inflation galopante liée à la dérive de la roupie, niveau extrêmement bas du taux d’investissement privé (hormis dans les smart cities pour renforcer la position rentière des barons sucriers), le naufrage de notre secteur global business (offshore) orchestré par Bhadain alors qu’il était ministre de Jugnauth, perte considérable de la crédibilité de Maurice en tant que destination d’investissements, presqu’aucun investissement dans le secteur industriel, un secteur agricole à la dérive avec l’abandon graduel de la canne pour une politique rentière des barons sucriers à travers le développement des shopping malls, des lotissements résidentiels et des smart cities.

Avec un tel passif, comment Pravind Jugnauth pourrait-il se donner les meilleures chances pour 2019-2020 ? Il est vrai qu’il a massivement endetté le pays pour financer d’importants programmes de développement d’infrastructures publiques. Le problème pour Pravind Jugnauth, c’est que ces programmes de développement d’infrastructures publiques n’apportent pas de dividendes à court terme et que leur contribution au PNB sera probablement conséquente pendant la durée des travaux et ensuite périclitera graduellement. Ce qu’il nous faut, c’est un programme d’investissement mixte public-privé qui crée des entreprises, des emplois, et qui booste les exportations.

* Et que dites-vous de la dernière initiative de l’ICAC qui aurait initié une enquête auprès de la SBM sur des versements de Rs 35 millions qu’aurait effectués le leader du PTr sous son troisième mandat comme Premier ministre ? On parle de délits allégués sous les dispositions de la Financial Intelligence and Anti-Money Laundering Act. Et on ne sait pas à ce stade ce que l’actuel gouvernement détiendrait en termes d’arguments politiques en vue d’affaiblir l’adversaire…

Cette affaire, comme la douzaine d’autres charges provisoires que la police avait logées contre Navin Ramgoolam depuis février 2015, n’est que politique, purement politique. Le MSM sait très bien que la seule alternative possible à Pravind Jugnauth est Navin Ramgoolam. Donc il faut l’abattre politiquement à tout prix. L’actuel gouvernement ne détient justement aucun argument politique contre le leader du Parti Travailliste – donc ils vont user de la répression policière pour l’abattre. C’est ce qui s’est passé depuis 2015 et qui continuera à se passer jusqu’aux prochaines élections.

* Autre sujet qui fait l’actualité ces temps-ci : un rapport défavorable pour notre centre financier venant de l’Eastern and Southern Africa Anti-Money Laundering Group, et il y a aussi la démarche d’un consortium de banques internationales qui a placé Maurice sur une liste de « high risk jurisdictions ». Comment réagissez-vous à cela ?

Evidemment, c’est autant de menaces sur le secteur global business (offshore), autant de menaces sur 13% de notre PNB et sur environ 18,000 emplois de haut niveau.

Trois facteurs ont contribué à créer cette situation.

Premièrement, la piteuse performance de Bhadain, alors ministre d’Anerood Jugnauth, quand il a été brader le DTAA entre Maurice et l’Inde. Il était alors clair que c’était là une première brèche dans l’édifice de notre secteur financier et que les coups de boutoir pour déstabiliser ce secteur allaient arriver tôt ou tard.

Deuxièmement, la réputation de Maurice sous le présent régime comme pays corrompu au plus haut sommet de l’Etat a joué un rôle prépondérant pour décrédibiliser Maurice.

Troisièmement, l’usage généralisé par le gouvernement Jugnauth des Special Purpose Vehicles, (SPV), résulte en une opacité totale dans les opérations de l’Etat où des montants considérables d’argent sont impliqués – d’où possibilités accrues de vols, de pots de vin et de corruption institutionnalisée.

Avec tout cela, quoi d’étonnant que Maurice soit considéré comme une high risk jurisdiction ?

* Le rapport de la commission d’enquête sur le trafic de drogue est attendu dans les jours à venir. On parle déjà de « rapport accablant » qui jettera un éclairage sur les différentes ramifications tant locales qu’internationales, avec le monde carcéral, avec la politique et les autorités qui sont censées combattre ce trafic abominable. Mais pour gagner le combat contre le trafic de drogue, il faudra agir. Voudriez-vous partager avec nous quelques pistes de réflexion et de solutions concrètes ?

Vous avez dit « avec la politique ». Il faut préciser: avec certains hommes politiques d’un parti politique spécifique. Comme l’a dit Navin Ramgoolam, à chaque fois que le MSM est au pouvoir, le trafic de la drogue se multiplie à tous les niveaux de la société.

En effet le rapport de la commission Lam Shang Leen est attendu incessamment. Nous savons tous combien de politiciens du MSM ont été entendus par ladite commission, et combien de noms dans le gouvernement actuel (ou liés au gouvernement actuel, tels Dewdanee et autres) ont été mentionnés par des trafiquants confirmés – tous très probablement directement ou indirectement impliqués dans le trafic de drogue.

La grande question reste la suivante: quelle suite donnera le gouvernement Jugnauth au rapport de la commission Lam Shang Leen ? N’oubliez pas que le récent rapport sur le Mauritius Turf Club s’est tout bonnement perdu dans les tiroirs ou les couloirs du bureau du même Premier ministre, Anerood Jugnauth.

Je vais répondre plus précisément à votre question. L’institution qui est supposée lutter contre la drogue est la police. Il y a au sein de la police des éléments honnêtes et intègres. Il y a aussi dans le troupeau des brebis galeuses, des pourris complices des trafiquants. Nettoyer la police par des sanctions rapides et efficaces au lieu des fameuses suspensions qui ne mènent finalement à rien, mettre les meilleurs éléments de la police dans la lutte antidrogue en leur donnant les moyens adéquats, durcir considérablement les lois et les sanctions pour les trafiquants, petits ou grands.

Et le moyen le plus efficace probablement: couper le nerf de la guerre des trafiquants en gelant tous leurs comptes bancaires et autres biens dès le début d’une enquête les impliquant. Sans argent, le trafic ne meurt peut-être pas, mais il aura de sérieuses difficultés à se développer.

 


* Published in print edition on 13 July 2018

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