Avancer masqués pour l’heure…

Par Nita Chicooree-Mercier

Fin de partie dans l’hémicycle où l’héritage anglais de deux équipes de football qui s’affrontent au parlement reste vivace. Reprise de courte durée interrompue par une invitation, ou alors, l’imposition à regagner les pénates jusqu’au 4 juin.

La fin de l’affrontement était plutôt cocasse avec un leader de l’Opposition qui a voulu se montrer combatif et exigeant en menaçant le front bench dirigeant de ‘the days of this government are counted’, ce qui a suscité un ricanement dans le camp d’en face qui a balayé la menace d’un revers de la main.

Est-ce le ‘counted’ au lieu de ‘numbered’ qui a provoqué l’hilarité ? Allez savoir ! Un gallicisme qui s’est glissé dans un lieu où l’anglais prédomine, une confusion linguistique à force de naviguer entre plusieurs langues… C’est un peu le cas de tout le monde dans les moments d’inattention.

En matière de prouesse linguistique, c’est le ministre des Finances qui remporte la palme en s’exprimant dans un français impeccable. Assez rare dans ce lieu de débats où le crenglish des uns et des autres nous fait rigoler d’habitude, ce qui est mieux que de s’énerver. En seconde position de ce palmarès figure la ministre de l’Education qui navigue aisément entre l’anglais et le français. Il s’agit ici de la forme, bien entendu. Le fond des débats est une autre paire de manches.

Un ouf de soulagement chez le bon peuple de retrouver bientôt un brin de liberté et sortir de cette assignation à résidence forcée. La possibilité de passer à autre chose maintenant que masque, gants et lavage des mains sont bien intégrés dans les habitudes. Les activités reprennent pour certains alors que le désarroi mine la santé des autres, inquiets de s’enfoncer dans les dettes, et pour d’autres, de conserver leur emploi et assurer tant bien que mal les besoins alimentaires au quotidien.

Dans ce début de retour à la normale, mais plus comme avant, espérons-le, on se remet à parler de tout et de rien. On n’y échappe pas, ce phénomène fou de la pandémie revient dans les conversations, celle-là et celles d’avant, l’impuissance face à ces calamités naturelles et fabriquées parfois ; et de conclure que la nature ne se venge pas, elle subit la loi de cause et effet. La vengeance est le propre du Sapiens, détruire les autres et autodestruction. Ce qui s’abat sur le monde, « un truc de ouf » !

Satisfaction générale à noter sur la gestion de la crise sanitaire par le Gouvernement. Le compte-rendu quotidien au début afin d’informer, de conseiller et d’interdire. Un travail d’équipe et de concertation entre les autorités et les représentants du corps médical.

Mesures et intérêts communs au service du pays et du peuple sans lesquels il n’y a pas de pays. Une symbiose presque parfaite qui a bien fonctionné. Dès les premiers jours, une décision soudaine de confinement total pour dix jours annoncée sur un ton de fermeté non négociable par le Premier ministre. Sinon, le milieu hospitalier aurait été submergé par un afflux de gens contaminés par négligence. Une catastrophe évitée de justesse.

* * *

Danger imminent

Port-Louis 19 mars 2020. La date restera dans les mémoires. A peine la nouvelle d’un début de contamination annoncée la veille, une étrange effervescence saisit la capitale. Le temps de s’y rendre pour régler quelques formalités, on assiste à une scène inédite, ou plutôt, à une prise de conscience d’un danger imminent en début de matinée, et au fil des heures, une lente agitation à se parer à ce qui sera présenté comme une guerre.

Un vendeur de masques surgit à la rue Bourbon et interpelle les passants :

– Masques, masques, achetez vos masques maintenant. Allez, venez !

Il sillonne les rues, et le prix varie entre 50 et 75 roupies d’un trottoir à l’autre. Distribution de masques aux employés dans une quincaillerie à la rue Royale où s’affairent les clients de passage. Les uns interrompent le service pour ajuster au visage le masque dont ils se passeraient bien mais s’y résignent par discipline. Un des habitués de la clientèle se faufile entre les rayons, et glisse à qui veut bien l’entendre pour faire le malin d’une voix basse qui se veut discrète:

– Ils ont trouvé un remède en Inde… en Inde.

Consultation des rubriques sur son téléphone, sans doute. Pressé, les yeux pétillants, il ne regarde personne en particulier et n’attend pas forcément de réponse.

Le patron, un Chinois d’un certain âge, un homme petit et courbé, se déplaçant à petits pas dans le magasin lève la tête, se tourne vers lui et esquisse par politesse une réponse d’une voix faible: – Ah ! L’Inde… Ah !

Dehors, le soleil d’été tape fort. Le port du masque s’annonce timidement. Il est à peine treize heures, et voilà qu’un magasin baisse ses rideaux métalliques. Consigne informelle et tacite suivie petit à petit le long de la rue dans un bruit de métal signalant une fermeture… qui aura duré deux mois. Devant la grande sortie du marché, un homme montre du menton un marchand ambulant posté plus loin.

– Celui-là, il a un bâtiment de quatre étages à Port-Louis, dit-il à son compagnon.

Sous-entendu d’une activité parallèle souterraine et lucrative. Le port du masque est, en réalité, un phénomène bien ancré dans les mœurs locales.

Plus loin, les magasins ‘demi gros’ affichent une fréquentation inhabituelle. Les uns et les autres se procurent d’avance les denrées de base à un prix avantageux. D’autres se dirigent vers les pharmacies et, en l’espace de quelques minutes, une file d’attente déborde sur le trottoir. Le ton est donné.

Crise sanitaire, crise économique et sociale

Et la suite? On la connaît tous. Laissons de côté le volet ouvert sur un paysage contemplé avec des lunettes roses pour aujourd’hui, la nature qui respire, le chant des oiseaux, la libre circulation des animaux et un ciel magnifique, le tout qui continuera à survivre dans une indifférence totale au sort des bipèdes cloîtrés dans leur demeure…

Tout le monde l’a répété maintes fois : crise sanitaire, crise économique et sociale. Un chamboulement total des repères dans les eaux troubles fait remonter à la surface les épaves flottantes de la société. L’instinct prédateur traque ses proies sur leur chemin. Ici où les dispositifs de surveillance de Smart City ne s’appliquent pas, ce sont des vols de légumes en plein champ dans le but de se faire de l’argent facile grâce au travail des autres. Là, d’autres marchands de sommeil s’activent pour palier au manque de leur clientèle. Ailleurs, on défonce les magasins. Au sein des familles, le désœuvrement fait des ravages. On cogne sur femmes et enfants. Autant des plaies qui rongent la société. Une belle femme qui rouvre son magasin sans se douter qu’elle va respirer son dernier souffle lorsque surgissent deux jeunes gens dans la fleur de l’âge qui lui infligeront une plaie fatale…

On se réjouissait trop tôt de la relative sécurité des gens chez eux, de l’absence de cambriolage et de vols. Aux cogneurs de femmes et voleurs de légumes, une recrudescence de cybercriminalité s’est ajoutée à la liste. On entend par là une opération masquée derrière leur ordinateur et smartphone, l’infraction dans l’espace numérique des autres, une activité illégale qui consiste à voler des données par tous les moyens de piratage, infiltration de réseau, piège tendu pour introduire un virus, hameçonnage, ‘download’ les appareils des autres, doublon d’ordinateur et contrôle à distance, et se faisant ainsi propriétaires des données qui appartiennent à autrui. Le but ? Escroquerie financière dans certains cas, pure méchanceté dans d’autres, voyeurisme et une nette volonté d’afficher, masqués et une capacité de nuisance.

Entre le voleur, le cambrioleur, le mâle violent, le marchand de sommeil et le cybercriminel se tisse un lien qui remonte jusqu’au début des déboires de l’Homo Sapiens : un machisme animé par un désir de dominer par tous les moyens et la jouissance d’une puissance par le contrôle sur autrui qu’ils pensent avoir réussi à acquérir. L’illusion d’une supériorité caractéristique des tenants d’un régime autoritaire et tyrannique qui les réconforte à court terme.

Dans une société moderne et un état de droit, toutes ces manigances se terminent en « eau de boudin » à long terme. Et c’est peut-être là que réside la profonde crainte qui les anime, celle d’être démasqués tôt ou tard. Et les plus à perdre, ce sont ceux qui fanfaronnent en costume et cravate et pensent jouir d’une certaine respectabilité mais qui paniquent à l’idée que leur imposture soit exposée au grand public. Tout est une question du temps et de bon timing.

Hormis les malfrats qui profitent du grand chamboulement qui leur donne tout le loisir de commettre des délits, cette période de crise et de bouleversement invite à une profonde réflexion sur le tenant des systèmes qui gouvernent la vie des êtres au cours des siècles : organisations humaines, système étatique, social et économique, les grandes corporations, les récits que constituent certaines religions et autres idéologies qui sont les produits de l’imagination fertile de Sapiens. Et en les feuilletant dans leur existence d’entités fictives et légales, on enlèverait bien des masques. Et ce sera bien là le sens et le but final de ce 21e siècle qui n’est qu’à son début. C’est dans ce sens qu’on est amené à avancer, celui d’enlever les voiles qui dissimulent le système de pensée fossilisée, d’exposer les faits et remonter aux sources, et rétablir les vérités dans tous les domaines. Ce siècle sera passionnant de bonds et de rebonds.


* Published in print edition on 22 May 2020

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