A l’autre bout de l’individu-roi

Par Nita Chicooree-Mercier

Tandis qu’en Europe, les gouvernements peinent à confiner leur population, d’autres pays, notamment à Maurice, n’ont aucun mal à faire passer le message auprès du public. Un individualisme poussé à l’extrême qui a du mal à intégrer la loi de la collectivité ? Un phénomène inquiétant qui mérite attention.

Qui voudrait assister dans son pays à des scènes de destruction des biens publics et privés par une foule surexcitée ? Des hommes révoltés défoncent les portes des bureaux de l’administration publique, saccagent les vitrines des magasins, brûlent les voitures et démolissent tout sur le passage – poteaux, abris d’autobus et poubelles. Des scènes de chaos et d’anarchie qui défient le sens de l’ordre et de la mesure dans une société.

« Qui voudrait assister dans son pays à des scènes de destruction des biens publics et privés par une foule surexcitée ? Des hommes révoltés défoncent les portes des bureaux de l’administration publique, saccagent les vitrines des magasins, brûlent les voitures et démolissent tout sur le passage. Des scènes de chaos et d’anarchie qui défient le sens de l’ordre et de la mesure dans une société. Déclenchée à Amsterdam, lieu emblématique de toutes les libertés, elle s’est répandue comme une traînée de poudre dans d’autres grandes villes européennes… »


Déclenchée à Amsterdam, lieu emblématique de toutes les libertés, elle s’est répandue comme une traînée de poudre dans d’autres grandes villes européennes. Que veulent les rebelles en temps de pandémie ? Aller au pub comme avant, s’accouder au bar et engloutir des verres de bière à leur guise, vivre l’instinct grégaire de rencontrer les gens et converser, s’asseoir à une terrasse de café à regarder vivre la ville, à voir le défilé des piétons pressés et des voitures klaxonnant sous la lumière jaune des néons par ce temps d’hiver ; aller au restaurant ou en boîte de nuit avec les copains et copines ; participer à la vie trépidante des grandes villes. On leur dit que ce n’est plus possible, et tout explose.

Depuis, les gouvernements enfilent des gants de velours pour ménager les rebelles aux poings serrés. Ceux-là prennent à contre-pied la position officielle sur l’urgence des mesures exceptionnelles dans une situation exceptionnelle créée par une pandémie ravageuse. Faut-il se rappeler que la voix officielle s’était elle-même embrouillée dans des conclusions hâtives et ambigües depuis l’an dernier ! Masque, pas de masque ? Distanciation utile ou pas ? Qui contamine qui ? Les tergiversations des voix scientifiques ont aussi semé la confusion dans les esprits qui en profitent pour faire feu de tout bois. Et quand les rapports entre gouvernants et gouvernés sont fondés sur des inimitiés ancrées dans l’Histoire, la méfiance rend la contestation plus facile.

L’image des soldats de la Special Mobile Force (SMF) expédiés sur le terrain pour barricader Curepipe et Vacoas peut paraître surréaliste aux yeux d’un public des grands pays, accoutumé à se braquer contre les gouvernants à tout bout de champ. Les slogans tels que : Atteinte à la liberté ! Etat policé ! Dictature ! auraient fusé de toutes parts.

Aux grands maux, les grands remèdes. Gouverner, c’est être capable de prendre des décisions sans faiblir. Agir avec fermeté et autorité n’est pas une preuve d’autoritarisme. Le public mauricien est en phase avec la politique sanitaire décidée par les autorités ; on ne peut gouverner ou être gouverné dans un climat de méfiance. Que ce soit au niveau microscopique des relations humaines, familiales, sociétales ou au niveau macroscopique de l’Etat, la méfiance n’est pas tenable à long terme. A un moment, il faut savoir rétablir la confiance.

Hors de Maurice, la mesure stricte du Gouvernement mauricien est saluée comme étant courageuse et raisonnable. Ici, dans le langage courant, les gens de la rue déplorent l’élan moutonnier des leurs à vouloir gambader librement comme des cabris dans la prairie. Les Mauriciens ont bien raison, diront d’autres, conscients de l’obstacle obstiné dressé sur la route de la politique sanitaire de l’Etat par le ‘Gaulois récalcitrant’, navrés du principe de précaution à visée électoraliste en vue des prochaines élections. La politique, le pouvoir, avant la santé publique. Un sacré pétrin !

Toutes les économies sont dans le rouge. Personne n’est dupe des manigances des politicards qui attendent comme des vautours le moment où ils peuvent descendre l’adversaire à terre et le mettre en pièces avec une avidité obscène. Pour le public mauricien, ce n’est pas une question de courage, c’est une question de bon sens et de discipline. La discipline est un mot presque tabou, voire même, une insulte dans les sociétés où le sens de ‘liberté’ est galvaudé.

La Chine n’a pas fait un micro-trottoir pour demander l’avis du ‘peuple’ sur le confinement. Bien que très difficile à supporter, les gens ont pris leur mal en patience. Tout ne peut pas être mis sur le compte de la soumission ou de l’obéissance. Il y a aussi l’adhésion des gens aux mesures proposées par les autorités, et ce n’est pas une tare de s’aligner sur une directive dans la mesure où elle est éclairée par la Raison.

Ici et là, toute tendance à profiter du malheur pandémique sur la bonne santé économique pour ériger les gouvernants comme ennemis du public risque de jouer un mauvais tour à ceux qui se livrent à ce jeu.

Le ‘peuple’ est-il un bloc monolithique éclairé sur tous les sujets qui le concernent ? On a vu ce que le romantisme idéologique qui consiste à mettre le ‘prolétariat’ sur un piédestal, à le dissocier du corps social pour mieux l’idolâtrer a donné dans l’histoire moderne. Le peuple est une entité à plusieurs têtes ; il y a aussi le peuple canaille, et là, l’ensauvagement rôde autour.

Le cosmos, tout comme la société, est fondé sur l’ordre, et cet ordre est pyramidal depuis la nuit des temps. Ce réalisme fait aussi de la place, dans les discours, au rêve d’un ordre horizontal et un pouvoir égalitaire, mais seulement en tant que fiction et utopie. De plus, il en faut aussi pour contenter les uns et les autres, et donner des vains espoirs. Les gouvernants, ont-ils peur du peuple en Europe ? Sont-ils paralysés par la réaction d’une foule déchaînée ?

Le client-roi est né avec la production de masse dans des industries fabriquant à la chaîne, mettant toute une gamme de produits à sa disposition, aidé dans son choix par la publicité savamment calculée pour flatter son égo et attirer son porte-monnaie.

Mais comment est né l’individu-roi ? Par l’émancipation du joug contraignant de la politique répressive et de la société liberticide, par la libération de la parole et la réclamation des droits de tout un chacun. Ce sont des droits acquis avec un sens de responsabilité et de devoir des uns et des autres. Laissons de côté l’autre source de l’individualisme, le cheminement personnel sur le plan religieux de la Réforme contestataire qui a ouvert la voie à une lecture personnelle grâce à l’accès direct aux Ecritures d’un mouvement initié il y a deux mille ans. Passons.

L’individu-roi libéré de toute contrainte ressemble à un Frankenstein lâché dans la nature. Un monstre livré à ses pulsions destructrices, qui ne reconnaît que sa propre loi, le moi-je qui pense, et qui, par conséquent, existe. Les sociétés, dites ‘libérées’ envoient des signes d’un épuisement de ce concept, d’où les ébullitions signalant une transition, une possible réinsertion dans la collectivité. Voilà des signes qu’on ferait bien de prendre au sérieux afin de ne pas répéter les mêmes erreurs.


* Published in print edition on 16 March 2021

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